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Julian Alaphilippe, champion en sursis: « Mon maillot a changé, mais je suis resté le même »

En exclusivité pour Sport/Foot Magazine, Julian Alaphilippe revient sur son année sous le maillot arc-en-ciel. « Je ne sais pas s’il donne des ailes, mais il est lourd à porter. »

Julian Alaphilippe (29 ans) était déjà un coureur très sollicité, mais après son titre de champion du monde sur le circuit d’Imola il y a un an, c’est un véritable tsunami de demandes d’interviews qui s’est abattu sur lui. Il répond généralement aux journalistes via des séances collectives sur Zoom et ses interviews exclusives sont très rares, mais avant les championnats du monde à Louvain, il en a accordé une à Sport/Foot Magazine.

C’est avec beaucoup de professionnalisme que le Français de l’équipe Deceuninck – Quick-Step a répondu à nos questions. Contrairement à certains, il fait preuve d’intérêt pour les questions et ne manque pas de sortir quelques mots bien sentis. Sans fanfaronnade, afin de ne pas trahir ses origines modestes.

Dans notre numéro spécial du début de saison, ton cousin Franck Alaphilippe, qui est aussi ton entraîneur, affirmait que tu avais besoin de nouveaux défis chaque année. Il ajoutait qu’en 2021, le challenge serait de faire honneur au maillot arc-en-ciel, comme tu avais fait honneur au maillot jaune lors du Tour 2019. Penses-tu avoir répondu à l’attente?

JULIAN ALAPHILIPPE: Mon but était en effet de faire honneur au maillot lors de chaque course. J’ai à chaque fois pris le départ avec l’ambition de donner le meilleur de moi-même, soit en travaillant pour l’équipe ou en tentant de l’emporter. J’ai toujours donné le maximum et je peux donc dire que j’ai fait honneur au maillot. J’ai été là depuis ma première course jusqu’à aujourd’hui, je suis très satisfait du déroulement de la saison.

Le journal français L’Équipe a pourtant qualifié ta saison de quelconque.

ALAPHILIPPE: Je trouve ça dur. On en veut toujours plus, ce n’est jamais suffisamment bon, et ci et ça. Mais j’ai fait le plus possible honneur au maillot et j’ai tout de même remporté quelques belles courses. Je me suis imposé dix jours après mon titre mondial ( lors de la Flèche Brabançonne, ndlr) et j’ai aussi gagné des courses cette année, dont une classique ( la Flèche Wallonne, ndlr) et une étape du Tour. Ça aurait pu être pire, hein!

Ça reste un maillot emblématique qui fait rêver. Je ne dis pas non à une nouvelle année sous le maillot arc-en-ciel. »

Julian Alaphilippe

Mais lors de certaines saisons, tu as remporté jusqu’à douze courses, contre trois seulement cette année.

ALAPHILIPPE: C’est vrai, mais j’ai aussi constaté qu’il n’était pas simple de s’imposer avec le maillot de champion du monde. C’est un maillot qui change beaucoup de choses, y compris en course. J’étais plus surveillé, j’avais moins de liberté. Aurais-je gagné davantage de courses sans ce maillot? Je n’en sais rien. Personne ne le sait.

Y a-t-il eu des moments où tu as eu l’impression d’être trahi par ce maillot?

ALAPHILIPPE: Non, jamais, car j’ai toujours couru comme je le faisais par le passé. J’ai attaqué là où je le pouvais et quand c’était nécessaire. C’était le plus important pour moi: je ne voulais pas que ma façon de courir change. C’est pourquoi je suis content de ma saison. À Imola, j’ai été champion du monde en attaquant. Je suis resté fidèle à moi-même, j’ai attaqué, j’ai joué un rôle actif en course. Je pense que c’était aussi un moyen de continuer à ressentir du plaisir.

Quel a été ton meilleur jour?

ALAPHILIPPE: Laissez-moi réfléchir, car il n’y en a pas eu beaucoup (Il rit). Je suis allé très loin pour remporter la première étape du Tour de France. Et le Mur de Huy, à la Flèche Wallonne, était très chouette aussi. J’ai aussi eu d’autres bon jours, comme au Tour de Provence en début de saison, avec l’étape du Mont Ventoux. Je me sentais bien physiquement et j’ai pris du plaisir à attaquer et à suivre les meilleurs en montagne, même si ça ne s’est pas traduit par une victoire et si ça a été plus difficile par la suite.

Julian Alaphilippe, champion en sursis:
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« Je savais qu’il serait compliqué d’être à 100% à la fois dans les classiques flamandes et wallonnes »

Ton début de saison était très prometteur, en effet, mais tu n’as pas pu poursuivre sur ta lancée.

ALAPHILIPPE: Non, c’est vrai. Après le Tour de Provence et jusqu’aux classiques, j’ai cherché les bonnes sensations. J’ai été un peu malade et je me suis entraîné plus calmement afin de laisser mon corps se rétablir. Du coup, je n’étais pas à 100% physiquement en course. Puis les courses se sont enchaînées à un rythme effréné. Quand on porte le maillot arc-en-ciel, on veut le porter en course, même si on n’est pas au mieux. Je pense néanmoins avoir fait bonne figure, ça aurait pu être pire.

Pour la première fois de ta carrière, tu as combiné les classiques flamandes et ardennaises.

ALAPHILIPPE: J’ai toujours voulu disputer les classiques flamandes. L’an dernier, j’étais content de découvrir le Tour des Flandres, même s’il avait été déplacé en fin de saison pour les raisons que l’on sait. C’était ma dernière course et elle s’est malheureusement terminée par une chute alors que j’aurais pu terminer sur le podium. J’étais donc très motivé à l’idée d’y revenir, même si ça allait être différent en raison de la date. Je savais qu’il serait compliqué d’être à 100% à la fois dans les classiques flamandes et wallonnes.

Quel bilan tires-tu de cette expérience?

ALAPHILIPPE: J’ai fait ce que je pouvais. Je suis content d’avoir pu aider l’équipe, surtout parce que Davide Ballerini a remporté le Circuit Het Nieuwsblad et Kasper Asgreen s’est imposé au Tour des Flandres. C’étaient de très bons moments pour l’équipe et pour moi. L’objectif était ensuite de remporter la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège. Je suis très content de m’être à nouveau adjugé la Flèche. À Liège, j’étais déçu, car je suis passé tout près de la victoire, mais je ne dirais pas que j’ai échoué à Liège parce que j’avais disputé les classiques flamandes.

Pourrais-tu rééditer cela?

ALAPHILIPPE: C’était chouette de pouvoir porter le maillot arc-en-ciel tant sur les routes de Flandre que sur celles de Wallonie. Je suis content d’avoir essayé, mais je ne crois pas que je le referai. La période est trop longue et les courses sont trop différentes. Dorénavant, je miserai tout sur la Flandre ou tout sur les classiques ardennaises.

Sais-tu déjà à quelles classiques tu prendras part l’année prochaine?

ALAPHILIPPE: Ce n’est pas encore décidé, mais je pense que ce seront les classiques ardennaises.

Ce sont celles que tu préfères?

ALAPHILIPPE: J’aime toutes les classiques. Je rêve d’en ajouter encore à mon palmarès, tout comme j’aimerais remporter une course à étapes d’une semaine, comme Paris-Nice. Mais je veux d’abord m’imposer à Liège et au Tour de Lombardie.

« Ça a été un Tour très difficile »

Ton deuxième pic de forme de la saison, après les classiques, était attendu au Tour de France. Ton succès lors de la première étape t’a beaucoup ému.

ALAPHILIPPE: Remporter une étape du Tour, c’est toujours très particulier. C’était ma sixième et elle m’a procuré beaucoup d’émotions, comme les autres. Mais c’était la première de cette édition, et avec le maillot de champion du monde sur les épaules. Avec cette arrivée, je savais que tout le monde m’attendait au tournant. De plus, mon fils venait de naître. Alors oui, j’étais très ému.

Tu semblais parti pour une grande aventure en jaune, comme en 2019. Combien de jours espérais-tu porter le maillot de leader après ta victoire à Landerneau?

ALAPHILIPPE: J’étais déjà très content de porter le maillot jaune. Après, je voulais vivre au jour le jour, comme d’habitude. Je n’avais aucun plan. Je savais que la deuxième étape me convenait. J’ai donné le meilleur de moi-même, mais Mathieu van der Poel était tout simplement le plus fort. Je n’ai donc aucun regret.

Par la suite, tu as semblé confronté à tes limites, comme lors du Tour précédent.

ALAPHILIPPE: Oui, on dirait. Je pense que c’était dû au stress et à la fatigue accumulés lors des jours précédents. Le maillot de champion du monde, la paternité… Je voulais faire le point après quelques jours au Tour. Lors du premier contre-la-montre, j’ai constaté que j’étais bien, mais pas tout à fait comme je voulais. J’ai cependant terminé le Tour, comme toujours. J’ai souvent essayé et j’ai tout donné, mais physiquement, je n’étais plus en mesure de faire la différence et de remporter une autre étape. Ça a donc été un Tour très difficile et très long, même si j’étais content de le disputer avec le maillot arc-en-ciel sur les épaules. Et puis, pour l’équipe, le Tour a été formidable avec les quatre victoires d’étape de Mark Cavendish et le maillot vert jusqu’à Paris.

« Le titre de champion du monde était le plus grand objectif de ma carrière »

On dit souvent d’un maillot distinctif comme le maillot de champion du monde qu’il donne des ailes, mais d’autres disent qu’il est lourd à porter. Qui a raison?

ALAPHILIPPE: Le maillot de champion du monde procure des sensations spéciales, tant à l’entraînement qu’en course. Rien que le fait de le regarder motive davantage. Mais de là dire qu’il donne des ailes… Ce que je sais, c’est qu’il est très lourd à porter. J’ai été beaucoup plus sollicité. En stage, j’étais toujours en train de poser pour des photos, alors que mes équipiers étaient déjà sur la table de massage. Ce maillot engendre davantage de pression et de stress. On attend de celui qui le porte qu’il soit bon ou qu’il remporte chaque course. Et c’est ce qu’on veut aussi, mais c’est ça qui complique encore les choses.

Julian Alaphilippe:
Julian Alaphilippe: « Je suis resté moi-même, pas seulement dans ma façon de courir, mais aussi dans mes rapports avec les médias et le public. »© GETTY

Tu as été surpris par le poids de ce maillot?

ALAPHILIPPE: Le titre de champion du monde était le plus grand objectif de ma carrière. J’étais donc très content de l’avoir atteint, mais je savais que ça allait changer pas mal de choses, qu’il serait difficile de lui faire honneur et de continuer à gagner des courses. C’était un défi qui n’était pas gagné d’avance.

Tu serais libéré si tu devais céder ton maillot à Louvain?

ALAPHILIPPE: C’est difficile à dire. Oui, peut-être dans le sens où je serais moins sollicité et moins sous pression, mais j’arrive à faire la part des choses. Je savais que la seule façon de réussir était de continuer à courir comme avant, même si le maillot avait changé. Il fallait travailler dur et prendre du plaisir en course. Je suis resté moi-même, pas seulement dans ma façon de courir, mais aussi dans mes rapports avec les médias et les autres personnes qui me sollicitaient. Mais quand on prend part à un championnat du monde, on rêve de le gagner. Donc je vais tout faire pour prolonger mon titre. Si je n’y arrive pas, je n’aurai aucun regret, car j’aurai fait de mon mieux et j’aurai la satisfaction du devoir accompli. Mais ça reste un maillot emblématique qui fait rêver, le plus beau qui soit. Je ne dirai donc pas non à une nouvelle année avec le maillot arc-en-ciel (Il rit). »

Prêt mentalement pour le championnat du monde

Après le Tour, Julian Alaphilippe n’a pratiquement plus couru pendant six semaines. On ne l’a vu qu’à la Clásica San Sebastián. Contrairement à Wout van Aert, il n’a pas participé aux Jeux Olympiques et n’est pas parti en stage en altitude. « Hormis en hiver, il est très rare qu’un coureur ait droit à une aussi longue période sans course ou sans stage. Il était important de bien récupérer dans l’optique de la fin de saison: les championnats du monde, le Tour de Lombardie et, entre les deux, Milan-Turin. J’avais tout simplement besoin d’être chez moi, sans stress, de profiter de mon fils. En même temps, je me suis bien entraîné et le temps était beau ( en Andorre, ndlr). Je suis donc prêt physiquement et frais mentalement pour attaquer la fin de l’année. J’espère en récolter les fruits. »

Julian Alaphilippe, sa compagne, l'ancienne championne de France Marion Rousse, et leur petit Nino, né en juin dernier.
Julian Alaphilippe, sa compagne, l’ancienne championne de France Marion Rousse, et leur petit Nino, né en juin dernier.© GETTY

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