« Mon fils, ce héros »

Jorge Messi, le père du prodige argentin, raconte le parcours incroyable de son fils. De son enfance jusqu’à son éclosion au plus haut niveau international.

Vous souvenez-vous du moment où vous avez remarqué que votre fils avait un don particulier ? Après tout, vous avez été le premier entraîneur de Lionel, avec Salvador Aparicio, entretemps décédé. Vous travailliez pour Abanderos Grandoli, un club-satellite de Rosario, à 350 kilomètres de Buenos Aires.

Jorge Messi : Par hasard, j’entraînais la classe 1987, celle de mon fils. C’était étrange, presque tout ce que l’équipe réussissait passait par Leo : les buts, les occasions, tout. Si quelqu’un faisait la différence dans un match, c’était lui. Ce n’est pas parce qu’il est mon fils que je le dis mais parce que c’est la vérité.

Qui le joueur écoutait-il le plus : l’entraîneur Jorge Messi ou le père ? Duquel redoutait-il le plus une punition ?

Malgré sa classe, il a toujours été obéissant quand il s’agissait de football.

Alors qu’il était déjà le meilleur ?

Il se tenait aux consignes que je lui donnais en tant qu’entraîneur et il remplissait ses devoirs envers l’équipe, comme il le fait maintenant ou comme il l’a fait quand Frank Rijkaard l’a placé à droite pour qu’il puisse mieux exploiter son excellent pied droit. Il a toujours joué à la place que lui attribuaient ses entraîneurs, quels qu’ils soient, sans jamais se plaindre. Ce n’est pas dans sa nature.

D’après la légende, c’est Dona Celia, sa grand-mère maternelle, qui l’a conduit au club et a ainsi été à la base de sa prodigieuse carrière. Comment expliquez-vous cela ?

Ses frères aînés, Matias et Rodrigo, jouaient déjà à Grandoli. Celia les conduisait déjà à ce club.

Et que faisait Leo ?

Il se cramponnait à sa grand-mère pour qu’elle l’emmène. Il avait alors quatre ans. De ce point de vue, la légende est exacte : Dona Celia a effectivement eu le mérite de conduire Leo à Grandoli et d’avoir ainsi lancé sa carrière.

 » En le voyant jongler, les gens criaient Maradooo  »

D’après nos recherches, vous n’étiez pas un père qui passait son temps à crier sur ses enfants, tout excité, et qui poussait son enfant à réussir à tout prix…

À Newell’s, ma femme et moi nous tenions paisiblement au bord de la tribune en bois ou ailleurs sur des chaises en plastique. Je suis devenu plus émotif. Maintenant, plus personne ne veut regarder un match en ma compagnie.

Pourquoi ?

Parce qu’il m’arrive de crier, de m’énerver et aussi de lâcher un juron. (Il rit.)

À l’attention de Lionel ?

Récemment, mon fils a appris par un ami que je m’étais irrité d’un de ses matches contre le Real – il avait marqué un but ! Il m’a téléphoné, fâché :  » Papa, tu m’as vraiment insulté ?  » Mais en fait, il jouait la comédie, il n’était pas vexé du tout.

Il y a vingt ans, en 1993, vous avez vécu un grand moment quand les Newell’s Old Boys ont présenté leur transfert, Diego Maradona. Le petit Lionel participait aux festivités. Il a jonglé avec le ballon. N’était-il pas nerveux à l’idée de se produire devant tout le monde à l’âge de six ans ?

Pas le moins du monde. Il n’était pas nerveux, pas plus qu’il n’a ressenti de pression. Il était enthousiaste et quand nous l’avons interrogé, il a répondu :  » Pas de problème, ça m’amuse.  » Il a réalisé ses jongleries lors d’autres matches de championnat, contre l’Union de Santa Fe et Belgrano. Savez-vous ce que les gens criaient ?  » Maradooo, Maradooo !  »

Des personnages-clefs de ses débuts à Barcelone, comme l’ancien directeur sportif Carles Rexach et l’entraîneur des jeunes Albert Benaiges, ont raconté que le petit Leo ne ressentait jamais la moindre pression. D’où lui vient cette carapace ?

Il l’a toujours eue. Leo n’a jamais été stressé par l’idée de devoir gagner un match ou bien jouer sous prétexte que c’était important. Il a toujours pris ces défis comme des choses normales de sa vie.

 » J’ai pris une pause-carrière pour accompagner mon fils au Barça  »

À cet âge-là, c’est l’école qui est la chose la plus normale. A-t-il parfois négligé ses devoirs scolaires ou brossé ? On peut imaginer que sur le banc de l’école, Lionel pensait déjà à la récréation, durant laquelle il allait retrouver son ballon.

Franchement, il n’a jamais été un très bon écolier mais ça allait. Il fallait parfois le pousser mais il a achevé ses primaires sans problème et a poursuivi sa scolarité normalement à Barcelone.

Barcelone, nous y voilà. En 2000, le Barça l’a engagé alors qu’il n’avait que treize ans et a également payé son traitement hormonal, qui se chiffrait à 900 dollars par mois. Ce trouble de croissance qui a nécessité ce suivi a-t-il finalement été un coup de chance ? Sans cela, votre fils ne se serait sans doute pas retrouvé aussi jeune à Barcelone et ne serait pas devenu le meilleur footballeur du monde.

Qui sait ? Mais bon, s’il n’avait pas eu besoin de ce traitement hormonal, nous n’aurions pas été contraints de chercher un club prêt à assumer les frais inhérents. C’est ça qui nous a conduits à Barcelone.

Qui a décidé de faire appel à Barcelone ? Vous, Leo, bien qu’il n’ait été qu’un gosse, ou toute la famille ?

Nous nous sommes tous demandé que faire. Nous pensions à l’Italie mais l’Espagne et Barcelone ont rapidement pris le dessus. Tous les membres de la famille ont donné leur avis. Nous nous sommes installés à table, les enfants y compris, pour prendre une décision collective. Nous avons écouté les enfants aussi.

Qu’a dit Leo ?

Il souhaitait aller à Barcelone.

L’incertitude de l’avenir n’a-t-elle pas pesé ?

Certes. J’avais un travail à Acindar, un géant de la métallurgie. J’y étais bien payé mais l’usine m’a accordé une pause-carrière pour accompagner Lionel à Barcelone. À l’époque, le peso équivalait à un dollar et mon salaire de 1.600 pesos n’était donc pas si minable. Le problème, c’est que ce traitement hormonal coûtait 900 pesos ou dollars, soit plus de la moitié de mon salaire. L’assurance-maladie ne l’a remboursé que pendant deux ans. La troisième année, nous avons dû le financer nous-mêmes.

 » Leo aurait réussi aussi s’il était resté en Argentine  »

Vous avez déclaré :  » Aujourd’hui, je n’irais plus en Espagne avec mon fils en laissant une partie de la famille en Argentine.  » Le pensez-vous vraiment ?

Nous avons pris un risque, même si mon employeur m’a accordé un délai, le temps de voir comment ça irait en Espagne. Mais toutes ces navettes, toute cette incertitude étaient vraiment pénibles.

Elles ont pourtant changé la vie de Lionel et de votre famille ?

Nous avons d’abord eu la chance qu’en 2002, l’Argentine ait supprimé la liaison du peso au dollar.

Le dollar a donc repris sa véritable valeur et ses détenteurs ont vu leur pouvoir d’achat augmenter. Quel impact cela a-t-il eu sur le train de vie de votre famille ?

Ma femme est rentrée en Argentine avec nos autres enfants et je suis resté seul à Barcelone avec Leo. Le Barça m’avait offert un travail. Nous vivions grâce à la moitié du salaire et j’envoyais le reste à la famille à Rosario. Ce n’est qu’à la séparation du lien entre peso et dollar que ma femme et mes enfants ont pu mener une vie agréable avec cette partie de mon salaire. Ce fut vraiment notre grande chance.

Votre fils aurait-il connu la même réussite s’il avait joué pour River Plate, le recordman des titres en Argentine ?

Cela aurait peut-être été plus difficile mais je crois qu’il aurait réussi, compte tenu de ses qualités. Il possédait déjà son talent technique à l’âge de quatre ou cinq ans. Il faisait tac-tac-tac et il se trouvait devant le but. Mais le Barça lui a inculqué une culture de jeu, une compréhension tactique, une philosophie très particulière.

Celle de Barcelone.

Oui et cela a contribué à la réussite de Leo.

Vous avez fait jouer votre fils pour River Plate en 1999-2000. Pourquoi ?

C’était une épreuve de force avec Newell’s car l’école des jeunes du club avait laissé entendre qu’elle financerait sa cure hormonale mais en réalité, elle m’a fait lanterner, revenir 30 fois et au bout du compte, au lieu de 900 pesos, elle m’en a proposé 400.

Newell’s de Rosario.

Oui. C’est pour ça que nous lui avons préféré River Plate. Nous voulions voir comment Newell’s réagirait.

Et ?…

À notre retour de River, Newell’s a dit :  » Nous paierons quand même le traitement, vous pouvez en être sûr.  » Mais rien n’a bougé. J’étais las de mendier. Le club m’a donné 300 pesos, c’est tout. Cependant, c’est moins le refus de l’institution Newell’s que l’attitude des gens qui étaient à ses commandes qui m’a déçu.

 » Je suis resté le même père qu’il y a 20 ans  »

Si un club argentin avait assumé le coût du traitement, Lionel serait resté en Argentine ?

Oui, naturellement. Nous serions restés à Newell’s.

Une sorte de précontrat a été signé sur une serviette devenue célèbre en décembre 2000. Rexach, le directeur du Barça, nous a dit qu’il avait craint que vous ne conduisiez votre fils au Real Madrid. Était-ce une option ?

Non. Je n’ai jamais vu cette fameuse serviette mais de fait, j’ai insisté auprès du Barça et j’ai demandé ce qui allait se passer. Vous devez comprendre le contexte : je ne disposais que d’un bref crédit de temps à mon boulot et Lionel avait interrompu sa scolarité. Nous avions pas mal de choses à régler et je voulais donc être certain que le Barça s’intéressait vraiment à mon fils. Sinon, nous mettions fin à l’entretien.

Quelle fut la réaction du Barça ?

Rexach m’a immédiatement envoyé une lettre pour m’apaiser et m’assurer que tout se passerait bien.

Et comment ! Dans quelle mesure la famille Messi a-t-elle changé, maintenant qu’elle compte en son sein le quadruple Ballon d’Or ?

Pas grand-chose. Nos liens sont restés identiques. Nous avons quitté le vieux quartier de Rosario et encore. Ma fille Maria Sol occupe toujours la maison. Elle y vit et y reçoit ses amis.

On dit que c’est un quartier dangereux mais il a plutôt l’air d’un quartier banal de petites gens.

Oui, il est habité par des ouvriers. Il n’est pas épargné par une certaine criminalité mais c’est le cas de beaucoup d’autres quartiers.

Vous avez été l’entraîneur de Lionel mais vous êtes avant tout son père. Meilleur footballeur du monde ou pas, l’insultez-vous encore ?

Évidemment. Il ne m’a jamais répondu quelque chose du style :  » Je suis maintenant le numéro un mondial, j’ai 25 ans et je suis moi-même père de famille, tu n’as plus rien à me dire.  » Comme je vous l’ai déjà dit, je lui ai fait plusieurs remarques après un match contre le Real, où je ne le trouvais pas bon. Je suis resté le même père qu’il y a vingt ans quand j’entraînais Grandoli.

Vous dirigez maintenant la Fundacion Leo Messi, à laquelle appartient également le club de football de Sarmiento. Espérez-vous découvrir un nouveau Messi ?

Cette fondation collabore avec le club de Sarmiento mais elle ne le dirige pas. Nous avons cependant envoyé quelques joueurs en juniors à Boca, de River, de Newell’s ou de Rosario Central.

 » La Fondation Leo Messi soutient l’hôpital pour enfants de Rosario

Et la fondation ?

Elle soutient également l’hôpital pour enfants de Rosario. Nous participons à la construction d’une nouvelle aile. Pour le moment, 40 enfants se partagent une salle de bains. À l’avenir, il y aura des chambres individuelles et une salle de bains pour deux patients. Nous envoyons aussi de jeunes médecins à Barcelone pour y perfectionner leur formation.

Pensez-vous parfois à ce que sera votre fils Lionel dans quelques années, quand, l’âge venant, il ne sera plus aussi rapide que maintenant ?

Il devra jaillir de plus loin, jouer plutôt comme un régisseur. Il le fait déjà pas mal. Il se laisse fréquemment retomber afin de diriger le jeu de l’arrière.

Vous avez-vous-même été un régisseur.

Oui, j’ai joué mais ce n’était pas comparable…

Votre fils joue en équipe-fanion de Barcelone depuis huit ans et il n’a encore que 25 ans. Vous demandez-vous parfois l’effet que ça fera de ne plus le voir jouer au football ?

Quel hasard ! Je viens justement d’en discuter avec ma femme.

Et ?

Le jour où Leo remisera ses crampons, je perdrai une grande illusion. Je ne regarderai sans doute plus aucun match. Ne me comprenez pas mal : j’aime le football mais imaginer que Leo ne jouera plus, un jour, me fait frémir. Je ne veux même pas y penser. ?

PAR JORG WOLFRUM, KICKER

 » Le traitement hormonal de Leo coûtait 900 pesos tous les mois. Plus de la moitié de mon salaire.  »

 » Le jour où Leo remisera définitivement ses crampons, je ne regarderai plus jamais un match de football. « 

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