Motards tétraplégiques et citoyenne du monde

Vous continuez à pratiquer la médecine. Quelle est exactement votre spécialisation ?

Michel D’Hooghe (58 ans) : La rééducation en médecine physique. Je suis l’associé principal depuis 25 ans du service de traumatologie d’une clinique. Je travaille avec cinq médecins, une trentaine de kinés et des ergothérapeutes. Nous nous occupons des troubles locomoteurs et de toutes les rééducations consécutives à des accidents. Je suis actif à mi-temps mais jamais je ne voudrais abandonner la médecine. Je suis tous les jours à l’hôpital. Ce que j’y vois m’aide à relativiser les problèmes du football. Que représente une défaite ou la blessure d’un joueur face au drame d’un jeune motard qui est devenu tétraplégique et qui se bat pour récupérer ce qu’il peut de ses moyens ?

Auriez-vous pu mener de front deux carrières sans l’appui de votre épouse ?

Non. Nous sommes très complémentaires. Elle est plus pratique que moi. Elle est manager de tout ça û NDLA : il désigne la maison et le jardin û et je lui en suis reconnaissant car mon foyer est très important. Elle a aménagé notre maison qui date du 17e siècle et qui a été rénovée pierre par pierre, tuile par tuile, pendant deux ans. Elle s’occupe seule du jardin, hormis pour les travaux lourds. Elle est infatigable. Elle gère mon secrétariat, aussi. Elle n’aime pas être sous les feux de la rampe mais elle m’est infiniment précieuse. Nous avons une vie sociale chargée. Elle s’occupe du courrier, des invitations, etc.

Votre complicité est également liée à Bruges ?

Nous sommes tous deux brugeois et… très chauvins, en effet. Nos parents et nos grands-parents étaient également originaires de cette ville. Pourtant, notre amour pour Bruges ne nous empêche pas d’adorer l’Afrique, pour sa joie de vivre, et je pense que seule l’Australie pourrait décider mon épouse à quitter Bruges.

Quelle est votre destination préférée ?

Paris, je ne sais pas pourquoi. J’ai lu les ouvrages d’André Castellot sur l’histoire de France. L’époque qui s’étend de Louis XIII à la Révolution est particulièrement passionnante. Je m’intéresse aussi à l’histoire de la Flandre.

Avez-vous d’autres centres d’intérêt ?

La musique. Enfin, j’ai joué de l’accordéon avant de passer au piano, car mon père était fatigué de m’entendre ! Lorsque j’étais étudiant, je jouais dans un restaurant, pour me faire de l’argent de poche. La musique est mon anti-stress. J’aime jouer du Chopin mais j’écoute aussi Rachmaninov et je suis sans doute le seul Belge à adorer Paganini. En voiture, j’écoute Charles Aznavour.

Vos enfants ont-ils suivi vos traces ?

Ils ont reçu une éducation classique. Pieter est médecin depuis un an et effectue une spécialisation en orthopédie. Il a fait des humanités latin-maths. Isabelle a préféré l’option latin-langues modernes. Elle est juriste mais elle n’avait pas envie de travailler au tribunal. Elle a été présidente d’activités culturelles à Louvain et à Bruges 2002. Elle est maintenant directrice du nouveau Concertgebouw de Bruges, ce qui lui permet de combiner ses deux passions, comme moi.

Vous semblez former une famille extrêmement unie ?

Oui. D’ailleurs, nous venons de partir tous ensemble, mon épouse, nos enfants, notre belle-fille et moi, au Portugal, en vacances. C’était aussi l’occasion de fêter une union qui date d’un peu plus de 30 ans.

Vous êtes secrétaire de direction et vous parlez cinq langues !

Anne-Marie Van Acker (56 ans) : J’ai été employée par une firme américaine spécialisée dans les moules destinés à l’industrie verrière, pendant dix ans, à Aalter. J’ai connu mon époux alors qu’il était en deuxième année de médecine à Gand et, au début, c’est moi qui ai assuré notre subsistance. J’ai arrêté à la naissance de notre second enfant, notre fils. Mon mari avait terminé sa spécialisation.

Comment avez-vous ressenti ce changement de vie ?

Difficilement car j’aimais mon travail et l’ambiance était agréable. Je me suis retrouvée entre mes quatre murs, dans les langes, avec le téléphone, le travail de secrétariat et un mari souvent absent. Certains ont l’impression qu’on mène une vie de luxe quand on reste chez soi mais je défie quiconque de me suivre pendant une semaine ! J’ai rarement une soirée à moi. Cependant, je souhaiterais conseiller aux jeunes femmes qui travaillent et qui ont des enfants de continuer leur boulot. Il faut simplement trouver un équilibre.

Vous êtes très active…

Nous avons une secrétaire mais je supervise. Parmi les activités de mon époux, il y a la Casa Hogar. Le patron de l’hôtel mexicain où les Diables logeaient est un ami. Je considère son épouse comme une s£ur. Nous sommes en contact chaque semaine. L’aspect social, les problèmes d’éducation et de scolarité me tiennent à c£ur. C’est l’£uvre d’une vie mais ces gens rayonnent de chaleur humaine et nous rendent tant de bonheur… Je suis membre de l’association Femmes des Pays latins. L’ambassadrice du Mexique m’invite fréquemment à des dîners à Bruxelles et j’organise parfois des excursions à Bruges pour les ambassadrices. Je suis fière de la Belgique. C’est un pays de cocagne, même si les gens ne sont jamais contents. Je n’allume la TV que pour les informations, tard le soir. Lorsque je regarde les chaînes de chaque région, j’ai l’impression que nous vivons dans des pays différents. Et pourtant… Prenez la Russie : c’est dramatique. Des licenciés en art gagnent à peine de quoi s’acheter du pain ! Depuis la perestroïka, ils doivent pourvoir eux-mêmes à tout, sans y avoir été préparés, et en plus, ils doivent s’occuper de leurs parents.

On pourrait vous définir comme une citoyenne du monde ?

Oui et pourtant, au début, j’avais très peur de l’avion. Mais je n’avais pas le choix : je ne voulais pas être un handicap pour mon mari. Ces voyages sont fatigants et il aime être accompagné. Une fois, nous avons pris 15 avions en deux semaines ! Je serais incapable de compter tous les vols en avion et en hélicoptère que nous avons pris. Sur place, je m’adapte à l’agenda de Michel. Il y a parfois des activités pour les épouses mais je n’hésite pas à effectuer des visites seule. Je ne suis pas une adepte régulière du football mais j’aime son aspect social, les rencontres et les visites qu’il permet de faire. Ainsi, je suis allée en Albanie alors que le Premier Ministre belge ne le pouvait pas. J’ai été la première dame officiellement reçue dans une délégation sportive et j’ai reçu un aiglon en bois. C’était en 1984. Nous avons eu l’impression d’être dans une machine à remonter le temps. Le soir, il n’y avait pas d’électricité…

Vous avouez un faible pour l’Australie ?

Pour sa nature et la spontanéité des gens. L’Europe n’est pas le centre du monde. Les Australiens réalisent que nous sommes des êtres minuscules qui s’entraident pour survivre. La fille d’une amie a été dévorée par un crocodile dans son jardin, les requins font des tas de victimes… La forêt vierge est fantastique, avec ses bruits, ses oiseaux. J’adore la nature, comme mon père. Tous les jours, j’effectue une promenade en vélo. Je m’adonne aussi à la natation. Mon mari et moi avons également joué au tennis.

Vous êtes amateur d’art.

Je raffole des musées. J’ai visité en primeur, grâce à une amie, les joyaux du Tsar, cachés pendant 50 ans par les communistes. Mais je n’aime pas l’art moderne. J’ai suivi des cours pendant deux ans, pensant que c’était un défaut d’information, mais je n’ai pas accroché. Il y a des gens qui comprennent ou font semblant de comprendre, mais que pensera-t-on de notre siècle dans 200 ans ? J’adore l’impressionnisme.

Pascale Piérard

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