Monsieur l’agent

L’ex-joueur du RWDM, Seraing, Standard et Beerschot n’a jamais voulu devenir entraîneur.

En 1991, tout a été très vite pour Freddy Luyckx, Tubizien né dans une clinique de Hal, le 17 janvier 59 A 32 ans, il annonça au président PaulNagels du Beerschot qu’il ne renouvellerait pas son contrat. Il refusa trois offres du RWDM, du Cercle Bruges et de Seraing, et créa la SA Freddy Luyckx Management, établie à Liège, au capital de deux millions et demi de francs belges.

 » Avant même la fin du championnat, alors que tout était joué, j’ai réussi mes deux premiers transferts, ceux de deux de mes anciens partenaires du Standard, Daniel Nassen au RWDM et Thierry Siquet au Cercle Bruges. Depuis six mois déjà, je savais que je ne deviendrais pas entraîneur, mais manager. Cela me bottait : le contact avec les joueurs, les clubs, les dirigeants, l’intérêt financier qui les lie. Et aussi organiser des matches, bref le foot dans toutes ses dimensions. En marge, j’ai encore joué en Promotion à Prayon, une malheureuse expérience. J’ai aussi accepté de guider les jeunes de Seraing, mais en février, j’ai prévenu le président Gérald Blaton et Francis Nicolay que je me consacrerais dorénavant à 100 % à mon affaire « .

Ex-ailier droit de Tubize, en 2e Provinciale, et du RWDM, puis arrière latéral en piston à Seraing, au Standard et au Beerschot, Freddy rejoignit, entre autres, dans la corporation des agents de joueurs, les anciens internationaux Fernand Goeyvaerts et Yves Baré, le manager anversois Louis De Vries et le Yougoslave Vlado Pavkovic.

 » Nous n’étions pas nombreux à l’époque et je m’entendais très bien avec eux, Baré et De Vries m’avaient d’ailleurs transféré comme joueur. Depuis nous n’avons plus de contacts, c’est comme ça dans le job, la concurrence joue. J’étais alors le plus jeune ; depuis, avec 12 ans d’expérience, j’ai élargi mes activités, et m’occupe, entre autres, d’un tournoi annuel interentreprises de golf, mais le foot reste l’essentiel. Avec quelques variantes, j’ai été actionnaire du tournoi Edhem Sjlivo, puis du RWDM. Quand le club a chuté, on a essayé de m’impliquer en sous-entendant que j’en tirais de l’argent… Au contraire, de l’argent on m’en doit… Quand j’y pense, ça me retourne l’estomac ! Passons… Le métier a beaucoup évolué et a été rigoureusement réglementé. Logique, n’importe qui se voulait manager, même ceux qui n’ont rien à y voir. Pour freiner, la FIFA imposa une licence, et la Région flamande aussi. Aujourd’hui, chaque manager dépend de sa fédération nationale. Jusqu’il y a trois ans, une caution de cinq millions de francs était exigée… dur pour un débutant. Elle a été remplacée par une assurance à responsabilité professionnelle. De plus, chaque candidat est examiné par deux responsables de l’Union Belge, gestion économique et sportive, règlement… Le personnage est ainsi mieux cerné et, en deux ans, il y eut un sérieux écrémage. Je suis en ordre sur tous les plans, je transfère en national et en international… FrédéricHerpoel d’Anderlecht à La Gantoise, NourreddineZiyati de l’Antwerp au Rapid Bucarest, Laurent Wuilliot du Standard à Ajaccio, Alexandros Kaklamanos de Gand au Standard « .

 » C’est quoi un joueur difficile ? »

 » Parfois le transfert grince un peu. En casant Frédéric Pierre au Standard, j’étais certain de sa réussite. C’était un club pour lui, mais ce fut le contraire. Frédéric n’est pas l’homme qu’on croit généralement, j’en veux pour preuve ses huit sélections internationales au RWDM et à Mouscron. Depuis quelques saisons, je me charge aussi de Christopher Fernandez que j’avais ramené à Charleroi après un écolage à Nancy, où il se morfondait, trop isolé. Un caractère difficile ? Il a du caractère, c’est tout. Etre difficile, c’est ergoter sur des détails : -Mes lacets, mes bas, et ci et ça… Il n’aime pas le banc, c’est vrai. Actuellement, je travaille avec une trentaine de joueurs, mais suis aussi parfois mandaté par un club. Ainsi, récemment, j’ai prospecté à l’étranger pour le Lierse. Généralement, les clubs ont un manager attitré, mais celui-ci ne peut tout faire et délègue en partie. Ma longue expérience me vaut le crédit d’entrer dans ce type de mission. Mais, je le répète, je suis un manager indépendant et ne perçois de salaire de personne. Je suis souvent dans la tribune des matches internationaux de nos jeunes, en anonyme et sans contact avec l’entraîneur. Un récent Tchéquie-Belgique -19, par exemple, m’a beaucoup intéressé « .

Au Standard, à la fin des années 80, Freddy eut affaire, comme joueur, au milliardaire californien Milan Mandaric intéressé par la reprise du club.  » Je ne connaissais rien du dossier, mais vis-à-vis de moi, il a été tout à fait correct. Lorsque le Club Brugeois m’a approché, la direction ne voulut pas me lâcher et j’étais très déçu. Mandaric m’a téléphoné d’Amérique et m’a obtenu une solide compensation. Un homme de parole. Un soir de Coupe d’Europe, contre le FC Tirol, Bernard Tapie s’est pointé dans la tribune. Il guignait le Standard, disait-on. Un peu plus tard, un dirigeant du club fut invité à Marseille, sans suite. On a dit qu’il était apparu à Sclessin pour se faire un coup de pub, avant une émission télé à Bruxelles. Un personnage de son envergure avait-il besoin de ça ? Où veux-je en venir ? Mandaric et Tapie avaient peut-être vraiment de l’intérêt pour le Standard… En ce cas, ils étaient simplement en avance sur leur temps. Tapie était le patron de l’Olympique de Marseille ? Et alors ? Aujourd’hui, le grand boss de Marseille est aussi celui du Standard, non ? Mandaric et Tapie étaient peut-être des précurseurs. Ceci dit, depuis au moins dix ans, le foot a échappé aux hommes du foot. Je suis toutefois persuadé qu’il leur reviendra, l’argent se faisant plus rare « .

Quatre hommes furent à la base du premier transfert de Freddy, et alors ailier Scolaire du FC Tubize : son entraîneur Florent Vandevelde (ex-Daring), le sélectionneur provincial Jean Braekman, Philippe Collin entraîneur des û16 scolaires du RWDM et Michel Verschueren, manager du club.

La grande équipe de Seraing

 » A 18 ans, Michel Verschueren me proposa un contrat pro, à 30.000 francs par mois, et j’ai débuté dans une équipe qui comportait beaucoup de talent : Maurice Martens, Ruiter, Olsen, Boskamp, Nico Jansen, Susic… A mon sens, le RWDM était un grand club, à cette époque. Premier entraîneur, Piet De Visser, puis le Tchèque Alex Horvat m’offrit ma chance, et Jean-Pierre Borremans nous emmena en Coupe UEFA 80-81 contre Torino. Nous avions terminé troisièmes en championnat derrière Bruges et le Standard mais devant Lokeren et Anderlecht. Torino faillit nous réussir, battus 1-2 ici, mais à 1-2 à Torino aux 90 minutes ; CiccioGraziani a alors porté le coup de grâce dans les prolongations « .

En 80, au bout de sa troisième saison molenbeekoise, Freddy refusa une offre d’Yves Baré, entraîneur de Seraing en D2. Un an plus tard, alors que les Sérésiens venaient de louper le tour final, Baré revint à la charge. Il cherchait un ailier droit capable de se muer en défenseur, type Eric Gerets et Maurice Martens :  » J’ai dit oui. J’avais une forte envie de relever ce défi, et mon entente avec l’entraîneur Cor Brom n’était plus parfaite. En fin 81-82, après un match de barrage gagné au Beerschot sur un but d’ IdoCremasco, nous sommes montés. Cremasco était un super meneur de jeu qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Cette équipe sérésienne avait d’ailleurs beaucoup d’allure avec les Péruviens Oblitas et Rojas, Nico Claesen, Kerremans et Lakner. Baré m’a casé à l’ arrière droit alors qu’à Molenbeek j’étais parfois médian. Six mois après, en pleine saison, Georges Heylens a succédé à Baré nommé manager. Jules Bocandé (Tournai) et le Danois Bertelsen vinrent renforcer le groupe le plus homogène que j’ai connu dans ma carrière. Heylens alignait le plus souvent l’équipe suivante : Kerremans ; Luyckx, Rupcic, Grosjean et Patrick Gorez ; Bernardi, Cremasco et Bertelsen ; Bocandé, Oblitas et Claesen. L’avenir nous réservait du beau et du triste. La saison suivante, avec Beveren, nous avons joué en tête les deux-tiers du championnat, puis la hantise de la faillite nous a coupé les jambes. On s’est mis à perdre et l’Europe a été ratée de deux points derrière le Standard. Restait une chance européenne, que le Standard batte La Gantoise en finale de la Coupe, mais ce fut l’inverse « .

Après avoir secoué le foot belge, Seraing, bourse à plat, dut laisser filer la moitié de son capital-joueurs pour la saison 84-85. Le Standard engagea Luyckx, Beveren Gorez, Stuttgart Claesen, et Metz Bocandé.

 » Jules jouissait d’une forte cote, méritée d’ailleurs. On le disait fantasque, inconstant, difficile à contrôler, moi, j’ai côtoyé un attaquant régulier dans ses prestations et qui profitait des plaisirs de son âge. Il ne faut pas toujours se fier à la réputation d’un joueur « .

A Sclessin, Freddy fit la connaissance de Horst Hrubesch, déjà là depuis 83. Cet attaquant allemand – physique de bûcheron et terrible tronche -, avait assommé les Diables Rouges en finale de l’EURO 80.  » En mai 84, peu avant mon arrivée, il avait mené le Standard, très affaibli par les sanctions de l’affaire de corruption avec Waterschei, en finale de la Coupe face aux Gantois. Horst a été poissard à Sclessin : à 33 ans, souvent blessé, il courait avec un gros bandage à la cuisse, mais il était toujours volontaire et enthousiaste. Il est parti en 85 et j’avais eu le plaisir de lui dessiner quelques ballons sur son redoutable front. En cinq saisons, cinq entraîneurs ont défilé, Pilot, Pavic, Desayere, à nouveau Pavic, Vliers et Braems. Avec Pilot, j’ai retrouvé l’UEFA contre Glentoran et Cologne avec Schumacher, Littbarski, Allofs et Lehnhoff, qui nous a éliminés. Deux saisons après, sous Pavic, avec Renquin et Czernia, j’ai joué un rôle face à NK Rijeka et Swarovski Tirol et sa star Hansi Müller. A Rijeka, j’ai servi Nico Claesen pour le 0-1, et, un mois plus tard, à Sclessin, face aux Tyroliens, j’ai réussi le but de l’espoir. Je m’explique : 2-1 là-bas, mais 0-2 ici, puis, en un quart d’heure, 3-2, avec le numéro trois à mon compte, à une demi-heure de la fin. Un quatrième et c’était la qualification mais il n’est pas venu malgré une kyrielle d’occasions. Nico en aurait peut-être chopé une, mais il était déjà parti à Tottenham « .

Un grand but avec les Rouches contre les Mauves

Mais le but de Freddy dont tout le Standard – supporters, dirigeants, joueurs, médecins, kinés – fut dingue durant 15 ans, est celui qu’il planta, à Sclessin, via les deux poteaux de Munaron, contre Anderlecht en 86. Ce 1-0, il fallut, en effet, attendre la saison 2001-02 pour que Moreira lui donne un petit frère. Entre-temps, les Liégeois avaient bien défait le Sporting chez lui, mais au pied du terril, que des nuls et des défaites. Chaque année, l’espoir d’enterrer Luyckx et son but de légende était énorme. Freddy avait dédié son chef d’£uvre à son fils né un mois après, et le gamin avait 15 ans lorsque Moreira scora.

 » C’est au bout de ma troisième saison, en 87, que Bruges et Henk Houwaart me firent signe. J’en étais très fier. C’était la grande équipe du duo CeulemansDegryse. J’étais prêt à les rejoindre mais le Standard fit le forcing pour me garder et c’est alors que Mandaric intervint. J’ai resigné un très bon contrat de trois ans, pas de quoi me plaindre, finalement. Mais, ainsi va le foot… Un peu plus d’an après, le secrétaire général Roger Henrotay changea de politique et man£uvra pour remplacer quelques anciens, Czernia, Renquin, Vandersmissen et moi, entre autres. C’était son droit, évidemment… Il me proposa à Charleroi, Van Lessen était intéressé mais pas le directeur technique André Colasse. En 87 et 88, des négociations de fusion entre le Standard et Liège alourdirent l’atmosphère, mais rien ne se concrétisa. Je suis resté jusqu’à la finale de la Coupe 89 alors qu’après la demi-finale contre Liège, on m’a poussé vers la sortie. A Sclessin, 0-1, Braems me met sur le banc pour le retour à Rocourt et gagne 1-2. Rien à redire, mais j’étais sûr qu’il me relancerait en finale contre Anderlecht dont le flanc gauche AndersenVervoort contre-attaquait vite et sec. Et comme j’étais rapide… Braems ne m’a appelé qu’à huit minutes de la fin, une erreur tactique à mes yeux. Comme en 88, Anderlecht nous a battus 2-0 au Heysel. Je râlais, décidé à plier bagage. J’ai quitté le Standard sur le seul coup de tête de ma carrière. Braems fut remercié avant le début de la saison suivante, et, plus tard, son successeur Georg Kessler m’a dit personnellement qu’il avait regretté mon départ « .

Courtrai et un club grec de bonne tenue étaient preneurs, mais Freddy se laissa tenter par le Beerschot pourtant en sérieuses difficultés financières.  » Mais je retrouvais Georges Heylens qui insistait. Il a été mon meilleur entraîneur. A Seraing, il avait donné une impulsion décisive à ma carrière d’arrière latéral « .

Le transfert fut original dans sa signature. Freddy était à Zaventem en train de partir en vacances quand il fut rejoint par un dirigeant contrat à la main.  » Une équipe bien balancée avec Tahamata, Brylle, Daerden et Pinter, mais que de problèmes extra-sportifs ! En ouvrant les placards, Heylens s’est sauvé au bout de quelques semaines pour Charleroi. Koudijzer lui a succédé et, après un premier tour difficile, le deuxième fut extra avec une sixième place à la clé. Plusieurs anciens, sans nouveau contrat, sont partis, et la seconde saison fut pénible. Je m’entraînais avec des pieds de plomb. Ma reconversion était proche « .

Des quatre clubs que Freddy défendit en D1, seul le Standard est toujours là. Seraing a été absorbé par le Standard, le RWDM tente de survivre en Provinciale et le Beerschot, fondu dans le GBA, ont connu un triste destin. Ainsi va le foot, Freddy !

 » Depuis dix ans, le foot a échappé aux hommes du foot, mais il leur reviendra  »

 » Quand le RWDM a chuté, on a dit que j’en tirais de l’argent. Au contraire, on m’en doit « 

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