« Mon fils est marié avec le football »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les parents de Daniel Van Buyten se sont subitement découvert des tas de nouveaux amis.

Je monte la garde! L’écriteau sur la petite porte donnant accès au jardin de Francis et Renata Van Buyten avertit le visiteur imprudent. Athos, croisement d’un pitbull et d’un rottweiler, est le premier stoppeur de la maison… Le nid des Van Buyten accueille toutefois un public de plus en plus nombreux. On vient pour une interview, une photo, un autographe de Daniel. Froidchapelle est un petit village sans histoires, à deux pas de Chimay et des barrages de l’Eau d’Heure. Il y a trois ans, la seule fierté de ce bled était son carnaval haut en chars et en couleurs.

Aujourd’hui, Daniel Van Buyten est le héros de toute cette région qui n’a pas l’habitude de produire des sportifs de haut niveau. Chez les Van Buyten, la performance n’est cependant pas un terme inconnu. Francis est ancien catcheur professionnel qui fut champion d’Europe. Son frère passa tout près d’une grande carrière de boxeur. Le fils de celui-ci évolue en équipe nationale de balle pelote. Et Ferdinand Bracke est un cousin pas si éloigné que cela.

L’annonce du transfert de Daniel à Marseille a évidemment bouleversé tout le village. Un Diable Rouge de 900 millions à Froidchapelle! « Beaucoup de gens qui ne nous avaient jamais regardés, font aujourd’hui des pieds et des mains pour pouvoir nous approcher », confie Renata, la maman de Daniel. « On est apparemment plus intéressant quand on devient célèbre. Je ne savais pas que nous avions autant d’amis… »

Francis: « Un entraîneur de la région m’a confié récemment que les affiliations dans les petits clubs étaient en hausse, et que l’effet Van Buyten y était sûrement pour quelque chose. Les jeunes se rendent compte qu’on peut arriver au sommet en partant du bas de l’échelle, même dans un coin de Belgique où le sport de haut niveau est très mal représenté ».

« Daniel vivrait bien dans une bête caravane »

Pas très loin d’ici, le fils d’un marchand de clous est autrefois parti de rien pour devenir le plus grand financier du pays: Albert Frère. Aujourd’hui, le gamin d’un couple qui a gagné sa vie en vendant des frites est le joueur le plus cher de l’histoire du football belge.

Francis fait maintenant bouillir la marmite en chantant à des mariages, des communions et des réunions de retraités. Son agenda déborde mais Daniel lui a demandé de stopper son activité. « Il estime qu’il peut nous aider financièrement et que je ne dois plus me déplacer à gauche et à droite pour gagner ma vie. En fait, il voudrait surtout que nous allions le voir très souvent à Marseille. La famille a toujours été très soudée et Daniel a un peu peur de ne pas supporter l’éloignement. Il ne nous demande pas d’aller habiter dans le sud de la France. Il sait que nous sommes trop attachés à la Belgique. Il fera le maximum pour que nous nous plaisions quand nous lui rendrons visite à Marseille. Il cherchera une maison avec piscine et solarium pour sa maman, et des endroits où je pourrai aller pêcher. Mais si cela ne tenait qu’à lui, il vivrait bien dans une bête caravane! Les grosses maisons, le luxe, ce n’est pas son truc. Il a seulement une passion pour les belles voitures. Avant de quitter la Belgique, il était sur le point de commander une superbe BMW décapotable. Pas pour draguer les minettes, mais parce qu’il aime les voitures de sport… Daniel n’a pas de copine attitrée, juste des petites amies de passage ».

Sa mère (protectrice!) ajoute: « Mon fils est marié avec le football. Pendant des années, il a d’ailleurs dormi avec son ballon (elle rit)« .

L’éloignement tracasse surtout Renata. « Maintenant, je me rends compte à quel point mes parents ont souffert quand j’ai quitté l’Allemagne il y a trente ans, pour épouser Francis et venir m’installer en Belgique. Nos deux fils, Alain et Daniel, ont toujours joué ensemble jusqu’au moment où ils se sont retrouvés à Charleroi. J’avais déjà souffert quand ils avaient pris des directions différentes. Daniel avait signé au Standard, Alain était parti aux Francs Borains. Mais Daniel était à Liège et nous pouvions le voir régulièrement. Aujourd’hui, il est à un millier de kilomètres et c’est difficile à vivre ».

« Daniel est monté dans le train, Alain est resté sur le quai »

Les parents du Marseillais avouent qu’ils sont un peu dépassés par les événements. Surtout depuis le but égalisateur de Daniel en Ecosse. Mais ils sont surtout contents et fiers de la réussite de leur fils. « Je ne vais pas être hypocrite: nous sommes un couple comblé », reconnaît Francis. « Nos deux enfants nous donnent beaucoup plus que tout ce que nous avions espéré. Nous avons fait énormément d’efforts pour qu’ils réussissent dans le football, mais ils nous le rendent au centuple. Daniel arrive au sommet, Alain ne désespère pas d’y parvenir. Il est en fin de contrat à l’Olympic et plusieurs clubs de D1, dont le Standard, s’intéressent à lui. Sedan aussi. Il a passé récemment des tests physiques dans un hôpital: il a le même potentiel que les joueurs d’Anderlecht! Il a simplement eu la malchance de ne pas être sur le quai lorsque le train est passé. Daniel est monté dedans. Alain était blessé à ce moment-là et il devait encore terminer son graduat en électronique. Si Robert Waseige était resté au Sporting de Charleroi, il aurait certainement lancé Alain après avoir propulsé Daniel en équipe Première. Waseige croyait beaucoup en lui également. Quand il était au Sporting, c’est lui qui tenait les attaquants en test. Il a muselé Djim et Alassane. Et la saison dernière, il a pris Dias de vitesse dans un match entre le Sporting et l’Olympic! »

Francis Van Buyten est persuadé que Daniel ne se serait jamais retrouvé à l’OM s’il ne s’était pas entraîné avec Alain, et que celui-ci n’aurait pas de perspectives de footballeur professionnel s’il n’avait pu compter sur Daniel. « Il y avait une terrible rivalité entre eux. Si Daniel jonglait 300 fois, Alain essayait directement de faire mieux. Chacun voulait me prouver qu’il était meilleur que son frère. Ils rentraient souvent à la maison en pleurant parce qu’ils s’étaient chamaillés, mais ils ne savaient pas vivre l’un sans l’autre ».

Alain (24 ans) a aussi passé des tests en D2 anglaise. S’il quittait la Belgique à son tour, Renata encaisserait un nouveau coup dur. « Nous nous retrouverions seuls à la maison, comme des pensionnés », grimace-t-elle. « Je suis très heureuse que Daniel soit aujourd’hui à Marseille et gagne beaucoup d’argent. Mais je serais aussi contente s’il était toujours à Charleroi. Le plus important pour moi, c’est quand même de voir souvent mes enfants ».

« Tu ne t’appartiens plus, fiston! »

Avant de s’engager avec l’OM, Daniel a demandé l’avis de son père. Une vieille habitude chez les Van Buyten. « Si je lui avais conseillé de rester au Standard, il l’aurait fait », dit Francis. « Mais il l’aurait peut-être regretté toute sa vie. Plusieurs fois, il m’a dit: -Mais Papa, je ne vaux quand même pas 900 millions… Ce transfert dans un grand club à l’étranger, nous le sentions venir. Beaucoup de managers nous contactaient parce qu’ils voulaient avoir Daniel dans leur écurie. Ils nous parlaient des plus grandes équipes européennes. Il y avait peut-être beaucoup de mensonges là-dedans, mais il était clair que la réputation de Daniel avait franchi les frontières de la Belgique. Le but qu’il a marqué en Ecosse a achevé de le faire connaître dans toute l’Europe. Petit à petit, nous nous préparions à son départ. Mais je l’ai mis en garde. Je lui ai dit: -Maintenant, fiston, tu ne t’appartiens plus. Le prix de ton transfert fait que tu appartiens au public. Tu n’as pas le droit de le décevoir. Tu n’as plus le droit à l’erreur. »

Pierre Danvoye

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