» Mon premier mot en flamand, c’était Dank u ! Bizarre… « 

Spectaculaire et sympa, le gardien de la sélection ivoirienne est une des attractions de la D1. Autant sur qu’en dehors des terrains.

Parking du club de Lokeren. Copa Boubacar arrive à notre rencontre et lance :  » On va faire l’interview dans ma voiture, on sera mieux, plus au calme.  » Il a beau avoir disputé il y a un peu plus d’un mois la finale de la CAN, l’une des plus grandes compétitions internationales, le Gardien de l’Année 2009 la joue toujours aussi détendu et accueillant. Si Pär Zetterberg a enlevé à six reprises le prix du Fair-play, Copa aurait certainement raflé le  » prix orange  » si celui-ci avait existé. A quelques jours de la finale de la Coupe, le gardien de Lokeren revient sur une carrière faite de rebondissements incessants.

Est-ce que l’on ressent une pression particulière à l’approche de la finale de cette Coupe de Belgique ?

Copa Boubacar : Personnellement non. J’ai joué plusieurs finales, et je sais comment gérer la pression. Elle existe mais c’est une pression très positive. Ici quand je tends l’oreille, j’entends : -Beker ! Beker ! Gagner cette Coupe serait évidemment important par rapport à tout le travail que tu effectues durant ta carrière. Pouvoir regarder dans le rétro et te dire, j’ai gagné ça individuellement et collectivement. Mais surtout, ce trophée est très important pour le club car son palmarès est encore vierge. C’est l’occasion pour notre équipe d’entrer dans l’histoire.

Tu es en Belgique depuis neuf ans. Es-tu satisfait de ton parcours ou y a-t-il comme un goût de trop peu ?

On n’est jamais content. Le sommet à titre personnel, ça n’existe pas. Il faut continuer à apprendre de ses erreurs et ne pas les répéter. Je crois suivre la bonne voie, à moi de ne pas dérailler. Je ne suis pas à mon sommet mais je suis arrivé à un bon niveau.

N’as-tu pas le sentiment d’avoir loupé un virage dans ta carrière après avoir été élu Gardien de l’Année en 2009 ?

Je n’ai aucun regret. Je suis fier de ce que j’ai réalisé. Une carrière de foot, ça se joue sur des détails. Que ce soit lors de mon entrée à l’Académie Jean-Marc Guillou, mon arrivée en France à Rennes, à Beveren, tout ne s’est joué que sur des détails. Ce n’est pas dans mon style de me repentir ; tout ce qui m’est arrivé dans ma vie fut extrêmement positif. Oui, j’ai des moments de doute, c’est humain. Mais la balance de ma carrière penche largement du côté positif.

Tu n’es devenu gardien de but que très tard, vers 18 ans. Estimes-tu qu’à 32 ans ta marge de progression est encore grande ?

J’apprends encore et toujours. Quand j’ai commencé à jouer gardien à Abidjan, je n’avais pas d’entraîneur spécifique. On me mettait des frappes, c’est tout. Ce n’est qu’à Rennes que j’ai commencé à véritablement apprendre mon métier. J’avais déjà passé la vingtaine. Ce poste de gardien, je ne l’ai pas choisi, j’ai été obligé de l’accepter contre mon gré si je voulais entrer à l’Académie Jean-Marc Guillou. Les gens dans mon quartier se demandaient ce que je foutais au but. Ce n’a pas été évident de se mettre dans la peau d’un gardien. A mes débuts, j’ai souffert physiquement, j’avais des blessures un peu partout. Mais en acceptant ce replacement, je dois dire que j’ai fait le bon choix.

 » Moi, j’aime les gens. Si eux ne m’aiment pas, ce n’est pas mon problème « 

En caricaturant, devenir gardien en Afrique, c’est un peu le plus mauvais dans le jeu qu’on place dans le but, non ?

C’est vrai que ça a longtemps été comme ça mais les mentalités évoluent et le poste de gardien devient de plus en plus envié. Si l’Afrique continue à progresser comme elle progresse actuellement, je te dis un truc : les gardiens africains vont faire très mal ! Si les structures se mettent en place, si les jeunes reçoivent des entraînements spécifiques comme c’est le cas à certains endroits, on risque d’avoir de belles surprises. C’est juste une question de temps.

Quel est ton premier souvenir de la Belgique ?

Je ne connaissais rien de ce pays avant d’y débarquer. J’avais fait Rennes-Lille en train où Monsieur Lagasse de Beveren m’attendait à la gare. Le premier mot qu’il m’a appris en néerlandais, c’est merci. Sauf que moi, j’entendais  » dans le cul « . Je me disais :- Mais c’est quoi pour une langue ! Après il m’a corrigé. Tant mieux parce que franchement  » dans le cul  » pour dire merci ( il rit), c’est bizarre.

Ton grand frère qui a joué à l’OM fut pour toi une sorte d’exemple ?

Il jouait en Europe, il a intégré le centre de formation de Marseille, c’était un exemple mais d’un côté j’étais trop jeune pour me rendre compte de ce qu’il réalisait. Je n’ai quasiment aucun souvenir de son départ. On était onze enfants. Quand quelqu’un part, ça ne se ressent pas vraiment. Ça fait juste une place en plus ( il rit).

Le fait de retrouver de nombreux compatriotes à Beveren a dû faciliter ton intégration, quand même…

Ça m’a aidé même si j’ai rapidement trouvé les Belges sympathiques. Notamment mes voisins. Etant le plus âgé de la bande, je vivais seul en appartement, je devais me débrouiller et j’aimais ça. Aujourd’hui encore, je me sens bien en Belgique.

Etant africain et musulman, n’as-tu jamais ressenti une forme de racisme ?

Je ne m’occupe pas de ça. Moi, j’aime les gens. Si eux ne m’aiment pas, ce n’est pas mon problème. Je vois la vie comme ça : on est dans ce monde pour se compléter pas pour s’opposer. Et je pense comme ça depuis tout temps. Petit, je prenais les  » jetons  » de ma mère et j’achetais des chocolats pour mes potes. Quand je gagnais un peu d’argent grâce aux tournois dans la rue, je donnais tout à ma mère, je lui achetais des fruits. Aujourd’hui encore, je vis pour ma mère, elle est tout pour moi.

L’amour du risque

L’image du gars sympa de la D1, qui répond aux journalistes même quand les résultats sont mauvais et qui est proche de ses supporters, est-ce que ça te plaît ou as-tu peur qu’on te prenne pour un rigolo ?

Pas du tout. J’espère qu’un jour, j’aurai un prix pour ça ( il rit). Quand ça va mal, il ne faut pas se cacher, il faut être capable de se manifester. Et moi, dans les moments difficiles, je suis présent. Ça fait partie de la vie, il faut savoir relativiser. Il y a des gens qui prient tous les jours pour avoir la santé, qui rêvent de guérir. Alors comment ne pas relativiser une défaite, un échec quand tu penses à ce que certaines personnes vivent. La critique, il faut savoir l’accepter. D’autant qu’elle peut être bénéfique, te faire avancer. Bon, tu peux me marcher sur le bout de l’orteil mais ne me marche pas sur le pied quand même.

Le fait d’être considéré comme un gardien spectaculaire, un peu show-man, est-ce que ça ne renvoie finalement pas l’image d’un gardien peu sérieux ?

Il y a des gens qui aiment vous cataloguer et ne vont pas dépasser cette image. Moi, je sais que j’ai la chance d’avoir des qualités naturelles que peu de personnes ont. Je ne suis pas un show-man, je veux qu’on efface cette image-là de moi. Il faut se baser sur mes performances uniquement. Ce n’est pas parce que j’ai la chance d’être capable de gagner un ballon au point de pénalty que je suis un show-man. Il faut plutôt dire : – Il ose !, il prend le risque ! Être souple, avoir une bonne détente, ce sont plutôt des qualités. Quand Hugo Lloris va chercher un ballon spectaculaire, on ne dit pas de lui qu’il est un show-man.

Tu as quand même commis quelques erreurs au pied en voulant prendre trop de risques…

Mais qui n’en a pas fait pas ! ? Même Iker Casillas en fait. Même Silvio Proto, qui est un des meilleurs gardiens en Belgique, en a faites. Qui est parfait ? Ce n’est pas parce que je fais un mauvais choix au pied et que les conséquences sont grandes que je suis un show-man. Aujourd’hui, j’entends que je gagne des points mais j’ai toujours le même style qu’avant et je prends toujours autant de risques.

 » On a remporté quelque chose de bien plus important que la CAN : la paix « 

As-tu l’impression d’avoir évolué par rapport à il y a cinq ans ?

Heureusement. Sinon, il vaut mieux tout arrêter. Je le ressens au niveau de ma concentration, mes prises de balle. Mais c’est surtout mentalement que j’ai le sentiment d’avoir franchi un cap. Un gardien, c’est 80 % de mental. Il y a quelques années, je souffrais d’un manque d’expérience, je ne connaissais rien aux compétitions européennes qui n’ont rien à voir avec les compétitions africaines. Même mon propre frère me faisait mal dans son discours. Je me demandais pourquoi il me parlait comme ça. Je rentrais chez moi, je pleurais. Mais j’ai bossé et j’ai compris.

Après la finale perdue lors de la dernière Coupe d’Afrique, tu t’es montré très fair-play dès la fin du match, très détaché dans ton analyse alors que la déception était énorme pour les Ivoiriens. Comment expliques-tu cette capacité à prendre du recul par rapport à l’événement ?

Dans le foot, il y aura toujours un gagnant et un perdant. Il existera toujours une certaine frustration par rapport à cette finale perdue mais il faut aussi savoir relativiser et l’accepter. Ce dont je suis fier par contre, et qui reste en moi, c’est d’avoir apporté de la joie dans les rues d’Abidjan pendant toute la compétition. Ici, on ne parle pas de foot, on parle de rétablir la paix et c’est bien plus important qu’un trophée. Je n’ai pas vécu la souffrance du peuple ivoirien de l’intérieur ces derniers mois mais je sais que la situation fut très difficile à vivre. Au fur et à mesure qu’on avançait dans la compétition, le peuple était davantage solidaire, soudé. On a remporté quelque chose de bien plus important que la CAN : la paix.

Qui sont tes potes au sein des Eléphants ?

Je m’entends avec tout le monde, je ne suis pas raciste mon frère ! Je marche avec tout le monde même si je suis très proche de Kolo que je connais depuis l’Académie.

 » Mes équipiers en équipe nationale s’en foutent que je joue à Lokeren « 

Il est ton meilleur ami dans le foot ?

Mon meilleur ami, c’est moi-même. Si je suis bien avec moi-même, je suis bien avec tout le monde, c’est comme ça que je fonctionne.

Impossible de ne pas évoquer la Côte d’Ivoire sans parler de Didier Drogba. Comment est-ce que tu le décrirais ?

Magnifique ! C’est un grand monsieur. Il est resté le même depuis son arrivée en sélection, malgré le fait qu’il soit devenu une énorme star. C’est quelqu’un qui te donne énormément de conseils, qui vient dans ta chambre, qui te parle, qui te rassure. Que ce soit avec les jeunes ou avec les plus anciens. Je lui ai déjà dit :- Dans ma carrière, je peux être fier d’avoir joué avec un monument, Didier Drogba !

Le fait d’évoluer à Lokeren alors que tu es entouré de joueurs qui jouent dans des grands clubs européens, ça ne te discrédite pas aux yeux de tes équipiers ?

Je suis content pour eux, et même fier de ce que mes compatriotes réalisent. Chacun son destin. De mon côté, je répète toujours : – Tu ne peux pas faire caca là où tu manges. Et moi, je respecte Lokeren. En sélection, on me respecte pour ce que je réalise sur le terrain. Mes équipiers s’en foutent que je joue à Lokeren.

Imagines-tu changer de destination dans les prochains mois ?

Je propose, Dieu dispose. Aujourd’hui, je suis à Lokeren et j’en suis très fier. Si je suis titulaire en équipe nationale, c’est grâce à Beveren, grâce à Lokeren.

On a évoqué l’intérêt du Standard…

Ce serait un honneur de jouer pour un club pareil. Le Standard, c’est le Standard, point. Tu as déjà fait des interviews au Standard, non ? Eh bien, ça change d’ici quand même ! Au Standard, tu ne fais pas les interviews dans une voiture ( il rit).

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » Un gardien, c’est 80 % de mental. « 

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