« MON TITRE AUSSI »

Visite dans la campagne vénitienne chez le milieu de terrain qui était une icône mauve. Vit-il une simple parenthèse ?

Trévise, la ville choisie par Walter Baseggio pour se relancer, vit dans l’ombre de Venise, sa voisine. Ici, il n’y a pas de lagune mais l’art de vivre régional est bien présent. Située à 40 kilomètres de la cité des Doges, Trévise fait naître moins de passion. Pourtant, la ville ne manque pas de charme et d’attraits. Calme mais animée, tapie derrière ses remparts, Trévise transpire la prospérité et le bien-être. Comme en témoigne l’enfilade des grandes marques italiennes qui ont élu domicile dans l’arrière-pays. C’est ici qu’ont débuté les légendes de Benetton et Sisley (vêtements), Segafredo et Lavazza (café), Lotto ou Diadora (articles de sport).

A Trévise, tout marche : basket, rugby et volley. Toutes des formations qui émargent à l’élite européenne. Depuis une saison et un peu par hasard, le football s’est invité à la fête. Suite aux nombreuses rétrogradations financières, Trévise, 5e de la Série B, a été invitée à participer au championnat de Série A. Dans un pays qui voue un culte au Calcio, le petit stade de 10.000 places a vécu cette saison une fête permanente. Pourtant, un an plus tard, le club retrouvera la Série B.

 » Ils sont montés trop vite. Ils n’étaient pas prêts et cela s’est vu lors du premier tour « , explique un Baseggio affûté, ancienne icône du Sporting, qui aura fêté le titre des Mauves, loin de Bruxelles, lui qui a participé à 10 rencontres cette saison mais qui fut prié d’aller exercer son talent ailleurs.

As-tu l’impression que le titre d’Anderlecht est le tien ?

Walter Baseggio : Bien sûr. Au moins, à moitié. J’ai débuté la saison avec le Sporting et j’ai toujours dit qu’Anderlecht était gravé dans mon c£ur. C’est un drôle de titre mais c’est un titre.

Un drôle de titre ?

Au premier tour, on a pris quasiment le même nombre de points qu’au deuxième. Avec Jean Dockx, on avait terminé à la troisième place avec 76 points. Ici, on est champion avec 70 points. D’habitude, on a toujours un club qui fait une saison de tonnerre. Cette année, ce ne fut pas le cas. Tant mieux pour le spectateur.

 » Il était temps de partir  »

Tu étais le premier à dire, en janvier, qu’il était temps que tu partes d’Anderlecht…

J’ai toujours affirmé que je m’étais toujours bien senti à Anderlecht mais c’est vrai que les derniers mois, avant mon transfert, ont été très durs. Un jour, je jouais, le lendemain pas. Mentalement, c’était difficile. J’ai pourtant disputé quelques rencontres et j’ai prouvé que cela allait mieux mais on ne m’a pas laissé montrer sur la longueur ce que je valais. Malgré tout, je n’ai perdu ni confiance, ni mon jeu. Finalement, je n’ai pas vécu mon départ d’Anderlecht comme une déception. Au contraire, cela m’a fait du bien.

Avec du recul, comment expliques-tu être arrivé dans une impasse chez les Mauves alors que tu symbolisais en quelque sorte ce club ?

Dans le football, il y a beaucoup de paramètres qui interviennent. Cela faisait dix ans que j’évoluais en équipe Première et il y a un moment ou un autre où cela devait aller moins bien. Et c’est arrivé maintenant, c’est tout ! Cela peut être de ma faute mais cela peut aussi être un peu celle du club. J’assume ma part de responsabilité mais je voulais surtout prouver que je n’avais pas perdu toutes mes capacités dans l’aventure.

Et quelle est ta part de responsabilité ?

Moi, je n’ai jamais critiqué personne et parfois, dans les journaux, je lisais des choses que je ne pouvais pas admettre. Je suis parfois trop gentil, comme on me le reproche mais je ne suis pas ce genre de joueur qui va critiquer le club par voies interposées. Quand on a un reproche à me faire, je préfère qu’on me le dise en face.

Mais dans le jeu ?

Je n’ai pas toujours évolué à mon niveau mais ce n’est pas évident de toujours sortir des grandes rencontres quand on vous fait jouer par à-coups. Je n’avais besoin de personne pour me remettre sur les bons rails. Je n’ai toujours fait confiance qu’à moi-même. C’est vrai que parfois, je verse dans la facilité. J’ai un caractère assez doux et je prends trop les choses à la légère et cela peut être un tort pour moi.

 » On n’est pas toujours le roi et il faut l’accepter  »

Quel bilan tires-tu de tes années anderlechtoises ? As-tu l’impression d’avoir progressé depuis 2001 ?

En 2001, on avait un groupe qui pouvait tout gagner en Ligue des Champions. Et quand on évolue avec des joueurs de ce niveau-là, c’est beaucoup plus facile pour tout le monde. Les années suivantes ont été moins bonnes. C’est comme cela. Je ne suis pas le seul joueur à connaître de tels cycles.

Tu te décris finalement comme un joueur qui hisse son niveau de jeu lorsqu’il évolue aux côtés de grands joueurs ?

Oui. Quand l’équipe est moins performante, cela devient moins facile pour moi car j’ai moins le ballon, moins d’opportunités de faire la différence. Et à ce moment-là, ma forme va et vient. Comme de nombreux joueurs d’ailleurs. Au début de saison, Mbo Mpenza a cassé la baraque et puis, ce fut un autre. Ce n’est pas pour rien que l’on joue à 11. Un club, cela se compose en équipe. Je ne sais pas faire la différence tout seul. Si Anderlecht a si bien fonctionné en 2001, c’est parce que tout le monde a atteint un haut niveau en même temps.

Tu veux dire que l’on attendait trop de toi…

Oui. J’ai toujours essayé de donner le meilleur de moi-même mais on doit accepter qu’à un moment ou un autre, cela aille moins bien. Si je juge mon parcours, je dois admettre que je n’ai plus beaucoup évolué depuis 2003. C’est comme cela. De 1998 à 1999, j’avais déjà connu un creux. Puis de 1999 à 2003, je me suis beaucoup amélioré. Depuis lors, c’est de nouveau stable. Mais je sens que cela va repartir. J’arrive à un bon âge. Je vais avoir 28 ans et mon passage en Italie m’a apporté énormément.

Et que penses-tu de toutes les étiquettes qu’on t’a accolé. Paresseux…

… ( il coupe). C’est faux. Depuis quelques années, je n’ai plus connu de blessures. Je suis tous les jours au poste. A l’entraînement et en match. Parfois, à un entraînement ou l’autre, tu n’es pas le roi. Tu te sens moins bien et il faut l’accepter. Tout cela vient de mon caractère. Je suis parfois trop gentil et on tire alors les conclusions. Mais cela fait dix ans que je possède le même caractère. Ce n’est pas maintenant que cela va changer.

Et puis, il y a eu de nombreuses discussions sur ta position. Médian défensif ou n°10 ?

On a beaucoup parlé de ces choses-là. A Trévise, je dois remplir une tâche défensive. Récupérer et jouer vite et juste. On ne me demande pas de prendre le ballon, de faire le jeu, d’aller marquer…

 » Anderlecht en demandait trop  »

Tu penses qu’on t’en demandait trop à Anderlecht ?

Voilà. Chaque joueur a ses capacités propres. Techniques et physiques. Moi, je suis un joueur de la dernière passe, qui donnait un tempo à l’équipe.

Mais les milieux modernes doivent maintenant savoir tout faire : récupérer, donner des assists et marquer.

Quand je regarde Barcelone, je vois qu’à Xavi et Iniesta, on ne leur demande pas d’être devant le but. A Milan, ce n’est pas le rôle d’Andrea Pirlo de marquer. Il y a d’autres éléments chargés d’effectuer ce boulot. Dans chaque club, il y a deux centres-avants, deux ailiers, un médian offensif. Ce sont eux qui doivent trouver le chemin des filets. Tu ne sais pas être devant le but dans toutes les actions. Parfois, cela arrive mais pas tout le temps. Pour moi, ce n’est pas un problème de le faire. Pendant 45 minutes. Pas plus car après, tu n’as plus les jambes pour à la fois récupérer et ensuite marquer.

Et finalement à Trévise, tu évolues comme récupérateur ?

On est deux en pare-chocs défensifs. Souvent, celui qui est à mes côtés ratisse et sait qu’il doit directement me passer le ballon que je transmets à la ligne d’attaque. Les deux médians défensifs n’ont pas une tâche identique. Cela ne sert d’ailleurs à rien d’effectuer le même travail. C’est comme à Milan : il y a Gennaro Gattuso qui arrache et Pirlo qui joue. Ici, chacun a un rôle bien spécifique aussi.

En cas de retour à Anderlecht, on te voit généralement plus comme un remplaçant de Pär Zetterberg mais finalement, ne serais-tu pas l’élément idéal pour suppléer Yves Vanderhaeghe ?

Je ne suis le remplaçant de personne. Je suis un milieu de terrain, c’est tout. Je n’ai pas les mêmes caractéristiques ni de Zetterberg, ni de Vanderhaeghe.

Mais tu as quand même une position favorite : celle de Zetterberg ou celle de Vanderhaeghe ?

Je me sens mieux à la place d’Yves car je suis un pion qui aime jouer simple, en un temps vers les attaquants. Pour moi, un milieu de terrain, c’est ça. Et qu’on ne vienne pas me dire que je ne saurais pas évoluer à cette position. Avec Jean Dockx, c’est là que j’ai terminé la saison.

L’Italie, rêve assouvi

Cela fait quelques années que tu parles de la Série A mais ne te voyais-tu pas plus haut que Trévise ?

J’étais dans une impasse à Anderlecht et voilà, je suis maintenant ici. Mais pour moi, ce n’est pas un constat d’échec. La Série A, c’est de l’expérience supplémentaire. C’est comme si je disputais 15 à 20 matches de Coupe d’Europe. Il faut avoir du respect pour tout le monde. Même pour moi qui aurai évolué dans le plus prestigieux championnat d’Europe.

Il t’a fallu un petit mois avant de faire ton trou à Trévise. Tu n’as jamais douté ?

J’ai débuté mon séjour par une petite blessure au mollet et l’entraîneur m’a dit qu’il me faudrait deux à trois semaines de préparation pour revenir. Et à partir du moment où je suis rentré dans l’équipe, je ne l’ai plus quittée – NDLR : 13 matches dont 10 titularisations. Que ce soit sous Alberto Cavasin, le précédent entraîneur, ou Diego Bortoluzzi, le nouveau. Le premier était plus impulsif, l’autre plus calme.

Mais en arrivant, tu pensais avoir le niveau de la Série A ?

La Série A, ce n’est pas n’importe quoi. Je le savais et je voulais voir où je me situais par rapport à ce championnat. J’ai rencontré la Juventus, Palerme, Milan, la Sampdoria, toutes des équipes réputées et on est toujours sorti la tête haute. Quand tu arrives dans un club, le premier match est toujours délicat à gérer. J’ai fait ma première apparition contre l’Inter le 18 janvier (20e journée) : je suis monté au jeu à dix minutes du terme. Ma première titularisation c’était à la Sampdoria (23e journée, 1-1) et cela n’a pas été facile mais quand tu comprends le déroulement de chaque semaine, le métier rentre. Maintenant, plus la semaine avance et mieux je me sens.

Ton rêve s’est en quelque sorte réalisé ?

Oui. D’autant plus que c’est dans la région de ma famille. Cela a certainement facilité mon intégration. Au début, je sentais que l’on m’attendait au tournant. La presse, ici, est très agressive. Il y a trois journaux locaux mais j’ai toujours eu une bonne entente avec eux. Ils ont toujours bien parlé de moi ( il sourit).

Un cran au-dessus

Comment définirais-tu le Calcio ?

C’est un cran au dessus. A tous les niveaux. Surtout dans l’encadrement. A Trévise, on dispose de trois entraîneurs, un pour les gardiens, deux préparateurs physiques, trois kinés et trois docteurs. Pourtant, c’est un petit club. Dans les grosses cylindrées, tu peux compter le double de staff. Il y a également trois responsables du matériel. Quand on se rend au match, on ne s’occupe de rien. Même pas du shampooing. Lors de mes débuts, je prenais mon sac et je préparais mes chaussures mais tout le monde m’a demandé ce que je faisais ( il rit). Au niveau du jeu, toutes les équipes produisent du bon football. Demandez à la Juventus si c’est facile de se déplacer à Trévise ! ( il sourit). Par exemple, Cagliari m’a fortement impressionné. Chievo a également un niveau incroyable.

Et Trévise ?

C’est un club familial. Tout le monde a toujours le sourire et il n’y a jamais de pression. Rien ne pose problème. Quand il manque quelque chose, cela ne va pas gueuler. On reste dans la tranquillité. Mais il paraît que c’est comme cela aussi dans les grands clubs…

Comment se passe une semaine-type en Italie ?

Il y a le travail physique au début et la tactique en fin de semaine. Le match a lieu le dimanche. Lundi, c’est congé. Mardi, c’est poussé mais les préparateurs physiques savent ce qu’ils font : ils connaissent les qualités individuelles de base de chaque joueur et savent donc ce qu’il faut travailler en fonction des derniers tests effectués. Tout se déroule par groupes de deux à trois joueurs. Avec moi, par exemple, on travaille toujours l’aérobie et je dois effectuer souvent des courses de 300 mètres car on sait que je n’ai pas des capacités d’endurance. Après les séances du mardi et mercredi, on s’attend à être sur les genoux mais tout est parfaitement dosé. Et puis, jeudi et vendredi, c’est plus tactique.

Finalement, tu as l’impression que ce fut le bon choix ?

Oui. Pour moi, mon passage à Trévise est réussi. On a disputé de bonnes ren- contres mais on a connu une malchance incroyable. On a encaissé six fois dans les arrêts de jeu. On pourrait avoir 15 points en plus. Le club a manqué d’expérience.

L’avenir

Ton avenir se situe-t-il encore ici ? Le club chute en Série B mais aimerait te garder…

Pour le moment, je ne sais vraiment pas où je serai la saison prochaine. Anderlecht, c’est la Ligue des Champions et tout ce qui tourne autour mais ici, c’est l’Italie. C’est pour le moment Anderlecht qui détient les clés du dossier et on verra ce que le club décidera. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais oublié Anderlecht. Les supporters continuent à me suivre et certains viennent me rendre visite à Trévise, régulièrement.

Mais les dirigeants anderlechtois ont clairement dit que Baseggio ne faisait plus partie des plans d’avenir…

Cela ne me pose pas de problème mais j’aimerais qu’on me le dise en face.

Et quand tu lis de telles déclarations…

… Cela fait mal. Très mal. Par rapport à tout ce que j’ai donné pour ce club. Je ne sais toujours pas pourquoi l’entraîneur ne me fait plus confiance. Je crois que je ne connaîtrai jamais la réponse. Mais si je reviens à Anderlecht, je me donnerai à 100 %.

Et tu te vois en Série B ?

Pourquoi pas ? C’est tout aussi professionnel que la D1 belge. En plus, le club a le projet de remonter directement.

Mais tu n’aurais pas peur d’être oublié par les gens et les Diables Rouges, notamment ?

Non. Non. Ce serait un choix. Je pense encore beaucoup à l’équipe nationale. Il y a un nouveau staff, un nouvel entraîneur. Mon retour passe également par une série de bons matches et bons résultats. J’en suis conscient.

STÉPHANE VANDE VELDE, ENVOYÉ SPéCIAL À TRÉVISE

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