« Mon école de vie »

De retour dans la capitale du Sénégal où on a déjà rencontré Momo Sarr et Elimane Coulibaly.

Dans la file, on nous propose des mouchoirs, des cartes de téléphone, des montres, des lunettes de soleil, des briquets, des porte-clefs ou encore des jouets, des sous-vêtements ou des biscuits. A Dakar, il y a trop peu de travail pour nourrir toutes ces bouches. Pour la plupart des gens, c’est struggle for life et aux endroits stratégiques, le commerce ambulant fait rage.

Nous sommes en route avec Mbaye Leye et El Hadji Ndaw. El Hadji conduit son ami à un rendez-vous au centre-ville et nous discutons sur la banquette arrière du véhicule.  » L’Afrique est une bonne école de vie « , dit Mbaye.  » Quand on a vaincu toutes les difficultés d’un pays en voie de développement pour vivre décemment, on peut s’adapter à tout. En Europe, les parents préparent l’avenir des enfants. Ici, il faut se débrouiller. La plupart des gens doivent se battre pour arriver à nouer les deux bouts. Cela vous forge un caractère. Un Africain qui débarque en Europe en se disant que cela va aller tout seul ne peut qu’échouer. Ils ne sont qu’une petite minorité dans ce cas mais, hélas, c’est d’eux dont on parle. C’est aussi l’Afrique qui m’a donné cette joie de vivre et cette façon d’être à l’aise avec tout le monde. Ici, je me promène en short et en sandales. Je ne suis pas du genre à faire le fanfaron avec une grosse voiture. Ce n’est pas parce qu’on parle plus d’un footballeur que d’un plombier, un mécanicien ou un fleuriste que nous sommes meilleurs sur le plan humain. Ces gens-là ne savent peut-être pas contrôler un ballon mais je ne peux pas faire ce qu’ils font non plus.  »

La Teranga, c’est l’hospitalité sénégalaise

La capitale sénégalaise déborde de gens. La population ne cesse d’augmenter, le trafic est congestionné et le moindre espace libre est voué à la construction.  » Le Sénégal est un pays très sympathique « , dit Hadji lorsque Mbaye sort de la voiture. Connaissez-vous la Teranga sénégalaise ? En Afrique, nous sommes réputés pour notre hospitalité. Vous pouvez arriver ici les mains vides, vous trouverez toujours de quoi manger et un toit pour la nuit. Nous vivons en communauté. Beaucoup de Guinéens viennent à Dakar, ils louent une chambre et vivent à plusieurs. Notre peuple est très gentil. « 

Sur Radio Nostalgie, Madonna chante l’amour. A l’extérieur, d’élégantes femmes vêtues d’habits colorés se promènent. El Hadji est plein d’éloges pour son ami.

 » Mbaye est calme et sait ce qu’il veut. Il s’entend bien avec tout le monde. C’est un homme sans problème. Il fait notre fierté, notre exemple, une source de motivation pour tous les enfants du quartier. Il aime beaucoup le football mais il a d’abord effectué ses études et cela ne l’a pas empêché de devenir international. Nous ne sommes pas étonnés car, tout petit déjà, il était le meilleur. Lorsque nous devions affronter un autre quartier, nous attendions qu’il arrive car, sans lui, nous aurions perdu. Il savait où se placer pour marquer et inscrivait souvent des buts spectaculaires. Mbaye nous aime, il nous aide, nous conseille et m’achète même des vêtements. « 

Mbaye revient de son rendez-vous :  » Au Sénégal, cela prend toujours un peu plus de temps. Mais c’est un pays fantastique. Si vous y veniez en vacances, vous découvririez des choses très positives. Ce qu’il faut améliorer, c’est la mentalité et l’éducation. C’est très bien de construire des routes mais si les conducteurs ne respectent pas le code de la route… La vie n’est pas facile ici et cela rend parfois les gens nerveux, moins tolérants. Ils se découragent. Les médias, les journaux, la télévision et internet devraient les aider à changer leur comportement, mais ces médias diffusent avant tout de la publicité insignifiante. Les politiciens africains doivent aussi changer. Il arrive souvent que les élus s’enrichissent sur le dos du peuple. En Afrique, la politique des amis est plus importante que les compétences. S’il faut un comptable à l’hôtel de ville et qu’on y place quelqu’un pour faire plaisir à un ami plutôt que pour ses qualités, on ne peut pas progresser. C’est une des conséquences de la Teranga, mais le Sénégal est aussi l’un des pays les plus stables, les plus sûrs et les plus sympathiques d’Afrique. Les gens cohabitent en paix et cela n’a pas de prix. « 

Les HLM Grand Medine

Leye séjourne avec son épouse Sandrine et leur fils Tidiane dans la maison de sa mère, dans le quartier HLM Grand Medine, près de la plage qui borde l’océan Atlantique. C’est plus calme que dans le centre-ville. Il est venu y habiter à l’âge de huit ans avec sa mère, ses quatre frères et trois s£urs. A l’époque, ils avaient quitté Birkelane, ville de la région de Kaolack, dans le centre du pays, où il est né le premier décembre 1982 d’une famille polygame.

 » Aujourd’hui, tous les enfants sont mariés « , dit Mbaye.  » J’ai une s£ur à Rennes. Deux frères travaillent à la Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale, comme ma mère. Un autre est mécanicien à Air France et un quatrième fait du commerce avec des Canadiens. Mon père travaillait pour une société de lois sociales. Il est décédé il y a deux ans. Il était vieux et malade. Les meilleurs souvenirs de ma jeunesse datent de l’époque où nous avons rejoint Dakar. Dans la rue, nous délimitions deux buts avec des pierres. Quand une voiture passait, nous nous mettions sur le côté. Je jouais bien et j’aimais cela mais je voulais étudier pour obtenir de beaux diplômes et réussir. C’est quelque chose que mes parents m’avaient inculqué. J’étais un bon étudiant. Nous sommes musulmans mais j’ai fait mes études dans une école privée catholique parce que l’enseignement y était meilleur. Je voulais être professeur de sport. Mon père aimait le football et était même supporter d’un club de D1 de Dakar mais je n’avais pas l’autorisation de m’y affilier. Il voulait que je me concentre sur mes études. A l’époque, on ne considérait pas le foot comme un métier potentiel. Et puis il y a eu 2002 et le quart de finale de la Coupe du Monde atteint par les Lions de la Teranga. Depuis, des centres de formation réputés se sont ouverts, de jeunes Sénégalais ont éclaté en France, Tony Silva a été élu Meilleur Gardien de Ligue 1 et la façon de voir les choses a changé. Mon père était très fougueux et autoritaire. Je peux aussi m’énerver et exploser pour un rien mais j’ai tout de même hérité d’une partie du calme, de la sagesse et de la souplesse de ma mère. Il ne me fallait pas grand-chose pour être heureux. Si je pouvais jouer au foot pendant une heure après avoir fait mes devoirs, j’étais content. Je prenais une douche, récitais une dernière fois mes leçons et j’allais me coucher. Je n’avais pas besoin de Nintendo, de PlayStation ou de Game Boy. Ma mère dit que je n’étais jamais tranquille. Comme je bougeais beaucoup et qu’elle ne me trouvait pas toujours, elle m’avait surnommé La petite souris

Depuis que j’ai quitté le Sénégal, j’ai vécu dans pas mal d’endroits et me suis toujours adapté rapidement partout. C’est en moi. Mon père disait toujours : – Si tu te rends dans un pays où tout le monde est nu, tu dois te déshabiller aussi. Je n’ai jamais connu la peur, la faim ou la soif et je suis très reconnaissant à mes parents de m’avoir inculqué des valeurs et des normes. Sans cela, je ne serais jamais devenu l’homme que je suis. Beaucoup oublient le respect lorsqu’ils commencent à gagner un peu d’argent. Dans un pays en voie de développement, quand on n’a pas d’éducation, il est facile de faire l’école buissonnière, de traîner en rue et de faire fausse route, de se retrouver en prison ou même de mourir jeune. Ce quartier est calme et le contrôle social est important. Mon père n’avait pas besoin d’être là. Si je faisais une bêtise en rue, le voisin me corrigeait. S’il le fallait, il me tirait les oreilles. En Europe, c’est chacun pour soi, on ne peut pas toucher aux enfants des autres.  »

La plage

Au coucher du soleil, la plage ressemble à un centre sportif en plein air. Après leur journée de travail, des tas de gens viennent s’y entraîner en groupe ou individuellement. On joue au foot, on fait de la lutte. La lutte sénégalaise est très populaire. Le combat du 26 juillet entre Gris Bordeaux et Yakhya Diop (connu sous le pseudo de Yekini, parce qu’il ressemblait à l’ex-attaquant de l’équipe du Nigéria et invaincu depuis le début du siècle) fait déjà la une des journaux.

Leye ne laisse rien au hasard : il a éclaté sur le tard mais n’en reste pas moins ambitieux. Il avait déjà presque 19 ans lorsqu’il signa sa première carte d’affiliation dans un club : l’OC Cesson Sévigné, en France.  » Lorsque j’ai eu 18 ans, je suis parti rejoindre ma s£ur à Rennes pour y poursuivre mes études « , dit-il.  » A la fin de ma première année, je me suis inscrit dans un club pour me faire plus d’amis et mieux m’intégrer. Comme tout allait bien, cela m’a donné envie de travailler davantage et je me suis mis à rêver de devenir un grand joueur. L’appétit vient en mangeant. Les gens qui m’ont vu grandir ne sont pas du tout surpris. Lorsque j’ai été repris en équipe nationale, ils m’ont demandé pourquoi je ne tirais pas les coups francs. Ils n’avaient pas oublié qu’enfant, j’étais très fort dans ce domaine. Jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans, j’ai toujours joué en défense centrale mais en grandissant, j’ai avancé dans le jeu. On s’est aperçu que je marquais facilement. Le centre de formation de la rue est très bon : on joue sur du sable lourd et bosselé, ce qui exige des qualités techniques et physiques que l’on peut développer. A mes débuts à Lorient, j’ai eu des difficultés sur le plan tactique car j’avais été habitué à improviser. Heureusement, je me suis entraîné pendant deux ans sous les ordres de Christian Gourcuff, le père de Yohann, qui est très fort au point de vue tactique et fut un des premiers, en France, à travailler avec des données informatisées. Quand j’ai quitté Lorient, c’était comme si je sortais du centre de formation.  »

La Gantoise

Sur le chemin qui mène de la plage à la maison des Leye, nous croisons un troupeau de buffles. Mbaye croise les bras et pose pour la photo. Nous sommes invités à partager un grand repas de thieboudienne, le plat national, à base de riz et de poisson. Le lendemain, Mbaye et sa famille s’envolent pour la France où ils vont passer une semaine de vacances avant la reprise des entraînements à Gand.

 » J’ai envie de réaliser de belles choses avec La Gantoise « , avance-t-il.  » Après une demi-saison passée, je dois être prêt. Je connais les joueurs et le système, je sais ce que l’entraîneur attend de moi. Ma polyvalence m’est très utile. Je suis prêt à jouer sur un flanc s’il le faut. Je veux atteindre la phase des poules de l’Europa League et lutter pour le titre. Comme tous les joueurs, sans doute, j’ai établi un plan de carrière. Je veux me faire un nom en Europe et en Afrique, porter le maillot de grandes équipes, jouer dans de grands championnats, avoir un palmarès. Et je sais que seul le travail paye… « 

par christian vandenabeele

Le centre de formation de la rue est très bon : on joue sur du sable lourd et bosselé.

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