Monsieur Sporting

 » Pourquoi Jean Pol Spaute est parti ? Moi, je suis toujours là, à 87 ans. C’est injuste. J’ai perdu un fils. « 

Quelques grands moments de Charleroi dans une autre vie… La montée en D1 en 1966 : Jean Pol Spaute était capitaine. Le seul titre de vice-champion en 1969 : le même homme avec le brassard. Le tout premier match européen quelques mois plus tard : le morceau de tissu était toujours autour du même bras. Tout cela, c’est le JPS joueur. Un footballeur universitaire.

On avance dans le temps… L’accession à la D1 en 1985 : avec Spaute comme président. La finale de Coupe de Belgique en 1993 : rien n’a changé. L’unique participation à la Coupe de l’UEFA en 1994 : rien de nouveau.

Jean Pol Spaute, décédé en 2009, restera Monsieur Sporting. Il y a consacré plus de 30 ans de sa vie. Et en 1982, il a relancé un club à l’agonie. En duo indissociable avec Gaston Colson. Spaute gérait le sport, Colson assurait les finances.  » J’avais déjà été dirigeant du Sporting dans les années 60 et 70, et je n’avais pas l’intention d’y remettre les pieds « , dit aujourd’hui Colson.  » Jean Pol m’a fait manger ma promesse en 1982, quand le club est tombé en faillite. Il est venu me dire : – Si on ne reprend pas le Sporting à deux, il va disparaître et tu auras ça sur la conscience, jusqu’à ton dernier souffle. Alors, je l’ai suivi. Il fallait injecter environ 20 millions de francs (500.000 euros) pour payer les dettes fédérales. Nous en avons mis chacun la moitié.  »

Le couple Spaute (président)-Colson (vice-président) est devenu célèbre dans toute la Belgique du foot. Colson parlait, beaucoup, parfois trop :  » J’étais tellement bavard que j’ai fait capoter plusieurs transferts. Spaute me disait alors : -Gaston, ta langue a encore dépassé tes dents. » Spaute était beaucoup plus secret. Lors de chaque match à domicile, il se tenait droit comme un i à la même place dans la tribune officielle. Rarement – voire jamais – souriant.  » C’est vrai que c’était un drôle de caractère « , dit Colson.  » Quand ça n’allait pas, il pouvait rester des heures sans sortir un mot.  » Pas de blabla, des résultats ! Spaute reprend en 1982 un club de D2 exsangue. Les Zèbres montent en 1985. Et quand le président s’en va en 1999, le Sporting est toujours en D1. Dans le livre édité à l’occasion du centenaire du club, il lâche :  » Seuls le Standard, Anderlecht et Bruges ont fait aussi bien. Avec des moyens financiers qui n’avaient rien de comparable. Et au moment de mon départ, Charleroi était un des clubs belges les moins endettés.  »

La sortie du boss s’est faite sur fond de grave crise. C’est la Ville qui a eu sa peau. Des politiciens qui ne croyaient pas en son projet pour pérenniser le matricule : faire venir le milliardaire américano-yougo Milan Mandaric. Spaute nous a dit, quelques années plus tard :  » Toute ma vie, je regretterai qu’on ne m’ait pas suivi dans ce dossier. Mandaric voulait injecter près de 8 millions d’euros au Sporting. Le club a raté le virage de son existence. Mais à partir du moment où mon projet tombait à l’eau, je ne pouvais plus rester. L’atmosphère était très lourde depuis deux ans, c’était usant. Quand j’ai fermé la porte, je me suis même senti soulagé.  »

Suite du programme : les présidences anecdotiques de Luc Frère (au nom de la Ville) et Pol Massart (l’homme de confiance d’ EnzoScifo qui avait décidé de reprendre le Sporting), puis l’arrivée d’ AbbasBayat. Spaute s’y connaissait en foot (les transferts depuis les divisions inférieures de Rudy Moury, Philippe Albert, Dante Brogno, Eric Van Meir, Roch Gérard, Olivier Suray, Marco Casto,… c’était son £uvre), il ne disait pas un mot de trop, il n’avait que des amis dans le milieu, il était respecté et pris au sérieux d’Ostende à Arlon et de Mouscron à Liège, il ne se prenait pas la tête et faisait des miracles avec un petit portefeuille. Bayat, fossoyeur du foot carolo, est tout son contraire sur tous ces plans-là.

 » Nous avons connu des moments difficiles, il nous est arrivé de devoir batailler pour rester en D1 « , se souvient Colson.  » J’ai parfois été découragé ; Jean Pol, jamais. J’ai quitté le club un an avant lui. Jean-Claude Van Cauwenberghe est venu me dire : -On veut le départ de Spaute mais ce serait bien si tu restais. J’ai hurlé. Il fallait que Spaute continue au Sporting. Pas moi. Sous la pression, il a finalement accepté de s’en aller. Nous avons commis une erreur, nous aurions dû être fermes et dire : -Le club nous appartient, nous avons mis 500.000 euros pour le racheter et nous ne partirons que si on nous donne trois ou quatre millions. Je regrette toujours aujourd’hui de m’être laissé faire parce que nous étions en position de force.  »

L’émotion dans la voix de Gaston Colson est énorme quand il évoque son vieil ami.  » Pendant sa maladie, j’allais le voir tous les jours. Un jeudi, il m’a dit : -C’est fini. Le lendemain matin, il n’était plus là. C’est injuste. J’ai 87 ans, c’est moi qui ne devrais plus être sur Terre. J’ai perdu mon quatrième fils.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTO: REPORTERS/ SPRIMONT

 » Jean Pol Spaute m’a dit : -Si on ne reprend pas le Sporting à deux, il va disparaître et tu auras ça sur la conscience. « 

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