« MON COMBAT CONTRE LA FIFA M’A COMPLÈTEMENT USÉ »

Quand on va voir Mémé en Roumanie, on est bien obligé de parler de D’Hooghe, de Rednic, de Giggs, des prisons de Bucarest et d’ailleurs, de Hong-Kong, du Nouvel An chinois, d’un père toujours donneur, des rois du pétrole, de vols à la tire voire d’un possible avenir au Dinamo Bucarest.

Cluj, Craiova, Constanta, Brasov, Bucarest,… Une sélection de panneaux de signalisation à Ploiesti. Ça sent bon cette bonne vieille D1 roumaine. On y retrouve Mémé Tchité, 31 ans et une pige de trois mois au Petrolul de la ville après un an et demi de galère. Une saison 2013-2014 pour ainsi dire blanche à Bruges, ensuite six mois sans contrat. L’heure est à la relance pour le gars qui sourit tout le temps. Quoique… Le photographe, local, a la mauvaise idée de lui demander pour quelle équipe nationale il joue. La réponse fuse et il n’a pas envie d’être comique :  » Oh my friend, you don’t know my story ? No national team for Mémé. FIFA killed Mémé. FIFA mafia.  »

C’est clair, il a envie de solder quelques comptes. Avec cette FIFA qu’il accuse d’avoir bousillé sa carrière. Avec Bruges aussi. Trois jours avec Mémé Tchité à Ploiesti, c’est l’occasion d’entendre quelques anecdotes savoureuses sur sa vie et son oeuvre de joueur, de mieux comprendre comment le Footballeur Pro 2007 s’est perdu, de percer la motivation du seul personnage à avoir joué pour le Standard, Anderlecht et Bruges. L’occasion aussi de mieux saisir la réalité quotidienne chahutée de la Liga 1.

La veille, Mémé a joué… il ne sait plus où…  » Il y a des noms de clubs que je n’arrive pas à retenir.  » Le match en question s’est joué à Ceahlãu, à six heures de bus. Prononciation impossible pour nous, il est excusé. Il a disputé les 90 minutes, c’est la deuxième fois que cela lui arrivait depuis son atterrissage sur le sol roumain, fin février. Son coach qu’on connaît très bien, Mircea Rednic, ne veut pas le griller. Il l’avait aligné dès son arrivée, contre le Steaua Bucarest. Mémé avait directement marqué mais s’était blessé dans la foulée.  » Il n’était pas prêt, je le savais, mais je n’avais pas d’autre attaquant « , nous explique Rednic.  » J’ai pris le risque, c’était un risque perdant, il est ensuite resté quelques semaines à l’infirmerie.  »

On se balade dans la ville. Les tours d’appartements sont d’un gris sinistre. Les chantiers se bousculent, et ici, les ouvriers prennent le temps… Une fille bien chiffonnée fait le tapin devant une station-service. Le décor…  » Elle est parfois là à 7 heures du matin. Mais qui peut bien aller aux putes à 7 heures du matin ?…  »

 » Bruges m’a menti et a provoqué tous mes problèmes  »

Mémé Tchité a choisi de vivre dans un hôtel sans luxe de Ploiesti. Bucarest n’est qu’à une heure de route, et là-bas, c’est l’Europe, une ville moderne. Presque tous ses coéquipiers y sont installés. Lui, il a préféré ne pas se disperser. Priorité à son come-back. Et donc, il occupe une chambre de cet établissement qui appartient au directeur technique du Petrolul. On passe à table. On veut connaître toute son histoire, en savoir plus sur les détours qui l’ont amené de Bruges à Ploiesti. Un titre et deux Supercoupes avec Anderlecht, un statut de buteur en championnat d’Espagne, une Coupe avec le Standard, un transfert retentissant au Club et un salaire en rapport, une priorité pour l’Union Belge qui le voulait en Diable Rouge… tout ça semble si loin. Il était où, le couac ?

A peine installé, il lance :  » Je vais être obligé de te parler beaucoup de Bruges. Ce qu’on m’a fait là-bas, c’est ce qui a provoqué tous mes problèmes. Les gens ne connaissent pas la vérité. C’est trop simple de faire croire que j’ai perdu ma place au Club pour des raisons sportives, de dire que je n’étais plus assez bon pour le top du championnat de Belgique. Ça me fait mal que les gens aient gardé cette image-là de moi.  »

Il nous fait le récit de son  » mariage complètement raté  » avec le Club.  » Je signe là-bas en 2012 pour une raison précise : la direction m’a promis de solutionner mon dossier équipe nationale, de convaincre la FIFA de me laisser jouer avec les Diables. On me dit que Michel D’Hooghe va arranger ça. S’il n’y a pas les Diables, je quitte la Belgique à ce moment-là. En signant à Bruges, je me dis que ça va être plus simple, et eux, ils jouent là-dessus pour me convaincre de signer. Mais je me rends vite compte que ce n’est pas gagné. Les dirigeants m’ont demandé de retirer ma plainte contre la FIFA, je l’ai fait, mais ils commencent à me dire que le dossier, finalement, est assez compliqué.

Et après une demi-saison, ils me mettent un coup de poignard. Alfred Raoul, mon agent, m’appelle : -C’est quoi ce truc avec la Chine ? On me dit que tu vas signer là-bas. Je ne suis au courant de rien. Puis, c’est la direction d’un club chinois qui me téléphone : -Tout est arrangé avec Bruges, vous n’avez plus qu’à venir signer votre contrat. Bruges a tout organisé dans mon dos. Georges Leekens a sauté, mon dossier équipe nationale est mal, ils ne comptent plus sur moi.  »

 » La FIFA et l’Union Belge se renvoyaient la balle. C’était un dîner de cons  »

Un long bras de fer commence.  » Juan Carlos Garrido me fait de moins en moins jouer, il me dit que je ne suis pas à 100 %. Il ment. Il n’est que le ventriloque de la direction qui veut me pousser à bout, me dégoûter, me faire exploser la tête, me faire partir. Je lui dis : -Arrête tes conneries, ce n’est pas toi qui décides. Plus tard, il me l’avouera. Dès ce moment-là, c’est fini pour moi. Ma tête n’est plus à Bruges. Ce qu’ils m’ont fait avec cette histoire de transfert en Chine, c’est nul, c’est con, c’est non professionnel, c’est un manque de respect total.

Je suis encore à Bruges la saison suivante parce qu’il n’y a pas eu d’offre qui convenait au Club et à moi pendant l’été, et je fais ce qu’on me dit : les entraînements avec le noyau B. Pas de problème. Quand je croise les gens du staff, je ne leur dis même plus bonjour. Mon histoire avec Bruges est terminée. Je ne veux plus parler à ces hypocrites, je suis logique avec moi-même.  »

Même l’arrivée de Michel Preud’homme, qui lui a offert son premier contrat pro au Standard et a essayé entre-temps de l’attirer en Arabie Saoudite, ne change rien.  » Il veut que je retourne dans le groupe pro. Je mets deux conditions : j’exige de pouvoir parler enfin à Bart Verhaeghe et Vincent Mannaert, les yeux dans les yeux, je veux les voir, les entendre, les… sentir ; et je veux qu’on casse mon contrat à la fin de la saison. Il me reste un an, je laisse tomber une somme énorme mais je m’en fous, c’est le prix de la liberté que je veux retrouver. Ils acceptent. Finalement, je rejoue très peu. Logique. Impossible de me reconcentrer sur le Club, comme s’il y avait un cadenas que je n’arrivais plus à ouvrir.  »

Et les Diables, c’est son autre grosse cicatrice.  » La FIFA a fini par dire à l’Union Belge que j’étais libre, que je pouvais jouer avec la Belgique. La Fédération exigeait d’avoir un document officiel, la FIFA n’a jamais voulu le faire. Ils se renvoyaient la balle, c’était un dîner de cons. L’Union Belge n’a pas eu les couilles de me faire jouer. En attendant, la FIFA a cassé ma carrière. Où est-ce que je serais aujourd’hui si j’étais devenu Diable Rouge ? Ce combat de plusieurs années m’a complètement usé. Mentalement. Et financièrement. Luc Misson ne travaille pas pour des cacahuètes.  »

Ploiesti, un mercredi soir pas ordinaire. La Roumanie du foot est devant le poste pour le clash Steaua Bucarest – Târgu Mures. Le leader reçoit le deuxième, qui le sautera en cas de victoire. On retrouve Mircea Rednic au restaurant de l’hôtel où loge Tchité, où loge aussi tout le noyau du Petrolul, qui joue le lendemain. Rien n’a changé, on a droit à un Rednic accessible, souriant, plein d’humour. Classe.

Ce n’est pas parce qu’on a un des plus gros palmarès du foot roumain qu’il faut se prendre au sérieux. Il est au resto pour regarder le match. Et si Tchité a du mal à ne pas piquer Bruges, lui ne peut s’empêcher de titiller la direction du Standard !

 » Une situation comme au Standard, hein…  »

 » Regarde, le stade n’est pas plein. Parce que les supporters du Steaua sont en pétard avec leur direction. Comme au Standard, hein…  » Gros plan sur le coach de Târgu Mures. Liviu Ciobotariu ! Méconnaissable par rapport à ses passages au Standard et à Mons. Son visage a doublé de volume.  » Et encore, il a un peu maigri « , signale Rednic.  » Un jour, je lui ai dit : -Mais qu’est-ce que tu fous, qu’est-ce que tu manges ?  » Il y a quelques semaines, le Steaua possédait une avance monstre sur Târgu Mures. Elle a fondu. Ciobotariu est occupé à faire un gros truc.

Rednic passe pour la deuxième couche :  » Târgu Mures en est à son troisième entraîneur depuis le début de la saison. Comme le Standard… C’est terrible ici. Je suis aussi le troisième coach du Petrolul. Mihai Teja, qui était mon adjoint au Standard, a été viré du Dinamo Bucarest après trois matches. Il y a déjà eu 36 changements d’entraîneur cette saison. Il n’y a que le Steaua et Botoþani qui ont toujours le même. Mais si le Steaua perd ce soir, ça risque de bouger là-bas aussi.  » Le Steaua va perdre, le match et la première place.

Cette instabilité est une plaie du championnat roumain. Les magouilles financières sont son autre cancer. Autre gros plan télévisé au moment où le match commence : Gigi Becali. Politicien, homme d’affaires parmi les plus riches du pays et aussi patron du Steaua.  » Tu sais pourquoi on le montre ? « , nous demande Rednic.  » Parce qu’il vient de sortir de prison… Le président du Petrolul y est aussi. Comme ceux du Rapid Bucarest, du Dinamo Bucarest, d’Astra Giurgiu et deux autres équipes de D1. Comme le maire de Ploiesti et celui de Târgu Mures…

Dans la plupart des cas, c’est pour blanchiment. Si la justice continue à être aussi sévère, il va falloir reconstruire des prisons. C’est le prix à payer pour ramener la Roumanie sur le bon chemin. On a tout pour être riches : la mer, la montagne, le pétrole,… Mais les magouilles sont un art de vivre. Cette région, par exemple, est la capitale roumaine du pétrole et on forme ici des spécialistes dans ce domaine qui partent travailler dans le monde entier.  »

Mais qu’est-ce que Rednic vient faire dans cette galère ? Un président et un maire en taule…  » J’étais ici quand le Standard m’a contacté en fin d’année 2012. J’avais une clause de départ à 200.000 euros. Le président, qui est un ami, m’a laissé filer pour rien. Je lui ai expliqué qu’entraîner le Standard, c’était mon rêve. Il m’a fait un cadeau. Alors, quand il m’a rappelé en janvier de cette année, c’était une belle occasion pour moi de faire un geste à mon tour. Et je travaille gratuitement parce que le Petrolul est dans une situation financière catastrophique.  »

 » Parfois, je suis un peu suicidaire…  »

Mémé Tchité ne s’encombre pas la tête avec ces problèmes. Il a accepté Ploiesti dans le seul but de redevenir joueur de foot. Après quelques semaines chahutées et quelques solides voyages. Après la rupture de son contrat à Bruges, il est parti à Santander, où sa mère et ses frères vivent depuis son passage en Liga.  » Comme je n’étais pas bien dans ma tête, mon fils et des cousins sont aussi venus pour me soutenir.  »

Son père est toujours au Rwanda, son ex-compagne et son fils vivent à Liège. Mémé rigole :  » Chez vous, c’est le mari, la femme, les enfants, la maison. Chez nous, il y a les cousins, les mamas, les tantes, les oncles, ce n’est pas organisé comme en Europe. Ma famille… c’est un peu compliqué à comprendre. J’ai beaucoup de frères, de soeurs, de demi-frères, de demi-soeurs. Mon père continue à donner, il n’est pas fatigué…  »

Et donc, il est resté six gros mois sans gagner sa vie.  » Parfois, je suis un peu suicidaire… L’argent de Bruges, c’était bien, mais je voulais autre chose, je devais me reconstruire, faire le point. Je ne regrette pas cette demi-année sans football. J’ai continué à bosser en sachant que j’allais retrouver un club. Je me suis entraîné avec l’équipe pro de Santander, j’avais un coach personnel, j’allais courir à la plage. J’ai parfois lu que ma carrière était finie, que je ne retrouverais jamais mon niveau. Quelles bêtises…

Comme si on désapprenait à jouer au foot en six mois ? J’ai encore tout pour être le même buteur qu’au Standard, qu’à Anderlecht, qu’à Bruges lors de ma première saison, qu’en Espagne. Je n’ai que 31 ans. Ryan Giggs a fini à quel âge à Manchester ? Hossam Hassan a gagné la CAN à 40 ans. Je n’ai pas pris un gramme.  »

Début janvier, Mémé Tchité s’est dit que la farce avait assez duré. Il a commencé à négocier avec des clubs en Finlande, en Turquie, en Azerbaïdjan. Et il a été à deux doigts de signer en Chine.  » J’ai pensé qu’il était temps de rejouer, quand même ! Je suis parti passer un test là-bas. Pour avoir mon visa à Bruxelles, il fallait plusieurs jours. En le prenant à Hong-Kong, ça pouvait aller beaucoup plus vite. Alors, je suis parti à Hong-Kong. Je me suis entraîné et j’ai joué des amicaux avec un club chinois. Ils étaient prêts à me prendre mais je devais patienter quelques jours, le temps qu’ils fêtent leur Nouvel An.

J’ai décidé de rentrer en Belgique. En repassant par Hong-Kong, j’ai été contacté par l’Impact Montréal, le club de Laurent Ciman. Et je suis tombé par hasard sur la direction du New York Cosmos qui y faisait un stage. L’équipe de Raul. Leur coach m’a dit que je l’intéressais, j’ai fait un entraînement avec eux. Mais ils voulaient aussi que je patiente un peu. J’ai alors pris le premier vol pour Bruxelles.

Un club finlandais me mettait la pression. Moi, j’attendais plutôt des nouvelles de Chine. Le Standard se manifestait aussi, je pouvais éventuellement y aller si Igor de Camargo partait au Qatar. A ce moment-là, Rednic m’a appelé, il me proposait de signer directement ici. J’ai foncé.  »

PAR PIERRE DANVOYE À PLOIESTI – PHOTOS : BELGAIMAGE / COSMIN IFTODE

 » L’Union Belge n’a pas eu les couilles de me faire jouer avec les Diables.  » Mémé Tchité

 » Il va falloir construire des nouvelles prisons ici, pour les dirigeants de clubs.  » Mircea Rednic

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