Monsieur 383 buts

Pro de 16 à 36 ans, l’ex-centre-avant turc explique que pour marquer sur le terrain et dans la vie, il vaut mieux toujours avoir une idée d’avance.

Rencontre avec Hakan Sukur, une légende vivante du football turc et européen, le Taureau du Bosphore, tout juste 38 ans. Une longévité exceptionnelle : en juin 2007, il marquait encore pour la Turquie en Bosnie en qualifications pour l’EURO 2008. Et en novembre 2007, il claquait son dernier but européen contre Panionios en Coupe de l’UEFA avec le club où il a le plus joué : Galatasaray (383m/228b en trois époques). Il avait débuté comme pro à 16 ans (comme Romelu Lukaku, tiens !) à Sakaryaspor et a tenu 20 ans !

On l’avait rencontré en mai dernier, avant la dernière finale de Coupe de l’UEFA, dans un restaurant d’Istanbul, lors d’une interview organisée par nos amis du journal sportif turc Fanatik. Hakan est arrivé décontracté, à l’heure et en pleine forme. Pas rasé (c’est mode), mocassins de daim et une simple chemise par-dessus le jeans ; et en famille (madame, deux filles et un garçon qui sont directement partis à une autre table). Il restera longtemps avec nous avant de la rejoindre, ne mégotant pas sur son temps. La classe ! Il pèse au bas mot 30 millions d’euros mais n’est pas snob pour une livre turque.

 » On a le temps, je passe de toute manière énormément de temps en famille « , commença-t-il par dire sans la moindre trace d’ironie machiste.

Hakan a toujours été un dur sur le terrain, mais aussi un pur :  » Je suis en train de terminer tous mes diplômes d’entraîneur en Turquie, avec les reconnaissances UEFA et FIFA. Et après, je vivrai en Angleterre pendant la première partie de la saison. J’ai loué une maison à Londres où je veux perfectionner mon anglais et suivre un maximum d’entraînements de clubs de haut niveau. « 

Vous partez en voyage d’études, quoi…

Hakan Sukur : Exactement. J’ai toujours agi comme cela dans ma carrière de joueur : toujours vouloir m’élever ( sourire… car Hakan était très fort de la tête). Je veux apprendre ce qui me manque. J’étais un attaquant et je sais comment il faut attaquer mais je ne sais pas vraiment comment il faut défendre. Quand on n’a pas de base personnelle dans un secteur, il vaut mieux étudier.

Vous pourriez faire la même chose en Italie, où vous avez joué.

Oui, je pourrais, mais je trouve que c’est surtout en Angleterre que le jeu est en pleine évolution. Et je veux aussi montrer l’exemple aux techniciens turcs. Ils doivent comprendre que le jeu change et qu’il faut constamment aller où les gros bouleversements se passent.

Vous avez l’air d’avoir autant la pêche que lorsque vous étiez joueur, non ?

Merci. Je passe encore pas mal de temps à m’entraîner. Mon but est non seulement de garder la ligne pour continuer à pouvoir rentrer dans ma collection de costumes italiens, mais aussi de rester en forme et de mener une vie saine. Je joue aussi régulièrement au basket, des trois contre trois avec des copains : il ne faut pas oublier que quand j’étais jeune, j’étais pro en foot et en basket ! Le basket est d’ailleurs le meilleur moyen de rester en forme, je trouve.

Quelles sont vos ambitions en coaching… car vous n’allez pas étudier toute votre vie !

Non, bien que les grands coaches doivent le faire, non ? Je veux en tout cas débuter dans le métier d’ici la saison 2010-2011. Je n’ai pas besoin qu’un grand club m’engage pour débuter ; mais d’un club qui a envie de progresser. C’est une grosse différence d’approche… et c’est très difficile de trouver un bon club qui veut se donner les moyens de progresser. Quand on discute calmement des progrès à réaliser, tout le monde a l’air d’accord. Et puis, le championnat commence et il n’y a plus que les résultats qui comptent et le coach est visé. En turc, il y a un dicton qui dit  » quand tu pointes quelqu’un du doigt, tu diriges toujours trois doigts vers toi-même « . C’est vrai, mais quand un coach commence à être critiqué, tout devient vite très dur pour lui…

Fan d’Ibra !

Que pensez-vous des attaquants contemporains ?

Il y en a de tous les types, mais c’est vrai que plus vous êtes physique, plus vous avez de chances de vous imposer. Il y a énormément de bons joueurs, comme Lionel Messi dont le nom est sur toutes les lèvres. J’espère simplement de tout c£ur que les arbitres feront tout ce qu’il faut pour le protéger. Mais c’est quand même dans Zlatan Ibrahimovic que je me retrouve le plus. J’aime beaucoup le voir jouer. Et pas parce qu’il vient de l’Inter… où j’ai aussi joué. D’ailleurs, je n’aurais normalement pas dû aboutir là. C’est surtout Milan qui me voulait et, après coup, j’ai été très déçu de ne pas avoir signé là-bas parce que ç’aurait été bien meilleur pour ma carrière.

Et l’équipe turque actuelle ?

Elle est irrégulière mais elle compte de très bons joueurs. Le problème de l’équipe nationale réside dans le fait que les clubs turcs ne jouent pas assez en Champions League. Les joueurs n’ont pas le niveau qu’ils pourraient atteindre à cause d’une politique sportive insuffisamment ambitieuse. C’est ce que j’évoquais il y a une minute : sous la pression des résultats, on change trop de choses trop vite. Or, on a des exemples de succès ici. Prenez Fatih Terim, le coach national. Il a fait son chemin dans les sélections nationales jusqu’à qualifier l’équipe A pour l’EURO 1996. C’était la première fois que cet honneur revenait à la Turquie. Ensuite, il est devenu coach de mon club, Galatasaray. On a gagné quatre championnats nationaux et finalement la coupe de l’UEFA 2000. Attention, tout n’a pas toujours été facile pour lui. Heureusement, il a pu compter à des moments importants sur des gens qui ont eux la patience nécessaire et c’était parti.

Ce ne sont pas que les dirigeants qui doivent avoir la mentalité adéquate, n’est-ce pas ?

Non, bien sûr. Tous les jeunes entraîneurs veulent les meilleures conditions de travail possible mais ne sont, eux-mêmes, pas toujours assez résistants mentalement. Tout le monde ne s’appelle pas José Mourinho… Lui, il a vraiment commencé à zéro, comme traducteur ne faisant même pas partie du staff technique à proprement parler et puis, petit à petit, tout s’est enchaîné pour lui.

Vous allez débuter votre carrière de coach en Turquie ?

Je ne sais vraiment pas. Je pense que ce serait mieux de commencer à l’étranger et de réussir là-bas avant de revenir au pays. On n’est jamais prophète en son pays. Si je réussis quelque chose hors de Turquie, on aura beaucoup plus tendance à m’écouter une fois que je reviendrai. Ce n’est pas facile de changer la mentalité en faisant de la théorie. Par contre, quand on peut s’appuyer sur du vécu et des exemples concrets, ça marche beaucoup plus facilement. Et puis, je me connais. Je ne ferai jamais de longs discours car j’espère toujours pouvoir prouver les choses par l’exemple. Je ne suis qu’un humble étudiant du foot.

Vous avez un modèle ?

Actuellement, j’aime beaucoup ce que réalise Pep Guardiola. Il est très généreux comme coach et comme être humain. Les deux vont ensemble, probablement. En football, il faut énormément semer pour récolter. Je me souviendrai toujours du Mondial 2002. Je n’avais plus marqué depuis onze semaines et j’étais fort critiqué. Et puis, j’ai marqué le but qui nous a permis de battre la Corée 2-3. Après 10.8 secondes !, un record dans l’histoire de la Coupe du Monde d’ailleurs.

Quel effet ça va vous faire de voir la Turquie jouer à Bruxelles en qualifications de la Coupe du Monde ?

Bon, la Turquie peut toujours terminer deuxième ( NDLR : c’est valable depuis mai dernier), mais Bruxelles, pour moi, restera à jamais un bon souvenir. C’est dans ce stade que j’ai marqué les deux buts contre vous lors de l’EURO 2000. J’étais très étonné, car j’ai eu l’impression qu’en Belgique on ne savait pas qu’on me surnommait aussi l’Ascenseur… L’EURO est aussi un projet pour moi, surtout l’EURO 2016 puisque je fais partie du comité de la fédération turque pour obtenir cette organisation. C’est un projet superbe auquel je crois beaucoup.

par john baete, à istanbul

« Je fais partie du comité de la fédération turque pour obtenir l’EURO 2016. »

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