Montée en puissance

Longtemps perçu comme la 5e roue de la charrette derrière l’Apoel et l’Omonia Nicosie, l’Anorthosis Famagouste et l’Apollon Limassol, l’adversaire européen d’Anderlecht est le club qui grimpe à Chypre.

L’AEL Limassol est le 3e club chypriote à se dresser sur la route d’Anderlecht en coupes d’Europe. Le premier a été l’Omonia Nicosie en 1985-1986. Le contraste est alors saisissant entre le club bruxellois, vainqueur de la Coupe de l’UEFA deux ans plus tôt, et finaliste la saison suivante, et son adversaire, couronné champion de son pays pour la 14e fois à cette époque, mais dont le parcours sur la scène continentale a toujours été d’une discrétion à toute épreuve. Pour Stéphane Demol, grand voyageur du foot devant l’Eternel, actif notamment à l’Ethnikos Achna ainsi qu’à l’Aris Limassol dans un passé récent, comme entraîneur, c’est là la découverte d’une nouvelle culture footballistique.

Demol a vécu cette expérience en tant que joueur :  » On sort à ce moment-là de trois campagnes de rêve, avec des matches d’anthologie contre Benfica, Tottenham, la Juventus voire la Fiorentina, étrillée 6-2 au Parc Astrid en 1984-1985 et là, on tombe sur le petit poucet « , se souvient-il.  » La hantise, des dirigeants surtout, c’est la perspective d’une ambiance feutrée, peu propice à l’exploit. Pour éviter cela, le manager, Michel Verschueren, décide de fixer un prix unitaire pour tous les spectateurs : 200 francs belges, l’équivalent de 5 euros, tarif valable aussi bien pour les abonnés que pour Monsieur Tout-le-monde. Résultat des courses : on joue dans un stade plein à ras bords mais la concentration n’y est pas. Finalement, on s’en sort par le plus petit écart grâce à un but d’ Erwin Vandenbergh. Mais le coach, Paul Van Himst, n’est pas vraiment ravi. Il redoute un remake d’une aventure arrivée au RSCA en 1974. Cette année-là, le Sporting s’impose 5-1 face à Olympiacos mais perd 3-0 au retour. Popol a peur de voir ce scénario se rééditer. Heureusement, l’équipe est prévenue. Et on enlève tout suspense au retour en gagnant 1-3 « .

En 1990-1991, en Coupe de l’UEFA ce coup-ci, les deux équipes se retrouvent mais au second tour de la compétition. Lors de l’entrée en matière, les joueurs d’ Aad de Mos battent les Roumains de Petrolul Ploiesti (2-0 et 0-2). L’Omonia, lui, réussit le bel exploit de sortir le Slavia Sofia : défaite 2-1 dans la capitale bulgare et victoire par le même score à Nicosie. En définitive, les locaux s’imposent sur tirs au but : 4-2. Contrairement à ce qui se passe quinze ans plus tôt, Anderlecht doit négocier le premier match en déplacement.

 » Aujourd’hui, une équipe dispose de points de repère lorsqu’elle est appelée à rencontrer tel ou tel adversaire « , observe Marc Degryse, Sportingman à l’époque.  » A ce moment-là, pour nous, c’est un pas complet dans l’inconnu. Aussi, le coach opte-t-il pour la prudence : le mot d’ordre est de ne pas se découvrir. On opère d’ailleurs avec trois arrières centraux dans la fournaise chypriote : Graeme Rutjes, Wim Kooiman et Adri Van Tiggelen. On ne sort pas de nos bases et c’est même un joueur local qui nous donne un coup de pouce salvateur, en inscrivant un own-goal qui nous permet de ramener un partage. Au retour, en revanche, c’est la grande armada offensive qui est déployée avec Luc Nilis, Gert Verheyen, Luis Oliveira et John Van Loen. De même qu’avec Pär Zetterberg, entré au jeu en cours de partie. Au final, c’est 3-0 . »

Dix ans plus tard, c’est au tour d’Anorthosis Famagouste de se frotter au RSCA. Un opposant qui ne présage rien de bon au T1, Aimé Anthuenis. Cette équipe a bien failli jouer un mauvais tour au Lierse en 1997-1998. Au 2e tour préliminaire de la Ligue des Champions, les Chypriotes l’emportent 2-0 à domicile. Et ce n’est que grâce à un tour de force, une victoire 3-0, que les pensionnaires de la chaussée du Lisp accèdent à la phase des poules, avec Monaco, le Bayer Leverkusen et le Sporting Lisbonne comme adversaires. Il n’empêche, au propre comme au figuré, les Jaune et Noir ont eu chaud. Anderlecht aussi, au demeurant : le match aller se solde par un 4-2 au stade Constant Vanden Stock. Au retour, le coach des Mauves n’a d’autre ressource que de renforcer son entrejeu avec trois pare-chocs défensifs : Besnik Hasi, Yves Vanderhaeghe et Walter Baseggio. Et il obtient ce qu’il est venu chercher : un nul vierge, synonyme de qualification.

De niveau comparable à la Grèce

 » Depuis le début de ce millénaire, le football chypriote n’a cessé de progresser « , souligne le journaliste Costas Fitsadonakis.  » D’abord dans le chef d’Anorthosis qui a été le tout premier en 2008 à atteindre le stade des groupes de la CL. Ce qui n’est pas un mince mérite car le club a dû franchir trois tours préliminaires pour y parvenir. Il a d’abord éliminé les Arméniens de Pyunik Erevan (1-0 et 2-0), puis le Rapid Vienne (3-0 et 1-3) et enfin, ce qui ne gâte rien, l’Olympiacos (3-0 et 0-1). Depuis l’instauration de la Ligue des Champions au début des années 90, ils ne sont que deux à avoir réussi cet exploit. L’autre étant, la même année, le BATE Borisov, tombeur d’Anderlecht lors de l’ultime manche qualificative. Mais le véritable exploit, c’est évidemment l’accession aux quarts de finale d’Apoel Nicosie la saison passée. Le champion de 2011 a d’abord réussi la gageure de sortir premier d’une poule avec le FC Porto, le Zenit Saint-Pétersbourg et le Shakhtar Donetsk. Autrement dit, trois vainqueurs de l’Europa League. Ensuite, il a sorti l’Olympique Lyonnais avant de tomber face au Real Madrid. Ce n’est pas à la portée du premier venu. A présent, c’est sur l’AEL Limassol que se portent nos espoirs. Mais contre Anderlecht, ce n’est pas gagné d’avance car les chiffres plaident en faveur des Bruxellois. Reste que les temps ont changé. Aujourd’hui, il n’y a plus de différence marquante entre les meilleurs clubs chypriotes et leurs homologues grecs, par exemple. L’Apoel et le Panathinaïkos, c’est kif-kif. Seul l’Olympiacos a peut-être 10 % de talent en plus. A mes yeux, les top 5 chypriote et belge se valent plus ou moins. Je donne 55 % de chance à Anderlecht et 45 % à l’AEL d’accéder aux poules de la Ligue des Champions . »

L’AEL Limassol, Laurent Fassotte connaît. Plutôt bien même, car l’ancien libero du Lierse y a joué deux ans, de 2007 à 2009, avant de passer à l’Enosis Neon Paralimni, sous la férule de Cedomir Janevski, l’ancien défenseur du Club Bruges, puis d’Emis Aradippou , qui milite en D2 aujourd’hui. Son seul regret : avoir abouti un peu trop tôt dans un club barré alors par les trois ogres que sont l’Apoel et l’Omonia Nicosie, et l’Anorthosis Famagouste. Même si, d’après lui, il faut quand même replacer dans son contexte le titre conquis par l’AEL cette saison, après 44 ans de disette puisque le dernier sacre date de 1968.

 » Malgré sa 2e place la saison passée derrière l’AEL, l’Apoel reste la meilleure équipe du pays « , dit Lolo.  » Il dispose incontestablement des meilleures individualités, comme Ailton, Manduca et Morais. L’équipe propose aussi le jeu le plus séduisant. S’il a loupé le coche en championnat, c’est en raison de ses exploits sur la scène européenne. Car avec un noyau de 18 bons joueurs à peine, il est difficile de courir deux, voire trois lièvres à la fois. D’ailleurs, en coupe nationale, l’Apoel a jeté le gant très tôt, laissant le soin à l’AEL et à l’Anorthosis de disputer la finale. Avec une victoire 1-0 des gars de Famagouste. Pour moi, derrière l’Apoel, quatre équipes se valent. Mais parmi elles, c’est indéniablement l’AEL qui a le plus progressé. En l’espace de 5 ans, le contraste est pour le moins saisissant. A mon arrivée, l’effectif est encore fort hétéroclite. Une véritable tour de Babel. A l’entraînement, on parle grec, serbo-croate, anglais, portugais, français et ainsi de suite. Jusqu’au jour où le club décide de nommer Rui Paulo Silva Junior comme directeur technique. Le gars a ses entrées partout dans le monde lusophone et il parvient à former une unité avec des représentants de la plupart de ces pays : les Portugais Orlando Sa, Jorge Monteiro et Rui Miguel Rodrigues, les Angolais Marco Airosa, Dédé et Sebastiao Gilberto, qui a encore joué au Lierse. Il y a aussi Carlitos, originaire du Cap-Vert. Et sur tout ce beau monde se greffent des Africains de valeur : le Ghanéen Chris Dickson, le Rwandais Edwin Ouon, qui a joué à l’Antwerp, ou encore l’Ivoirien Patrick Vouho. Cela a, bien évidemment, des répercussions sur le style de jeu déployé. Les uns apportent la touche technique, les autres la puissance. A mon arrivée, tout ça était moins tranché . »

Le championnat le plus libéral d’Europe

Demol, en charge de l’Aris Limassol en 2010 après être passé à Ethnikos Achna, observe aussi une évolution du tout au tout.  » Avec Anderlecht, en 1985, tous les noms adverses ont encore, essentiellement, une consonance grecque. Mais, depuis quelques années, il faut vraiment les chercher. L’élite chypriote est sans doute la plus libérale de toute l’Europe. En Belgique, statistiques à l’appui, la Jupiler Pro League compte aujourd’hui 50 % de joueurs étrangers. A Chypre, on est dans une fourchette de 75 à 80 %, avec une main d’£uvre surtout méditerranéenne et africaine. Ces garçons-là ont beau être des 3e ou 4e choix dans leur pays, ils apportent un plus au sein des teams où ils évoluent sur l’île. C’est la raison pour laquelle ces clubs ont décollé. En revanche, à l’échelon de l’équipe nationale, c’est la misère puisqu’elle est formée d’éléments qui ne sont souvent que remplaçants dans les formations de pointe. Et cette situation n’est pas près de changer . »

Joueur dans le troisième club de Limassol, l’Apollon, de 2010 à 2012 après une première saison à Chypre à l’AEP Paphos, l’ex-Anderlechtois Martin Kolar en connaît lui aussi un bout sur le frère ennemi. Même si les rivalités locales sont encore sages.  » A Chypre, 30 % des 800.000 Chypriotes sont supporters d’Apoel et 30 autres % d’Anorthosis « , dit-il.  » Le reste s’éparpille sur les autres. Entre clubs d’une même ville, il n’y a quasiment jamais de débordements mais ça chauffe souvent quand l’hégémonie locale est en jeu. En mai, la finale de la Coupe entre l’AEL et Omonia a été marquée par de très violents affrontements entre supporters. Il y a eu 32 arrestations ce jour-là. Avant ça, l’Omonia a dû jouer deux matches à bureaux fermés pour attitude déplacée de ses fans. A l’AEL, on ne prêche pas toujours le bon exemple non plus. Le coach, Pambos Christodoulou a été interdit de zone neutre pendant quelques matches suite à une agression verbale sur son homologue d’Anorthosis. Sur le terrain aussi, les joueurs ne sont pas toujours tendres. Edwin Ouon a été exclu lors de l’apothéose en Coupe pour un tackle beaucoup trop appuyé sur Andreas Avram . »

Aux dires de l’ex-joueur du Bohemians Prague, Anderlecht va devoir se farcir une équipe super-organisée et qui ne lâche rien.  » Sur l’ensemble de la compétition 2011-2012, l’AEL n’a encaissé que 9 buts, c’est significatif « , observe-t-il.  » L’équipe table sur un bloc défensif capable de faire déjouer les meilleurs. Le Partizan Belgrade l’a vérifié à ses dépens. Au goal, l’AEL compte sur un gardien argentin chevronné, Matias Degra. Devant lui opèrent quelques teignes, comme Airosa, Carlitos, Ouon et Dédé. L’entrejeu est un mix d’engagement et de technique avec Gilberto, Orlando Sa, Paulo Sergio et Bébé, entre autres. Devant, il faut se méfier de Patrick Vouho et Chris Dickson. Les arrières sont aussi très habiles de la tête en phase offensive. Face à Linfield Belfast, battu 3-0 à Chypre au 1er tour des qualifs cette saison, deux corners de Gilberto ont été exploités de cette manière par Edwin Ouon et Dickson. Le 3e but est venu d’une passe de Bébé à Patrick Vouho. Si Anderlecht parvient à mettre ces deux-là sous l’éteignoir, ça ira. Pour le reste, il doit compter sur les qualités de ses attaquants pour faire la différence. Logiquement, la classe anderlechtoise doit pouvoir l’emporter sur la puissance adverse. Mais les Sportingmen doivent être patients. Les joueurs de l’AEL sont des routiniers, qui ne s’affolent jamais. Ils restent organisés d’un bout à l’autre de la rencontre. C’est parce que le Partizan Belgrade a voulu précipiter les événements, lors du dernier tour de qualification, qu’il s’est découvert à un moment donné. Face à des roublards, ça ne pardonne pas. Le Sporting est prévenu . »

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: REPORTERS

 » L’AEL, c’est un mix de technique lusophone et de puissance africaine.  » Laurent Fassotte, ex-joueur du club

 » Le point fort, c’est la défense, avec 9 buts encaissés seulement la saison passée.  » Martin Kolar, actif à Apollon Limassol en 2011-2012

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