» Mon image sur le terrain ne reflète pas ma personnalité « 

Le gardien d’Anderlecht se livre. Sur son évolution comme joueur, sur son comportement parfois irritant, sur ses priorités sportives et familiales.

Pour certains, il est le gardien n°1 en Belgique. Celui qui gagne des points pour Anderlecht et qui devrait défendre les buts des Diables Rouges. Pour d’autres, il est un personnage irritant. Un gars qui se prend un carton rouge pour avoir dit ses quatre vérités à l’arbitre qui avait accordé un penalty injustifié à Louvain ; un gars qui réagit aux provocations des supporters de Zulte Waregem et un gars qui refuse de répondre à l’appel de Georges Leekens parce qu’il craint de se retrouver en tribune comme n°3…

L’équipe nationale, vous ne voulez pas en parler ?

SilvioProto : Seulement pour dire que, Leekens et moi, nous sommes sur la même longueur d’ondes. Nous avons eu une discussion et il a compris mon point de vue. S’il me convoque, je suis disponible.

Thibaut Courtois et Sinan Bolat vous ont devancé au Soulier d’Or. Ils sont meilleurs que vous ?

Joker !

Lorsque vous avez débarqué à Anderlecht à 22 ans, vous vous défendiez en affirmant qu’un gardien n’arrive à maturité que vers 27 ou 28 ans. Aujourd’hui, vous avez 28 ans. Estimez-vous être au sommet ?

Pas encore tout à fait. Avec ma blessure, j’estime avoir perdu deux ans. Donc, selon moi, je serai au top vers 29 ou 30 ans.

En quoi le Proto d’Anderlecht est-il différent de celui de La Louvière ?

J’ai appris à jouer plus haut, dans le dos de mes défenseurs. A La Louvière, comme dans toute formation relativement modeste, un gardien joue sur sa ligne. Dans une équipe comme le Sporting, qui passe le plus clair de son temps dans la moitié de terrain adverse, le gardien joue presque comme un libero. Je dois être très attentif à l’attaquant adverse qui essaie de plonger dans le dos de mes défenseurs et anticiper. C’est à qui sera sur le ballon en premier. Si je me loupe d’une demi-seconde, c’est faute et carton rouge. J’ai la chance d’être rapide sur les 10 premiers mètres. Lorsque j’ai passé des tests la saison dernière, j’arrivais à égalité avec Jonathan Legear.

Cette rapidité, c’est votre vrai point fort ?

Avec mes réflexes sur la ligne, oui. Lorsqu’on sort, il ne faut pas avoir peur d’aller au duel. Au point que, parfois, mon épouse me fait remarquer : – Silvio, quels risques as-tu encore pris aujourd’hui ?

Elle a peur ?

Parfois, oui. J’essaie de ne pas trop penser aux risques. Et j’espère que si mes fils Kenzo (4,5 ans) et Teo (2,5 ans) se lancent un jour dans un football, ils choisiront un autre poste que celui de gardien. Un jour, Kenzo a dit : – J’aimerais attraper les ballons, comme Papa ! Je n’ai pas réagi. J’espère que cela lui passera.

Vous avez la photo de vos enfants sur vos deux protège-tibias…

En effet. C’est pour eux que je joue comme pro. Pour assurer leur confort, préparer leur avenir, leur payer des études, peut-être universitaires. Je ne les obligerai à rien. Tout ce que je demande, c’est qu’ils travaillent. Qu’ils soient ingénieur, cuisinier ou chauffagiste, peu importe.

Vous les voyez entamer des études universitaires ?

Pourquoi pas ? S’ils ont la tête de mon épouse, ils en auront les capacités. Mon épouse était brillante dans les études, elle est devenue secrétaire de direction et aujourd’hui, après une formation, elle est maquilleuse professionnelle. Personnellement, je n’étais pas un cancre. Je n’ai jamais eu d’examens de passage alors que j’avais choisi l’option sciences, qui comprenait beaucoup de mathématiques, de biologie et de chimie. J’ai opté pour le foot parce que La Louvière m’a proposé, très jeune, un contrat professionnel.

Et si vos enfants, à 16 ans, se voyaient proposer un contrat pro ?

J’exigerais qu’ils obtiennent, au moins, leur diplôme d’humanités. Une blessure est vite arrivée. Un moment, j’ai songé reprendre des études. Cela m’aurait intéressé d’étudier les lois dans le sport, par exemple. C’est, malheureusement, assez difficile à concilier. Plus tard, peut-être.

Vous êtes très famille ?

Mes enfants et mon épouse sont ma raison de vivre. Ma famille passera toujours avant toute autre considération. Lorsque ma carrière sera terminée, elle sera toujours à mes côtés. Je ne suis pas sûr que ce sera le cas de mes coéquipiers et de tous les gens que je fréquente aujourd’hui dans le milieu du football.

 » Kouyaté me surprend par sa rapidité « 

Au début de cette saison, Anderlecht possédait une défense quasiment imperméable, y compris en Europa League. Cela s’est gâté en novembre et décembre. A cause de l’absence de Lucas Biglia ?

Difficile à dire. Lucas est important pour l’équipe, mais de là à dire que son absence a fragilisé la défense… Parfois, un but encaissé résulte d’un manque de réussite. Souvenez-vous du but gag qu’on encaisse à Mons le 27 décembre. Oserait-on affirmer qu’avec Biglia, on ne l’aurait pas pris ?

Dans l’ensemble, êtes-vous satisfait de votre défense cette saison ?

Oui. Au début, on s’est un peu cherché, mais on a fini par trouver ses marques. Cheikhou Kouyaté livre une bonne saison et Roland Juhasz reste le joueur qu’on connaît. Sur les flancs, on a des solutions.

Kouyaté est une découverte comme défenseur central. Qu’est-ce qui vous surprend le plus chez lui ?

Vous vous attendez peut-être à ce que je vous réponde : sa puissance physique et son jeu de tête ? En fait, ce qui me surprend le plus, c’est sa rapidité. Je me souviens du match à Genk. J’avais dévié un ballon sur le poteau et je voyais Christian Benteke qui se précipitait pour conclure. Cheikhou est arrivé avant lui. Sa vitesse s’est déjà révélée très utile également dans les un-contre-un que j’ai eus avec des attaquants adverses. A plusieurs reprises, il a réussi à rattraper un attaquant qui m’avait dribblé. Kouyaté a encore des lacunes à la relance, mais lorsqu’il remonte le terrain ballon au pied, il surprend également. Comme défenseur central, il a beaucoup d’atouts. Et il va encore progresser. Le Sporting est parvenu à lui faire signer un nouveau contrat jusqu’en 2016, c’est une très bonne chose. Y compris pour les finances du club. Ce n’est pas toujours nécessaire d’aller chercher ailleurs ce qu’on a parfois sous la main.

De plus, le successeur de Matias Suarez est peut-être Fernando Canesin et Biglia affirme que le sien sera Dennis Praet…

Anderlecht possède de bons jeunes et a peut-être retenu les leçons du passé, lorsque des joueurs transférés ont barré la route des joueurs du cru. Le centre de Neerpede est enfin opérationnel et l’investissement devrait porter ses fruits.

 » Le plus superstitieux c’est Biglia « 

Le successeur de Silvio Proto est-il Thomas Kaminski ?

L’avenir nous l’apprendra. Il est encore jeune et doit progresser. Et puis je suis sous contrat jusqu’en 2015.

Donc, le gamin devra patienter ? Comme vous avez dû le faire et comme Jacky Munaron avait dû le faire autrefois ?

Kaminski a fait le choix d’opter pour un club dont le gardien titulaire dispose encore de plusieurs années de contrat. Je me concentre sur mon boulot, ce sera au coach de décider.

Le gardien titulaire d’Anderlecht doit-il nécessairement être expérimenté ?

Il est rare qu’un jeune gardien devienne directement le n°1 au Sporting. J’ai toujours cru que Michaël Cordier parviendrait à s’imposer. Lorsqu’il m’a succédé à La Louvière, il avait démontré de grandes qualités. Ensuite, il a joué de malchance dans ses choix. Son statut de réserviste a entamé sa confiance. A l’entraînement, il est l’un des meilleurs gardiens que j’ai côtoyés. Son explosivité est l’un de ses atouts. Il arrive en fin de contrat. J’espère qu’il parviendra à rebondir.

Lorsque Biglia s’est fait opérer, on vous a confié le brassard de capitaine…

J’en étais très fier. Quel footballeur n’a-t-il pas rêvé, en commençant sa carrière, de devenir le capitaine d’Anderlecht ?

Un jour, vous avez transmis le brassard à Olivier Deschacht, à l’insu d’Ariel Jacobs…

Oli n’avait plus joué depuis longtemps. Lorsqu’on est réserviste, on perd confiance. J’ai pensé que le brassard pouvait contribuer à la lui rendre. Il a livré une bonne prestation ce jour-là et cela a fait du bien à toute l’équipe. J’ai agi dans l’intérêt du groupe et c’est ce que j’ai expliqué à Ariël Jacobs. Il l’a parfaitement compris. Mieux : il m’a félicité.

On vous dit très superstitieux..

Le pire, c’est Biglia.

Que fait-il de particulier ?

Je n’aimerais pas que l’on révèle mes manies alors je ne dirai rien sur Lucas.

 » Je dois ressentir une certaine forme de pression « 

Et vous ? Vous voulez toujours monter sur le terrain dans le même ordre, vous serrez la main à tout le monde…

Ce ne sont pas des superstitions.

Vous portez toujours votre caleçon de La Louvière ?

Il fut une époque où je portais toujours le même caleçon. Un jour, il s’est déchiré, j’ai bien été obligé d’en changer.

Mais encore ?

Vous ne saurez rien de plus, désolé.

Vous avez aussi cette réputation d’être très nerveux. Il paraît que cela vous vient de votre papa, qui était encore plus nerveux.

Je ne parlerais pas de nervosité. Je suis speed, je réagis au quart de tour. Sur le terrain comme en dehors. C’est un défaut, mais aussi une qualité : un gardien a besoin d’être constamment éveillé.

En match, vous avez besoin de ressentir l’adrénaline ?

Je dois ressentir une certaine forme de pression. En vacances aussi, je dois avoir ma dose de sport. J’ai besoin d’être toujours en activité. Je me souviens que, tout jeune, j’étais allé donner un coup de main à mon oncle pendant les vacances. Il travaille dans le bâtiment et j’ai transporté des sacs impressionnants, alors que j’étais tout frêle. J’allais m’entraîner le soir, et le lendemain, je me levais à cinq heures pour retourner sur le chantier. Je dois toujours bouger et je pense d’ailleurs que c’est la raison essentielle pour laquelle mes parents m’ont inscrit au football : il fallait que je dépense mon trop-plein d’énergie.

On raconte que, gamin, vous aviez parfois des comportements de sale gosse…

J’ai fait quelques bêtises. Jamais rien de grave. Par exemple, il m’arrivait de déverser une bouteille d’eau dans la boîte aux lettres d’un voisin. Cela m’est passé à l’adolescence. J’ai reçu une éducation stricte et je n’ai plus jamais dévié de la bonne trajectoire. Je compte bien inculquer le respect à mes enfants.

 » Je n’ai pas fait une croix sur une expérience à l’étranger, mais « 

Il n’empêche : vous n’aimez pas être piqué dans votre orgueil. Sur le terrain, vous avez parfois des réactions épidermiques lorsque le public vous chambre, comme ce fut encore le cas à Zulte Waregem le mois passé.

Je le regrette profondément. J’ai mal réagi.

Ce n’était pas la première fois.

Mais c’était la dernière. Promis, juré. Je m’en veux terriblement. Les personnes qui me connaissent bien affirment que l’image que je donne sur le terrain ne reflète pas ma vraie personnalité.

Car, en dehors du terrain, vous êtes quelqu’un d’attachant. Lorsqu’on vous sollicite pour rendre visite à des enfants malades à l’hôpital, vous accourez.

Je suis moi-même père de famille. Si j’en avais l’occasion, je m’engagerais chaque semaine dans de telles actions. Mais on ne doit pas m’abuser. Un jour, j’ai reçu une lettre me demandant de rendre visite à un enfant handicapé. N’écoutant que mon bon c£ur, je m’y suis rendu directement pour constater que l’enfant en question était en parfaite santé… Cela m’a mis hors de moi, j’ai claqué la porte. Si un enfant veut un autographe ou une photo, il n’y a aucun problème, mais il faut expliquer les choses clairement.

Certains cas vous ont-ils touché particulièrement ?

Tous les cas me touchent. Lorsqu’on voit le malheur de certains, on relativise tout ce qui a trait au football. Et on constate que l’argent, s’il peut y contribuer, ne fait pas le bonheur. Car il ne rend pas la santé et ne compense pas la perte d’un être cher. A Anderlecht, on a été durement touché ces derniers mois. Dieumerci Mbokani a perdu un bébé. Dieu est très croyant et cela lui a permis de franchir le cap. Il a la chance d’avoir un deuxième enfant sur lequel il reporte désormais tout son amour. Le décès de José Lago nous a aussi fort affectés, au Sporting. Et particulièrement le petit groupe de francophones, dont il était très proche : Guillaume Gillet, Jonathan Legear, Thomas Chatelle, Michaël Cordier, moi-même. Il était toujours à nos côtés pendant les stages, jouait aux cartes avec nous.

On est en plein mercato, mais cela ne semble pas vous concerner. Avez-vous fait une croix sur une expérience à l’étranger ?

Je sais ce que j’ai. J’habite à 15 minutes du stade, mes enfants vont à l’école tout près de chez moi, je gagne confortablement ma vie. Je n’ai pas fait une croix sur une expérience à l’étranger, mais il faudra que je trouve mieux qu’ici, à tous les niveaux. Si c’est pour gagner 10 % de plus, non merci. Et pour gagner le double ou le triple ? Il faudrait que le cadre de vie soit agréable, que le pays soit sécurisé, que mes enfants puissent être scolarisés dans de bonnes conditions…

Bref, si le Terek Grozny appelle…

( Ilfaitunemouequienditlong) Jona n’a pas encore d’enfants.

PAR DANIEL DEVOS

 » Je suis speed, je réagis au quart de tour ! »

 » J’ai mal réagi à Zulte Waregem mais c’était la dernière. Promis, juré. « 

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