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« Mon rêve, c’est une domination totale »

Quand Vincent Kompany parle de foot, on écoute. Religieusement. Il n’était jamais allé aussi loin dans l’explication de sa philosophie et de ses ambitions de coach.

Vincent Kompany ne s’était jamais exprimé en long et en large depuis son retour au pays. Ni pour commenter les manques qu’il pourrait ressentir en ne côtoyant plus les stars mondiales du championnat anglais, ni pour disserter sur l’arrêt de sa carrière de joueur, ni pour s’épancher sur son nouveau métier d’entraîneur. Il se met face magnéto pour tout ça, et surtout pour parler abondamment de son projet avec les jeunes d’Anderlecht – on sent plus que jamais que ça le prend aux tripes. « Pour moi, une bonne conversation football, c’est un échange entre des personnes qui comprennent que le foot n’est pas une vérité absolue, une discussion où chacun peut exprimer ses avis, toujours avec l’idée qu’on peut en ressortir plus riche », lâche le Vince pour lancer l’échange.

Je ne suis pas venu ici en disant qu’Anderlecht allait devenir un autre City. » Vincent Kompany

Ton avis sur le foot a changé en passant de joueur à entraîneur principal?

VINCENT KOMPANY: Je ne dirais pas que mon avis a changé du jour au lendemain. Je vois plus des étapes successives. Je pensais différemment le foot à 24 ans par rapport à ce que je pensais à 17 ans. Et j’avais encore des avis différents en fin de carrière. Ça veut forcément dire qu’entre ce que je ressentais à 17 ans et ce que je ressens aujourd’hui, il y a des grandes différences. Je ne suis plus au même niveau que celui auquel j’étais en fin de carrière en Angleterre, mais je vois là-dedans des opportunités, des petits détails auxquels je dois faire attention pour ne pas tomber dans des pièges.

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris quand tu es passé de joueur à entraîneur? Tu as rencontré des difficultés inattendues?

KOMPANY: J’ai eu l’avantage d’avoir une petite transition quand même, j’ai été assisté par Simon Davies puis par Franky Vercauteren, avant de devenir entraîneur principal. Ça m’a permis de ne pas avoir trop de surprises. Finalement, la chose la plus difficile à gérer, c’est peut-être la façon de s’adresser aux joueurs, de bien doser les moments où on communique, où on fait passer son message. J’ai une personnalité qui fait que j’ai toujours envie d’être honnête et droit avec eux. Je suis assez direct, aussi. Je suis certain qu’à long terme, c’est toujours cette manière de faire qui sera la plus respectée. Mais, encore une fois, le foot n’est pas une vérité absolue. Alors, même quand on est honnête et droit dans ce qu’on dit, ça ne veut pas toujours dire qu’on a raison, vu que la situation évolue constamment.

« L’équipe est plus loin qu’il y a un an et elle sera encore plus loin dans un an »

Quelle est aujourd’hui ta philosophie de jeu?

KOMPANY: C’est une philosophie claire. Mon rêve est d’avoir une équipe capable de dominer et d’avoir la possession, agressive à tous les niveaux, capable de récupérer le ballon le plus haut possible, de créer beaucoup d’occasions et de ne pas en concéder une seule. Une domination totale. C’est là que je voudrais arriver. Avec certaines équipes, ce sera possible. Avec d’autres, il faudra trouver une manière de se rapprocher de ces principes tout en étant pragmatique et efficace.

Tu en es où à ce niveau-là avec ton équipe actuelle?

KOMPANY: C’est une construction, un travail de tous les jours. Aujourd’hui, j’ai une équipe jeune, je ne peux donc pas exiger la même chose que ce qu’on peut demander à d’autres équipes. Pour nous, le plus important, c’est le processus d’apprentissage au quotidien. Ce que j’aime dans le projet Anderlecht, c’est que les joueurs grandissent jour après jour vers cet idéal. Je vois qu’ils progressent. La haute intensité dans le jeu ne doit pas se limiter aux cinq meilleurs clubs européens. Parfois, il y a des équipes comme l’Ajax ou Leipzig qui sont capables de reproduire ça. Bruges a su le faire la saison dernière, avec sa propre méthode. Qui ne sera jamais la méthode d’Anderlecht. La méthode du Standard ne sera jamais non plus la nôtre. Le plus important, c’est d’avoir un jeu qui corresponde à son équipe, et de construire une équipe qui corresponde au jeu qu’on veut produire. L’avantage que j’ai avec mes jeunes, c’est qu’ils sont ouverts à tout, finalement. Autant j’aimerais avoir une équipe qui joue au foot comme l’Ajax, autant j’aimerais qu’elle soit capable de défendre comme l’Atlético. C’est un idéal. Il y a des étapes pour y arriver, il y en a qu’on franchira plus facilement que d’autres. Mes joueurs apprennent. À créer de l’espace quand on a le ballon, à réduire l’espace quand on ne l’a pas. Ils apprennent les aspects techniques et tactiques à mettre en application quand on ouvre le terrain, les aspects techniques et tactiques à soigner quand on rend le terrain plus petit.

Il t’arrive de douter de ton processus, de te dire que ton équipe est quand même loin de ce que tu veux?

KOMPANY: Je suis très réaliste, très rationnel. Il en faut beaucoup pour me surprendre. J’envisage tous les scénarios et je sais que cette équipe a encore une marge de progression énorme. Anderlecht est l’équipe du championnat qui a la plus grande marge de progrès. Mais Anderlecht reste Anderlecht, un club qui doit gagner, être champion. Le côté réaliste là-dedans, c’est que ce club a traversé des épreuves financières et que l’équipe est jeune. Le plus important est de voir si elle progresse. Si je regarde où elle était il y a un an, est-ce qu’elle a progressé entre-temps, oui ou non? Bien sûr que oui. Est-ce qu’elle sera plus loin dans un an? Bien sûr. On pourrait dire qu’on va tout gagner, qu’on va être champions, mais la baguette magique n’existe pas. C’est une question de travail. Qu’on cherche à jouer comme Burnley ou comme le Real, c’est le travail qui permettra d’arriver haut.

« Il faut arrêter de comparer avec Guardiola »

Dès le début, tu as lié ta philosophie de jeu à celle de Pep Guardiola, ou on l’a fait pour toi. Ça t’ennuie qu’on continue à regarder chaque match d’Anderlecht sous ce prisme-là?

KOMPANY: Il faut arrêter de comparer avec Guardiola, de vendre aux supporters d’Anderlecht un truc qui n’est pas celui que j’ai mis sur la table. Je ne suis pas venu ici en disant qu’Anderlecht allait devenir un autre City. Je ne l’ai jamais dit! Ça continuera à me coller à la peau, ce n’est pas grave. Ce que je revendique, c’est ce qui se fait dans d’autres championnats, avec des clubs qui ont leur identité. Comme l’Ajax et Leipzig, qui sont capables de jouer leur foot. Anderlecht doit être capable aussi d’avoir son identité et de jouer son foot. Qu’est-ce que j’aurais à gagner si je disais aux supporters: « Les gars, on ne va plus que balancer des longs ballons, se replier, former un bloc défensif ». Même si on gagnait le titre, avec un jeu pareil, mon passage n’aurait servi à rien. À aucun moment, un entraîneur ne pourra se revendiquer compatible avec Anderlecht s’il ne propose pas un certain foot. Ici, les gens ne sont satisfaits que quand il y a les victoires et la qualité dans le jeu. Il faut bien commencer quelque part.

Vincent Kompany:
Vincent Kompany: « Historiquement, Guardiola et moi, on a puisé à la même source. »© PUMA-BELGAIMAGE

Si on compare à la période avec Simon Davies, on perçoit quand même un côté plus réaliste aujourd’hui.

KOMPANY: On peut parler de système, de 5-4-1, de 5-3-2, de 4-4-2, de pressing haut, de solidité défensive, de tout ce qu’on veut, mais la vraie vérité du foot, c’est d’abord la qualité des joueurs. On part de là, et en tant qu’entraîneur, on essaie d’exploiter cette qualité et d’ajouter 5, 10 ou 15% pour l’équipe. Quand j’étais ici comme joueur, j’ai connu un Anderlecht qui gagnait tout, j’ai eu la chance d’être champion deux fois en trois ans. L’équilibre de l’équipe, c’était 80% de joueurs d’expérience au niveau international, des gars qui avaient beaucoup de métier, et deux ou trois jeunes comme Anthony Vanden Borre et moi. On avait les meilleures individualités à chaque position, et bien sûr on gagnait le championnat. La réalité d’aujourd’hui est différente. On a le potentiel pour avoir une équipe exceptionnelle, avec beaucoup de jeunes qui à mon avis seront tous internationaux belges dans les années à venir. Tout le monde est un peu obnubilé par leur potentiel, mais la réalité c’est qu’il y a encore beaucoup de travail à faire.

Autant j’aimerais avoir une équipe qui joue au foot comme l’Ajax, autant j’aimerais qu’elle soit capable de défendre comme l’Atlético. » Vincent Kompany

« Je ne suis pas revenu en Belgique pour éduquer qui que ce soit »

On a l’impression que dans le championnat de Belgique, le style de jeu de la plupart des équipes punit les équipes offensives comme Anderlecht. Tu trouves aussi que ce n’est pas facile de développer ici le jeu que tu as en tête?

KOMPANY: Nos jeunes devraient dégager tous les ballons vers l’avant parce que jouer comporte des risques? Ils devraient laisser le ballon à l’adversaire? Je devrais dire à Yari Verschaeren et à Marco Kana que c’est mieux de ne pas avoir le ballon, sous prétexte que c’est dangereux? Si je leur apprenais à jouer comme ça, ils seraient en difficulté le jour où ils signeront dans un club étranger. Dans les matches européens, est-ce que les adversaires des clubs belges préfèrent ne pas avoir le ballon? Ce serait quand même dommage de tenir un discours pareil. Parce qu’on a une formation exceptionnelle, des jeunes qui ont la capacité de jouer. Et si, dans deux ou trois ans, avec le foot qu’on veut jouer à Anderlecht, on gagne tout? Tout le monde changera alors d’avis et dira qu’il faut jouer au ballon?

Cette culture de l’instant, ces jugements rapides inhérents à la société actuelle, ça t’agace parce que c’est ce qu’il y a de pire pour mettre ton process en place?

KOMPANY: Je sais dans quel milieu je me trouve. Je ne suis pas revenu pour éduquer qui que ce soit, chacun a le droit de penser le foot comme il le veut. Je suis revenu avec ma connaissance et mon ambition. Je sais que la culture du court terme est la culture du foot, à moi de gérer ça pour que mes joueurs continuent à progresser tous les jours. Je veux un jeu purement Anderlecht, qui se rapproche du label Anderlecht. Ici, on a toujours eu l’habitude d’avoir à chaque position des joueurs avec des qualités techniques supérieures. La culture City est la culture City, je la connais très bien. La culture Ajax est la culture Ajax. Tous nos jeunes qui se retrouveront en équipe nationale diront qu’ils ont appris énormément à Anderlecht. On ne va quand même pas leur dire, sous prétexte qu’ils jouent en Belgique, qu’ils doivent oublier qu’ils jouent à Anderlecht, oublier tout ce qu’ils ont appris chez les jeunes, le jeu au sol.

Tu penses que tous ces jugements de l’extérieur sont encore amplifiés parce qu’ils concernent le personnage Vincent Kompany?

KOMPANY: Ça va, je m’attendais à tout ça, j’y étais préparé, pas de problème.

« Qu’on ne sabote surtout pas la jeunesse belge! »

Qu’est-ce qui t’a rendu le plus fier jusqu’ici?

KOMPANY: La progression individuelle de chaque joueur et le contenu de ce qu’on arrive à leur donner au niveau du coaching. Sur ce plan-là, j’essaie de mettre la barre plus haut que ce que j’ai connu pendant ma carrière de joueur. J’accorde beaucoup d’importance à la relation joueur-coach. On est encore dans une période de transition parce que beaucoup de joueurs voient certaines choses pour la première fois. J’ai un noyau qui a encore tout à apprendre. Et comme ils ont beaucoup de talent, j’ai le devoir de leur apprendre à jouer un foot qui correspond à leurs capacités. Si je demande à Marco Kana ou à Killian Sardella de ne balancer que des longs ballons, c’est un crime envers leur carrière. Mon souhait, si on refait le point dans deux ou trois ans, c’est qu’on puisse rediscuter de clichés qu’on aura fait tomber. Qu’on ne sabote surtout pas la jeunesse belge, quand même! On a des jeunes super doués, une académie capable de livrer des très bons jeunes, qu’on ne les sabote pas en venant avec des clichés fondamentalement faux. Anderlecht a toujours eu les plus beaux artistes du championnat, on ne peut pas rentrer dans une autre philosophie.

Tu voudrais installer ton identité à Anderlecht comme Jürgen Klopp l’a fait à Liverpool, par exemple?

KOMPANY: On ne peut pas faire des rapprochements trop rapides, c’est pour ça que ça m’embête qu’on ait fait ici directement un rapprochement avec le jeu de Pep Guardiola. C’est quelque chose de totalement inaccessible. Finalement, ça a fait passer Anderlecht pour un club naïf alors qu’on n’est pas du tout naïfs sur le terrain. Chez nous, personne ne parle de reproduire quoi que ce soit. Mais le hasard veut que, historiquement, Guardiola et moi, on a puisé à la même source. Il a puisé dans les méthodes de Johan Cruijff à Barcelone alors que l’Anderlecht que j’ai connu et son académie qui a sorti des joueurs ont puisé dans l’ADN de l’Ajax. Donc, tout se rejoint. Mais ce n’est pas bien pour le club de ramener continuellement le débat autour de Guardiola. C’est l’identité anderlechtoise qui nous intéresse, elle est différente de l’identité des autres clubs, il faut l’accepter.

Interview réalisée en collaboration avec Eleven Sports.

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« Je ne gagnerai pas l’EURO comme joueur, mais je peux gagner plein d’autres trophées comme coach »

Imaginons que les Diables rouges gagnent l’EURO dans quelques mois. Tu n’aurais pas des regrets d’avoir arrêté ta carrière de joueur un rien trop tôt?

VINCENT KOMPANY: Je ne vis pas dans le regret, ce n’est pas mon genre. Je suis dans une situation plus confortable aujourd’hui parce que j’ai tout entre mes propres mains. Je ne suis plus confronté à des risques de blessures. Je souhaite tout ce qu’il y a de meilleur aux Diables, je serai toujours leur plus grand supporter. S’ils gagnent le Championnat d’Europe, ce sera sans moi, mais qu’est-ce que je peux encore gagner comme trophées en tant que coach! C’est aussi ça qui me motive.

« Ce que les gens peuvent penser de moi, ce n’est pas un souci »

Tu es un excellent communicant depuis tout jeune, c’est naturel chez toi, mais tu n’as pas l’impression que ça se retourne parfois contre toi? Parce que quand tu dis certaines choses, des gens disent que c’est d’abord de la com’. Et dans ces moments-là, ton jugement peut être un peu dévalué. Ça ne t’ennuie pas d’avoir cette image de très bon communicant?

VINCENT KOMPANY: Donc, si je comprends bien, dans le foot en Belgique, il ne faut surtout pas essayer de jouer au foot et il ne faut surtout pas essayer de trop bien communiquer? Je ne me prends pas la tête avec tout ça. Que ça se passe bien ou mal au niveau de ma communication, c’est beaucoup moins important que ce qu’il se passe sur le terrain. Mon seul objectif, c’est de faire progresser mon équipe le plus rapidement possible et de faire en sorte que nos supporters comprennent qu’on est occupés avec des choses sincères. Après un mauvais match, je devrais dire que tel ou tel joueur était pourri? À quoi ça servirait? Simplement, dans les moments où j’estime que j’ai des responsabilités, je les assume, sans problème. Je dis les choses clairement, et ce que les gens peuvent penser de moi, ce n’est pas un souci. Tout ce qui m’intéresse, c’est Anderlecht, ses joueurs, ses supporters. Je ne suis pas revenu pour prouver quoi que ce soit par rapport à un style de jeu, un concept. Je suis revenu pour essayer de gagner. Ou, avant de commencer à gagner, faire en sorte qu’Anderlecht puisse se redresser avec une identité anderlechtoise. Rien de plus.

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