Mort au sliding, pas à Taylor !

Martin Taylor est un pur produit du football tel qu’il se pratique depuis des lustres. Comme l’est le joueur de Huelva Quique Alvarez qui, pas plus tard que la semaine suivant la blessure grave d’ Eduardo da Silva, aurait pu réussir le même bingo sur Arjen Robben, mais ne l’a éliminé que pour quatre semaines. Purs produits comme le sont des tas d’autres… Mais vouloir bannir Taylor à jamais, comme l’a voulu Arsène Wenger (sur le coup de l’émotion, avant de se montrer plus modéré), ça non.

Menacer Taylor de mort, ça non, c’est s’infiltrer dans la spirale de l’imbécillité supporteresse. Faire de Taylor une de ces brebis galeuses sans lesquelles le foot serait un éden de non-violence, c’est se tromper de cible… comme Taylor a loupé la sienne en assaillant Eduardo ! Vu que toutes les semaines, partout dans le monde et à tous les niveaux, se produisent des milliers de tackles glissés similaires, il est parfaitement logique qu’il y ait chaque semaine l’une ou l’autre blessure atroce, et logique aussi que ça tombe parfois sur une star plutôt que sur un péquenot d’amateur aux tréfonds de la brousse. Eduardo est une victime des pourcentages. Victime célèbre, mais victime parmi d’autres. Et si l’on ne veut pas changer les lois mêmes du jeu (de brutes), la seule façon de (peut-être) diminuer cette casse statistique est d’intimider davantage les découpeurs virils et impulsifs : en leur annonçant qu’en cas de dégât provoqué, la sanction toute simple sera qu’ils ne rejoueront que quand rejouera leur victime. Je propose ainsi qu’Alvarez rejoue dans quatre semaines, et que Taylor rejoue quand rejouera Eduardo. Pas de bol pour les uns ? Pas de bol pour les autres.

Le foot est hélas un sport autorisant les agressions : parce que le défenseur peut jouer le ballon en déséquilibre, en se jetant, en sliding-tackle. A partir du moment où il pense avoir une chance de toucher ainsi le cuir (mais dans sa petite tête, a- t-il le temps de se dire une chance sur deux, sur dix, sur cent, sur mille ?), le gars ne se sent pas coupable, au contraire : même que quand on siffle contre lui, ou quand il ramasse une jaune ou une rouge, il a tellement vu de situations similaires non sanctionnées qu’il en vient logiquement à ressentir une injustice ! Défense de tackler par derrière et interdiction de pied en avant, mais autorisation de te jeter, va-t-en comprendre les nuances ! Bien sûr pas de tackle à hauteur du genou, bien sûr le pied au sol au moment de l’impact : mais va-t-en calculer à coup sûr ce moment d’impact, résultante de ta vitesse et de la vitesse du gars d’en face ! Bien sûr jouer le ballon plutôt que l’homme… mais n’obtenir que l’homme (ou d’abord l’homme) implique-t-il de facto la préméditation ! Tout est flou ! Sauf que l’arbitre est seul juge pour lire dans les pensées du gars, et interpréter la dangerosité de son geste ; sauf que si, dans le civil, le referee est prof de bouddhisme dans un internat pour jeunes filles chastes plutôt qu’instructeur moustachu full-contact pour para-commandos, sa conception de la dangerosité risque d’être différente ! S’il y a en foot toutes sortes d’avis sur ce que permet la loi, c’est parce qu’y coexistent toutes sortes d’arbitrages…

Ça ne date pas d’hier. Une de ces agressions de légende fut celle commise en 1983 par Andoni Goicoetxea, encore aujourd’hui incarnation du Mal au détriment du Dieu Diego Maradona. Voici pourtant ce qu’en a pensé Cesare Menotti (*) :  » Goicoetxea était le prototype du joueur moderne, prêt à tout pour ne pas se manger un but. Je pense qu’il n’a jamais eu l’intention de blesser Maradona, il était juste à contretemps sur l’action. Si tu vas avec une Ferrari à 240km/h sur une route, au départ tu n’as pas l’intention de tuer quelqu’un, mais les chances que ça arrive restent néanmoins importantes…  »

Ca s’est passé voici 25 ans et ça se passera encore. Pour ne plus voir ça, une seule solution, faut interdire le sliding-tackle : vouloir que le foot soit sport de contact et d’arrachage, mais DEBOUT impérativement ! Je suis pour. Vous n’êtes pas d’accord ? Vous refusez qu’on vous prive du spectacle effectif qu’est un beau sliding-tackle bien propre, réussi à 100 % ? Ok. Assumez-en les conséquences : un Eduardo de temps en temps est le prix à payer pour vos émotions esthétiques glissées…

(*) repris dans le So Foot spécial (et réussi !) sur Maradona, en décembre dernier.

par bernard jeunejean

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