MONSIEUR PROPRE

Mogi Bayat est sans doute le manager dont on a le plus parlé lors du mercato. A l’autre bout de la lorgnette, on trouve Sébastien Stassin. Il est l’agent de Sport Assist, une aile du syndicat des joueurs Sporta et est sans doute l’homme de confiance le plus clean de Belgique.

Alors que nous en sommes à peu près à la moitié de notre entretien, la lumière du GSM de Sébastien Stassin s’allume pour la énième fois. Un agent français qui cherche un gardien pour le club d’Angers lui envoie un SMS. De temps en temps, il a Olivier Renard au téléphone. Son carnet d’adresses est manifestement bien rempli. Il a fait office d’intermédiaire lors du transfert de Ludovic Butelle au Club Bruges, a amené Lloris Brogno au Sparta Rotterdam et a débusqué Dennis Appiah à Caen avec l’aide d’un ami français six mois avant que Mogi Bayat ne fasse capoter le transfert et le présente lui-même au Parc Astrid.

Le passage du Hollandais Jerson Cabral, libre de transfert, à Bastia, c’est lui aussi. Tout comme celui de l’inconnu Florian Pinteaux au Sparta Rotterdam. Il a déployé ses tentacules jusqu’en Chine et en Afrique du Sud. Il y a deux ans, il a aidé Andrea Fileccia, joueur anonyme de La Louvière-Centre, en D3, à trouver un club en ABSA Premiership. Aux Free State Stars, on lui en est reconnaissant.  » Je travaille surtout avec les Pays-Bas, la Belgique et la France « , dit Sébastien Stassin, qu’il ne faut pas confondre avec son cousin, Stéphane, joueur d’Anderlecht à la fin des années 90.  » En France, je travaille avec deux agents. Aux Pays-Bas, j’ai une sorte de partenariat avec un bureau d’agents qui travaille également dans d’autres pays.  »

Stassin est un manager à l’ancienne : il n’a qu’un GSM –  » On ne peut quand même pas parler à deux personnes à la fois  » – et utilise le même numéro depuis 20 ans. On le voit rarement dans les hôtels et les restaurants cinq étoiles pour faire du networking ou mettre la dernière main à un transfert.  » Le mois dernier, avec un manager hollandais, j’ai été invité à suivre Anderlecht – Rostov dans la loge d’amis russes. Nous avons laissé tomber le repas et nous sommes allés manger un hamburger dans le stade. Ce n’est peut-être pas très moderne mais je préfère la simplicité. Je sais que les joueurs sont impressionnés par les agents qui ont des grosses bagnoles. Ils se disent qu’ils ont déjà fait de bonnes affaires et les aideront plus facilement à trouver un club ou qu’ils ont de bons contacts. Mais la plupart du temps, c’est du vent.  »

MÈRE TERESA

C’est surtout au niveau de l’éthique que l’ex-joueur du RWDM, de Mons, du CS Bruges, de Zulte Waregem et d’Ostende veut se distinguer des autres agents. Disons qu’il fait du management selon le principe du commerce équitable. Il tente toujours de trouver un arrangement propre, c’est-à-dire avec le moins d’intermédiaires possible, avec un contrat bien ficelé pour le joueur et une commission calculée uniquement sur base du salaire du joueur. Pour Stassin, le nombre de zéros à la fin du prix du transfert ne fait aucune différence. Il touche un salaire fixe et c’est l’ASBL Sport Assist qui empoche la commission. Il ne doit donc pas utiliser de moyens de pression pour pousser un joueur vers tel ou tel club.

 » J’ai signé la plus grosse transaction de ma carrière il y a deux ans « , dit-il.  » C’était un gros poisson : le joueur en question a pris part au dernier EURO et joue à présent en France. Tout était réglé avec le Club Bruges, il ne manquait que la signature du joueur et sa femme a tout fait capoter en dernière minute. Pour moi, pas de problème, je n’ai pas essayé de le faire changer d’avis et je n’ai pas livré son nom en pâture pour faire monter les enchères. Pourtant, mon employeur aurait été heureux que l’affaire se fasse. Mais on ne me met jamais la pression pour que je conclue au plus vite un transfert afin d’augmenter le chiffre d’affaires.

Vous savez où se situe le problème ? En Belgique, il y a autant d’agents que de joueurs professionnels. Maximum 10 % d’entre eux vivent bien. Beaucoup ne sont pas reconnus par la fédération et font appel à des avocats pour signer les contrats puis ils partagent les commissions. Ils n’assurent pas de suivi non plus : ils empochent leur commission et se soucient peu de savoir si leur joueur est envoyé dans le noyau B. Ils veulent surtout éviter d’entrer en conflit avec le club qui les a payés.  »

Stassin refuse de se considérer comme un bon samaritain ou de se prendre pour Mère Teresa. Pour assurer la survie de l’ASBL, il faut tout de même qu’il place un joueur de temps en temps.  » Mais je préfère faire dix petits transferts qu’un gros « , dit-il.  » Je peux vous jurer que nous n’avons jamais refusé un joueur, même s’il vient de D2 amateurs. Nous nous occupons de ce qu’on appelle les cas désespérés. Ça prend du temps et ça ne rapporte pas lourd mais si ce n’est pas nous qui aidons ces gars, qui le fera ?

Il y a peu, un joueur de 19 ans est venu me voir. Il n’avait pas de club, il était complètement dans la m… Je l’ai mis en contact avec un club de D2 amateurs qui cherchait un joueur de -21 ans pour compléter son noyau. Il y joue pour un coca et un sandwich mais il a au moins l’occasion de relancer sa carrière. Autre exemple : j’ai pu placer un joueur que Bruges avait mis dehors en réserves à Lokeren. Les parents m’ont écrit pour me remercier et j’ai précieusement conservé la lettre dans mon bureau. Ce garçon ne rapportera jamais rien à Sport Assist mais, au moins, il s’entraîne chaque jour avec le sourire. C’est pour ça que je fais ce métier.  »

MARCHÉ LIBRE

Il a horreur des agents qui écument les matches de jeunes dans l’espoir de dénicher la perle rare. Pour ceux-ci, des gamins de douze ans sont des enfants-soldats qu’on envoie dans une guerre où tous les coups sont permis.  » Allez faire un tour à Neerpede le week-end « , dit Stassin, légèrement énervé.  » Vous y verrez des gens qui n’ont rien à faire dans des matches de jeunes. Et combien de fois n’ai-je pas entendu un gamin de douze ans dire : Adressez-vous à mon agent ? (il souffle) C’est contraire à toute logique.

Ce sont des enfants. Un enfant doit s’amuser. Je ne comprends pas pourquoi ils ont besoin d’un agent à cet âge. Ne venez pas me dire que les agents se préoccupent du bonheur du joueur. Ils ont une calculatrice en main et se disent que dans trois ou quatre ans, ils pourront gagner beaucoup d’argent sur leur dos. Si un papa ou une maman me demande conseil parce que son enfant peut aller dans tel ou tel club, j’interviendrai. Mais je ne vais pas présenter des gamins dans des clubs ou négocier en leur nom.  »

Comme il travaille dans l’ombre, Stassin n’est connu que par quelques insiders et un petit groupe de joueurs. Il est à l’opposé de Mogi Bayat, l’agent le plus populaire de Belgique. Il préfère travailler dans la discrétion. Lorsque le club effectue la séance-photo avec son nouveau joueur, il est déjà loin, occupé à travailler sur la transaction suivante.  » Un peu de publicité n’a jamais fait de tort, je ne veux pas non plus vivre en ermite « , dit Stassin.  » Je ne demande pas aux joueurs de ne pas parler de moi mais je n’ai pas envie de voir ma tête dans le journal tous les jours. Ce qui m’intéresse, c’est que les personnes directement impliquées dans les transferts apprécient mon travail.

Butelle a-t-il donné le nom de son agent français lorsqu’il a signé à Bruges ? Pensez-vous que cela pose un problème à son agent ? Pas du tout ! Les joueurs savent ce qu’on fait pour eux. Après, ils choisissent de garder leur agent ou d’en changer. Ceux qui ne se soucient que de leur compte en banque changent d’agent tous les deux ans. C’est la loi du marché libre. Chez Sport Assist, nous ne travaillons pas avec des contrats d’exclusivité. D’abord parce que, en Flandre, ce n’est pas réglementaire. Et puis parce qu’en pratique, ça n’a guère de sens puisqu’il suffit d’un simple recommandé pour mettre un terme au contrat du jour au lendemain.  »

Stassin dit ne plus s’étonner depuis longtemps de ce qu’il se passe dans le monde du football.  » Quand j’ai débuté, il y a quatre ans, j’ai directement été confronté à la réalité. Je devais discuter avec un club de D1 et la première question qu’on m’a posée, c’est : ‘Tu acceptes les enveloppes ? ‘ Je n’ai jamais été tenté d’accepter de l’argent noir mais c’est une pratique courante dans le milieu des agents. Tout le monde sait comment certains accords se concluent et ce sont toujours les noms des mêmes agents qui reviennent. C’est pourquoi j’aime mon indépendance et je refuse les propositions des grandes agences de management. Si je quitte Sport Assist, je devrai me conformer à ce que font les autres. Pas besoin de vous faire un dessin…  »

Ses clients savent également à quoi s’en tenir. Stassin n’est pas du genre à leur promettre monts et merveilles ou à les flatter.  » Les joueurs peuvent m’appeler au milieu de la nuit s’ils ont un vrai problème mais pas un truc du genre : l’entraîneur m’a mis sur le banc. Parce que, oui, c’est le genre d’appels qu’on reçoit, hein ! Et à 23h30 bien sûr ! Dans ces cas-là, je réponds : va parler avec l’entraîneur et si ta situation n’a pas changé dans six mois, j’interviendrai. Mais ce n’est pas à moi de demander plusieurs fois par semaine à l’entraîneur de justifier ses décisions. Mon rôle n’est pas de dire aux joueurs qu’ils sont les plus beaux, les plus grands et les plus forts. Je veille seulement à leur bien-être et à leur contrat. Mon rôle s’arrête là.  »

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

 » Je ne comprends pas qu’un gamin de 12 ans ait besoin d’un agent.  » SÉBASTIEN STASSIN

 » La première question qu’on m’a posée, c’est : ‘Tu acceptes les enveloppes ?’  » SÉBASTIEN STASSIN

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