« Mon humour est peut-être trop subtil pour certains »

Bruno Govers

Le coach met les choses au point.

Le double examen de passage face à la Tchéquie aurait pu être évité si, à une bonne douzaine de minutes de la fin de notre dernière rencontre de poule, en Croatie, Alen Boksic n’avait pas marqué.

Un mois après ce coup de massue, le coach national, a oublié cette déception et se veut résolument serein:

« Si je nourris un regret, par rapport à Zagreb, c’est d’être passé si près du but. Par contre, je n’éprouve pas le moindre remords quant aux options prises ce jour-là. En défense, le tandem Eric Van Meir et Glen De Boeck était, à mon sens, un choix logique eu égard au match sans faille que ces deux-là avaient livré contre l’Ecosse. Dans la ligne médiane, Walter Baseggio me paraissait l’alternative toute indiquée, lui aussi, pour supplanter Johan Walem. Enfin, aux avant-postes, la présence de Marc Wilmots s’imposait elle aussi, à mes yeux, non seulement pour ses qualités de footballeur, même s’il n’était pas au summum de ses capacités…, mais aussi et surtout pour son impact psychologique sur le noyau. Si l’entreprise avait été couronnée de succès, personne n’y aurait trouvé à redire, c’est certain.

Les Diables Rouges ont pleinement rempli leur contrat durant ces éliminatoires. Mes joueurs n’ont perdu qu’une seule partie, par le plus petit écart de surcroît: la dernière de leur poule et sur le terrain-même du favori, la Croatie. Est-ce là un déshonneur? Je ne le pense pas. Si ce match avait été programmé plus tôt dans la saison et qu’il s’était achevé sur le même verdict, on n’en aurait pas fait un plat. En raisonnant par l’absurde, il n’est pas interdit de penser que la Belgique a peut-être eu tort, durant cette campagne de qualification, de donner trop d’espoirs à ses fidèles suiveurs. A nonante minutes de l’épilogue dans notre groupe, tout aurait dû être logiquement consommé. Nous avons finalement réussi au-delà des espérances en maintenant le suspense jusqu’au bout. S’il n’en avait été ainsi, ce revers n’aurait pas pris la même ampleur. Et pourtant, nous en serions exactement au même stade, aujourd’hui.

Fâché avec la presse

Tout au long de cette campagne qualificative, on ne peut se départir de l’impression que le ton a changé, chez vous, non seulement dans vos rapports avec les joueurs mais, également, avec la presse.

A partir du moment où les joueurs remplissent parfaitement leur contrat, il n’y a pas lieu, pour un sélectionneur comme moi, d’intervenir. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souvent dû donner de la voix pendant la toute première phase de ces éliminatoires. En fin de saison passée, il tombe quand même sous le sens que je pouvais difficilement adhérer à ce que la plupart de mes hommes avaient montré contre la Lettonie ou St-Marin. Et il n’en était pas allé autrement après notre contre-performance en Finlande. Dans ces conditions, il me paraît quand même tout à fait normal que je monte aux créneaux et que je dise ma façon de penser, au prix d’une bonne gueulante s’il le faut. Où allons-nous si un coach n’a plus le droit d’engueuler un joueur lorsque le besoin s’en fait tout simplement sentir? Qu’attend-on de lui, finalement? Qu’il veille à réaliser le meilleur résultat possible avec ses ouailles, en agissant selon la nécessité du moment et ses convictions? Désolé, mais je ne suis pas là, prioritairement, pour aider le préposé au matériel dans sa tâche ou pour border les joueurs. Dès lors, lorsque j’estime le temps venu de mettre les points sur les i, je ne m’en prive pas. Ce qui m’irrite toutefois au plus haut point, je ne le cache pas, c’est qu’une certaine presse fait ses choux gras de ces scènes de la vie interne du groupe. Et je ne peux le cautionner.

Pourquoi être négatif?

Si, à l’occasion d’une séance de tirs au but, Bart Goor envoie des parpaings dans les arbres au lieu des filets, les journalistes doivent-ils l’occulter? Vous-même aviez fait une réflexion à ce propos lors de la conférence de presse après coup.

Qu’avais-je dit en substance? Qu’il ne fallait pas trop s’en faire pour tous ces tirs qui avaient manqué allégrement la cible dans la mesure où la plupart avaient été expédiés par Bart Goor. Quelques-uns, parmi les esprits les plus malintentionnés, l’ont pris pour une attaque en règle alors que ceux qui me connaissent bien savent que j’ai ce garçon à la bonne. J’en conclus donc que certains cherchent manifestement la petite bête. A moins que mon humour ne soit tout bonnement trop subtil pour d’autres. Je déplore franchement ces dérives, qui visent à créer un climat détestable. Je persiste à croire que, pour bon nombre de joueurs, l’équipe nationale est une oasis où ils aiment à se retrouver. Aussi, je ne conçois pas que des éléments négatifs soient sans cesse répercutés, d’abord dans les médias puis sur le groupe lui-même. Car il y a toujours un effet boomerang à cet échelon. Sans compter que tout est invariablement amplifié. On a dit, par exemple, que j’étais sorti de mes gonds à la mi-temps du match en Croatie. Désolé, mais si quelqu’un en a pris pour son grade là-bas, ce ne sont pas les joueurs mais plutôt l’attaché de presse, Nicolas Cornu, qui avait fait irruption dans le vestiaire parce que Vince Briganti était réclamé pour une interview télé. Je lui ai dit que ce n’était pas le moment et qu’il pouvait disposer. Il n’y a rien eu de plus. Par après, j’ai dû apprendre aussi, par la bande, que j’avais prétendument engueulé Bob Peeters comme du poisson pourri. C’est vrai que je n’étais pas trop content de ce qu’il avait montré sur le terrain à Zagreb et je lui en ai fait la remarque. Mais la véritable raison de mon courroux était tout autre: il m’avait tout simplement arrosé par mégarde en prenant sa douche, alors que j’étais sur le point de répondre à la presse. Qu’aurait-il fallu que je lui dise? -Merci Bob, tu ne peux pas la régler un peu plus chaude, s’il te plaît? Non, évidemment. Doit-on s’étonner que j’aie juré un bon coup? Il n’y avait quand même rien de plus normal, dans ces conditions. Mais encore une fois, la réalité a été déformée. Et j’ai du mal à l’accepter. Pourquoi oriente-t-on toujours le débat d’une même manière alors que je ne lis pour ainsi dire jamais, le lendemain d’un bon entraînement, que les Diables ont bien travaillé. C’est regrettable.

Enrayer le fatalisme

A Zagreb, vous aviez dû composer avec la moindre forme de plusieurs joueurs. Un mois après, la situation est-elle vraiment meilleure? Anderlecht, Schalke, Lyon, pourvoyeurs de l’équipe belge à des degrés divers, ne sont pas parvenus à franchir le cap du premier tour de la Ligue des Champions. Quant au Standard, il n’a pas réussi à passer le deuxième tour de la Coupe UEFA.

Pour pas mal d’internationaux, l’horizon européen s’est singulièrement assombri, mais cette situation n’est toutefois pas susceptible, pour autant, d’engendrer automatiquement un climat de morosité. Beaucoup auront à coeur de se racheter, sur la grande scène du football, via ces deux confrontations contre la Tchéquie. Ce seront les vrais gagneurs.

Je suis cependant conscient que pour certains, une approche psychique plus pointue s’impose. Car les hommes de Jozef Chovanec ont eu la chance de terminer leur parcours sur une note très positive: 6 à 0 face à la Bulgarie pour la deuxième place du groupe.

Il incombe d’enrayer tout fatalisme qui pourrait s’installer à ce niveau. Mon travail prioritaire sera de créer un état d’esprit qui poussera à la sublimation de chacun. Sur le papier, a priori, les indicateurs ne nous sont pas nécessairement favorables, mais un match se décide sur le terrain.

Les statistiques abondent dans le même sens: la Tchéquie ou ses devancières (la Représentation des Tchèques et des Slovaques, ainsi que la Tchécoslovaquie) nous ont souvent réussi par le passé…

Depuis l’EURO 96, la Tchéquie a indéniablement le vent en poupe, déployant un football qui n’offre plus aucune commune mesure avec celui qui constituait son label à la glorieuse époque de Joseph Masopust. En ce temps-là, le jeu de cette nation était des plus méthodiques. Il était interdit de jouer deux fois de suite en profondeur, et dès que le cuir prenait de la hauteur, il fallait impérativement le ramener au sol. Aujourd’hui, cette époque est bel et bien révolue. La Tchéquie propose un football de grande qualité, tant dans le chef de son club-phare, le Sparta Prague, que dans celui de ses footballeurs disséminés dans les plus grandes compétitions d’Europe, comme Patrik Berger et Vladimir Smicer à Liverpool ou encore Tomas Rosicky et Jan Koller au Borussia Dortmund, pour ne citer qu’eux.

Pas de réservoir illimité pour la Tchéquie

Rosicky sera absent un match et Koller deux matches… Vous ne vous en plaindrez pas?

C’est sûr que la Tchéquie sera handicapée sans eux. Koller était ni plus ni moins l’homme-clé à Anderlecht, la saison passée, tandis que Rosicky avait crevé l’écran, lui aussi, en Ligue des Champions. Au cours de la confrontation amicale livrée contre la Tchéquie, sur le terrain du Sparta, au mois d’avril passé, c’est d’ailleurs lui qui nous avait fait souffrir après son entrée sur le terrain durant la seconde mi-temps. Auparavant, je me souviens que nous avions fait jeu égal face à un adversaire qui ne tablait alors pas sur ses meilleures forces. J’en déduis donc que si, au complet, la Tchéquie constitue un opposant redoutable, il ne dispose peut-être pas non plus, comme la France, d’un réservoir illimité, avec lequel il est capable de proposer deux formations représentatives d’égale valeur. Dès lors, les absences conjuguées de Jan Koller et Tomas Rosicky pèseront d’un certain poids dans la balance. Mais la Tchéquie ne sera pas exsangue pour autant. Pour compenser la suspension de Jan Koller, elle pourra quand même compter sur Vratislav Lokvenc, pas le premier venu, puisqu’il meuble la ligne d’attaque de Kaiserslautern. Quant à Rosicky, il possède une alternative plus que valable en Jiri Jarosik, son ancien coéquipier au Sparta dont l’habilité, sur coup franc, est proche de celle d’un Rivaldo. Et je m’en voudrais de ne pas mentionner Martin Hasek, un joueur de très grande qualité lui aussi.

La Belgique ne pourra pas compter non plus sur toutes ses forces vives. Vous êtez forcé d’innover?

Ecoutez, si je suis conscient de la nécessité, par moments, de bousculer quelque peu l’ordre établi, soit au niveau de la tactique, soit au niveau des composantes de l’équipe, je ne vais pas faire fi, subitement, de ceux qui ont amené la Belgique où elle se situe actuellement. Mais il serait tout aussi stupide de snober ceux qui ont déjà fait partie des cadres dans le passé et qui se révèlent performants pour le moment. C’est la raison pour laquelle des garçons comme Sven Vermant et Peter Van Houdt ont été repêchés.

Esprit commando exigé

La Belgique entamera le premier volet de ces deux tests-matches à domicile. Est-ce un avantage?

Certains clichés ont la vie dure. Comme celui qui veut qu’il vaut mieux disputer le retour chez soi ou, à défaut, se ménager deux buts d’avance avant d’aborder le retour. Pour ce qui me concerne, je n’attache aucune importance à ces considérations. Chaque match a toujours sa propre histoire et sa vérité. Dans le cas qui nous préoccupe, le mot d’ordre sera de répondre présent d’abord à ce premier rendez-vous sans se mettre martel en tête. Il serait pour le moins stupide de briguer le score soi-disant idéal de 2 à 0, car cet objectif générerait automatiquement une pression parasite que je souhaite éviter. De fait, seule la réputation de l’adversaire devrait suffire à conditionner tout un chacun. Sur nos terres, nous sommes parfaitement capables de réaliser un truc, même si l’opposition est des plus redoutables. Il faut bien se dire qu’avant le premier coup de sifflet de l’arbitre, un match n’existe pas. A nous de veiller que l’accouchement se déroule le plus harmonieusement possible. Avec un esprit commando et une solidarité de tous les instants, les Diables Rouges sont bel et bien capables de tout.

Bruno Govers

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