Mont-Gauthier MAINS GANTÉES

Le Brésil a le foot, la Flandre le vélo, Mont-Gauthier a la balle pelote. Au beau milieu de la province de Namur, cette petite bourgade vit uniquement pour ce jeu de paume depuis 80 ans. Cette année,  » Malåtchî  » découvre même la Nationale 1.

Il n’y a jamais eu de club de foot ici. Et depuis que le seul café des environs a fermé ses portes, il ne reste plus que la balle pelote. Situé entre Rochefort et le domaine de Chevetogne, le village de Mont-Gauthier abrite environ 300 habitants. C’est peu, mais c’est largement assez pour rassembler une bonne partie de ceux-ci les dimanches d’été au ballodrome situé à côté de l’Eglise.  » À l’époque, on allait tous à la messe puis on repassait à côté taper la balle « , se souvient Emile, 90 ans, et plus ancien membre du club.

 » Même le curé venait jouer avec nous. Il y a même une époque où on jouait sur la grande route, on a toujours fait de la balle pelote, ici.  » Créé en 1935, le club de jeu de paume de Malåtchî (nom wallon du village) n’a cessé de voir ses propres gars représenter le village à travers les différentes générations et divisions belges avant l’apothéose, en septembre dernier : la promotion vers la Nationale 1.

Plus de spectateurs que d’habitants

Il fait beau ce dimanche de mai à Mont-Gauthier. Derrière leur petite table, les deux-trois comitards responsables des entrées accueillent les visiteurs avec quelques mots de wallon : ils parlent du temps ou du match de la veille. Passé le portique, on découvre le ballodrome qui est en fait la cour de l’école primaire du village.  » À la récré, tous les gamins viennent taper la balle ici « , lance un grand bonhomme plutôt rond tout en croquant une pomme. C’est Constant, président du club depuis 1998. Comme la plupart de ses voisins, il est entré très tôt dans le monde de la balle pelote et n’en est jamais sorti depuis.  » Ça reste ancré ici « , poursuit-il.  » Il y a peu, un gamin a commencé au club avant même d’avoir quatre ans, et il tape hein !  » Tout au long du terrain, 350 personnes prennent progressivement place sur les petits gradins et les sièges récupérés du stade de football d’Oud-Heverlee Louvain. La moyenne d’âge est assez élevée, ici les 3×20 n’ont pas besoin d’un rendez-vous particulier, ils viennent voir la balle le dimanche puis jouent aux cartes à la buvette. Chacun semble avoir sa place de part et d’autre du terrain : il y a le banc des habitués d’un côté,  » et les picoleurs de l’autre « , rigole Gilles, un natif du coin. Enfin, on retrouve par-ci par-là des spectateurs confortablement installés dans leur siège de camping, fumant leur cigare ou buvant une bière.

Champion du monde et Yéla

La balle à Mont-Gauthier, c’est avant tout une affaire de famille. Sur le terrain, il y a cinq joueurs issus du village : deux frères et leur cousin plus deux autres amis. Le sixième  » tapeur  » n’est pas un étranger pour autant : il vient d’Havrenne, à 10 kilomètres de là. Cette équipe du cru est très clairement une des meilleures de l’histoire du club. Elle compte ainsi en son rang Steve Soquette, champion du monde de One-Wall, ce  » squash à la main « , mais aussi Christophe, solide gaillard d’une bonne vingtaine d’années et qui semble aussi à l’aise sur le terrain qu’à la buvette. Entre deux livrées, il n’hésite pas à boire une gorgée de bière ou à apostropher le public. C’est d’ailleurs un des seuls à pouvoir faire lever facilement le public pour un Yéla. Expression dérivée de  » Hé là-bas ! « , le Yéla est prononcé à l’unisson quand le joueur envoie la balle  » entre les perches « , c’est-à-dire derrière ses adversaires, empochant ainsi 15 points.  » Contrairement à beaucoup d’autres sports, le Yéla se savoure « , précise Bertrand, la vingtaine, et dont les vieux d’ici n’ont pas besoin du prénom tant il a le faciès des Lavis, une famille surreprésentée dans le village. Quand on voit la balle s’en aller, on a le temps d’apprécier et de crier parce qu’on sait qu’elle va passer de l’autre côté. C’est différent du foot où on ne profite qu’au moment où le ballon est au fond.  »

Le Real Madrid à Malåtchî

Le championnat de balle pelote débute fin avril pour se terminer au mois de septembre. Cinq petits mois au cours desquels Mont-Gauthier rend visite et reçoit les plus grands noms de ce sport. En ce 17 mai, c’est Kerksken qui s’est déplacé dans le Condroz. Le club alostois, multiple champion de Belgique, est un peu considéré comme le Real Madrid de la balle pelote. Autant dire qu’il y a un fameux déséquilibre, surtout que pour rendre visite au petit poucet de la D1, les six de Kerksken ne viennent bien entendu pas seuls. Bien installé après avoir vissé sur leur tête une casquette soigneusement ôtée d’un sachet en plastique, un couple d’un certain âge regarde le match en silence.  » On vient de Kerksken « , finit par avouer le mari. 1H30 de route, c’est long. Je me souviens d’une année où on a même dû venir cinq fois à Rochefort, pfiou !  »

C’est la mi-temps, les joueurs regagnent donc leurs minuscules vestiaires à côté de la buvette ou dans un container et les spectateurs reprennent la causette. En plein centre des tribunes, il n’est pas question de passer devant Robert sans le saluer. C’est une des mémoires du club.  » J’ai commencé à jouer en 1957 « , explique le grand-père Schmit, les trois cousins présents sur le terrain.  » En 1975 je commençais à entraîner et à 50 ans je faisais ma dernière lutte. En tout j’ai 58 ans de balle derrière moi.  » Bien assez pour se forger une expérience incroyable dans le domaine, lui qui avait notamment pour habitude de se frotter avec des orties pour endormir ses douleurs aux bras.

 » On secouait les arbitres  »

La deuxième période reprend sur le score d’1-7. Logique. Mais Mont-Gauthier se reprend et revient à 3-7. Le jeu suivant est disputé jusqu’à ce que l’arbitre invalide une balle des locaux, le point est pour Kerksken. Difficile à avaler pour les joueurs de Mont-Gauthier qui se ruent sur l’arbitre.  » Fais gaffe, il peut te mettre dehors s’il veut « , annonce Tristan à son cousin Nicolas, nez à nez avec l’arbitre.  » À notre époque, il n’y avait pas de cartons « , commente Gilles en tribune.  » Mais ça nous arrivait de secouer les arbitres par contre…  » Les esprits sont néanmoins bien vite calmés et la rencontre peut repartir sous l’oeil attentif de Nadine.  » Si quelqu’un n’aime pas la balle à Mont-Gauthier, c’est qu’il ne vient pas d’ici. Ou alors c’est une femme… Elles n’aiment pas trop venir ici en général, moi j’ai suivi mon gamin.  »

60 enfants affiliés !

Le match se termine sur le score de 3-13. Il n’y a pas eu de miracle, mais Mont-Gauthier n’en attendait pas aujourd’hui. Rassemblés devant la buvette, joueurs et supporters décortiquent la rencontre autour d’un pain saucisse. Constant est toujours là, bien sûr, il est fier de ses joueurs qui perpétuent une tradition vieille de 80 ans.  » Notre leitmotiv, c’est de faire évoluer les jeunes du village « , se réjouit-il.  » Ce sont eux qui rajeunissent et font vivre ce sport au village. Nous avons 60 jeunes affiliés et notre objectif est de les amener vers l’équipe première.  » C’était déjà l’idée du nouveau comité qu’avait repris Constant en 1998 quand le club connaissait des heures plus difficiles.  » On voulait relancer la machine, parce que ça doit faire partie du village. Mais on n’avait aucune intention d’atteindre la D1 cette saison.  » D’ailleurs, le meilleur souvenir de Constant à Mont-Gauthier, ce n’est pas le titre en D2 en septembre passé, mais le triomphe à la Balle du Gouverneur en 2012.  » C’est une compétition regroupant les meilleurs équipes namuroises « , explique-t-il.  » Cela faisait des années qu’on était annoncé comme les favoris, mais on ne gagnait pas. Pourtant, il y avait bien 1000 personnes sur la place Saint-Aubain de Namur les jours de finale…  »

Le Fougnant

Cette saison, Mont-Gauthier possède un des plus petits budgets de la D1. À titre de comparaison, il ne correspond même pas au salaire de Benjamin Dochier, Gant d’Or et meilleur joueur de Kerksken, estimé à 50 000 € pour une saison. Ici, l’argent est tiré des sponsors, des entrées et des recettes de la buvette. Une buvette à laquelle n’échappe pas Le Fougnant, la soixantaine et ancien joueur du club qui n’hésite pas à colporter aux oreilles de qui veut l’entendre une des plus belles légendes du club. C’était en 1964.  » Y avait plus qu’un  » 15  » à avoir, débute-t-il avec beaucoup d’emphase. C’était à moi de livrer. Je m’élance, je  » m’ectrébute « , je lâche la balle… elle fonce entre les perches : champion de Belgique ! L’après-match fut très difficile « , conclut-il avant de s’emparer de son verre qui contient autant de liquide que de sornettes. Ses voisins savent que ce n’est pas vrai, mais ils ne disent rien, c’est aussi ça qui fait vivre la balle à Mont-Gauthier. Le soleil continue d’éclairer la petite cour de l’école du village. Récompensé pour avoir placé les chasses  » bidon de javel  » durant la lutte, le garçon a quant à lui fini son tour des portefeuilles. Demain c’est lundi, et c’est lui qui tapera la balle contre le mur.  » Alléa !  »

PAR ÉMILIEN HOFMAN – PHOTOS : BELGAIMAGE / DEHEZ

 » Si quelqu’un n’aime pas la balle à Mont-Gauthier, c’est qu’il ne vient pas d’ici.  »

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