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MONUMENT CLASSÉ

Deuxième plus grande enceinte de Belgique après le Roi Baudouin, le stade des Trois Tilleuls, à Watermael-Boitsfort, a accueilli ni plus ni moins qu’Emil Zatopek, le grand Torino et même Emilio Ferrera. Désormais occupé par le RRC Boitsfort, il vieillit, mais n’est pas près d’arrêter le sport.

Le bâtiment est gris, lourd. En poussant un peu, il ressemble à une réplique d’un bloc communiste de la grande URSS. À l’intérieur, une salle de judo, de musculation et de pétanque, un mini-bassin, un secrétariat et un appartement pour le concierge. De dos, le Stade des Trois Tilleuls ne fait pas très foot. Il faut donc contourner le bâtiment central pour débarquer au pied de tribunes qui plongent dans une ambiance d’arène romaine de l’Antiquité.

Chaque palier des gradins a une profondeur d’une bonne pointure de pied. Autant dire que si le stade est rempli, il ne s’agit pas qu’il le soit avec des gros pleins de soupe. Il ne fait pourtant aucun doute que la foule ne se presse pas tous les week-ends aux Trois Tilleuls, la verdure et quelques trous ont en effet pris possession de la structure.

Au plus haut de celle-ci, au centre du terrain, soixante étages espacés d’une vingtaine de centimètres se succèdent pour offrir une hauteur maximale d’environ 12 mètres à la tribune. Quand on se retrouve au-dessus, la petite promenade à l’abri d’une allée d’impressionnants peupliers permet d’avoir une vue générale sur la pelouse et le quartier résidentiel voisin.

Dans un coin du stade, un promontoire de pierres ne doit sa présence qu’à l’existence d’un énorme arbre… qui n’est toujours pas un tilleul. Le nom du stade de Boitsfort vient en fait d’un rond-point situé à 300 mètres et sur lequel reposaient trois énormes tilleuls. D’où l’évidence du nom au moment où la construction de l’enceinte débute en 1946 grâce aux mains des prisonniers de guerre.

MALÉDICTION ET RECORD DU MONDE

Projet mégalomane au possible, le stade de Boitfsort est mis sur pied en 1948 et accueille 40.000 personnes pour son inauguration, un jour de novembre.  » Le Racing de Bruxelles, qui évoluait alors en D1 et à qui le stade était destiné, avait affronté pour l’occasion le grand Torino « , précise Pascal Dûchatel, président de l’ASBL Les Trois Tilleuls.

 » Les Italiens l’avaient emporté 0-3. Mais quelques mois plus tard, l’équipe de Torino disparaissait dans un crash aérien, ce qui a donné à notre arène le surnom de stademaudit. « En 1954, suite à des problèmes de paiement à la commune, le Racing de Bruxelles déménage au Heysel, ce qui laisse le stade boitsfortois à la disposition des clubs d’athlétisme et de foot. Il ne sera plus jamais rempli. Même le jour où Emil Zatopek y bat le record du monde du 10.000 mètres.

 » Il était parti pour faire les 5.000 « , pense savoir Pascal Dûchatel.  » Puis il a poussé jusqu’à 10.000 et a écrit l’histoire.  » En 2015, le nom des Trois Tilleuls a bien été évoqué pour accueillir le Mémorial Van Damme au cas où le Roi Baudouin venait à disparaître, mais c’est principalement pour être l’actuel antre du club du RRC Boitsfort que le stade est désormais connu.

CONCIERGE CHASSEUR

 » Nous avons deux terrains synthétiques dont un est aussi utilisé par le rugby. Notre équipe de P2 joue dans le stade des Trois Tilleuls, la P4 sur synthétique. Ce dernier est de meilleure qualité que le principal qui est un peu bosselé, mais c’est normal que l’équipe première du club évolue dans l’enceinte historique.  »

Petit bonhomme extrêmement souriant, Maurice Weemaels est l’actuel coordinateur des jeunes du RCC Boitsfort. Mais le gaillard, arrivé en 1965 au club, y a aussi enfilé les costumes de joueur, entraîneur et correspondant qualifié. Autant dire qu’il connaît par coeur les gradins du deuxième stade le plus grand de Belgique.

 » Ça arrive qu’on utilise les tribunes pour s’entraîner au stretching « , détaille-t-il.  » Mais c’est surtout le citoyen lambda qui y vient en journée pour son plaisir… On entend d’ailleurs souvent le concierge chasser ceux qui osent fouler la pelouse.  » Accoudé à sa porte d’entrée, le gardien du complexe ne semble en effet pas très enclin à lâcher du sourire facilement.

Pour un club de P2, profiter de telles installations est évidemment une aubaine. Surtout que depuis 2011, l’arène est protégée.  » Elle est classée aux Monuments et sites de la Région de Bruxelles « , lance Pascal Dûchatel.  » Personne ne peut toucher à la tribune. Maintenant, tu pourrais construire dessus… mais on sait ce que ça a donné à Furiani (en 1992, une tribune du stade de Bastia s’est effondrée, causant la mort de 18 personnes, ndlr).  »

CLUB FORMATEUR

Désertés par la cinquantaine de fidèles supporters du RCC qui leur préfèrent la nouvelle tribune plus moderne, les historiques gradins sont encore foulés à intervalles réguliers, comme ce jour du début des années 2000 où le RCC a remporté le titre en P3.

 » On avait gagné en déplacement « , se remémore Jean Rurangwa, joueur à l’époque.  » On est donc revenu faire la fête au stade avec nos perruques et nos peintures. Un fan m’avait pris mon maillot, on s’est donc baladé dans les tribunes en faisant la chenille sans chemise mais en pantalon, pour parodier Rika Zaraï (rires).  »

Le RCC Boitsfort, qui fut le point de départ de la carrière d’entraîneur d’Emilio Ferrera, n’a jamais dépassé la P1 mais n’est pas du genre à s’en faire. Avec ses 588 joueurs affiliés, le club bruxellois affirme avoir toujours vécu avec des finances saines et des gars du cru.  » On n’a pas spécialement les moyens de rivaliser avec les grandes écuries de la capitale « , juge Jean, devenu T2 de l’équipe première.  » On est plutôt là pour former. Dernièrement, un de nos jeunes a rejoint le Standard. On est préparé à ça et on l’accepte : on ne bloque jamais un joueur.  »

UN BASKETTEUR AU COMPTOIR

Familiale, c’est clairement l’étiquette que le RCC veut qu’on lui colle sur le paletot. Ce n’est pas pour rien que les anciens joueurs des années 60 se déplacent encore à chaque match à domicile pour former le groupe des « ultras » et élire chaque année le Soulier d’Or de l’équipe première.

Et pour rassembler tout ce petit monde après le match, pas besoin d’aller très loin : la buvette du stade est ouverte presque constamment.  » On n’en sort pas « , rigole Jean.  » À cause des Trappistes, j’ai pris 15 kilos depuis que j’ai arrêté le foot. Mais faut pas le dire, je suis quand même un ancien sportif (rires).  »

Seul (petit) souci : le tenancier, Jurgen Van Meerbeeck, est un ex-international belge de basket.  » Il n’hésite pas à nous vanner avec son « basket ceci, basket cela… », mais on finit toujours par refaire le monde paisiblement. »

PAR ÉMILIEN HOFMAN – PHOTO PG

Inaugurée en 1948, face au grand Torino, l’arène avait accueilli 40.000 personnes.

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