« Mon choix est imminent »

Chelsea, l’Ajax, le Maroc, Anderlecht, le double Soulier d’Or évoque tous les sujets chauds et parle de son avenir.

En Belgique, il est quasiment sans rival. Préfère-t-il rester le roi d’un petit championnat ou démontrer, à ceux qui en douteraient, qu’il est également capable de briller dans une Ligue plus relevée ?

Vous avez décroché votre deuxième Soulier d’Or après trois titres de Footballeur pro de l’année : qu’est-ce que cela représente pour vous ?

MbarkBoussoufa : C’est une reconnaissance pour les belles prestations que j’ai livrées. Je le dois aussi au Sporting, car les trophées individuels viennent généralement récompenser les joueurs en vue d’une équipe qui gagne. C’est spécial, je le re-connais.

2010 fut-elle votre meilleure année ? Meilleure que 2006, lorsque vous aviez décroché votre premier Soulier d’Or pour six mois à La Gantoise et six mois à Anderlecht ?

Je le pense, oui. 2010 fut vraiment une année formidable. Anderlecht a survolé le championnat, a aussi réalisé de belles prestations en Europa League, et je pense avoir été un élément déterminant de cette équipe.

Comment avez-vous évolué, depuis votre arrivée en Belgique en 2004 ?

Humainement, je n’ai pas changé. Je suis toujours la même personne qu’il y a sept ans. Sportivement, j’ai pris de l’expérience. Dans ce domaine-là, j’ai beaucoup changé. A force de jouer des matches, en championnat de Belgique et en compétition européenne, j’ai appris un tas de choses : à quel moment il faut calmer le jeu, à quel moment on a l’opportunité de faire basculer une rencontre…

Vous êtes aussi devenu plus concret : vous affolez les statistiques en matière d’assists et de buts…

Depuis trois ou quatre ans, je suis toujours bien placé dans ces catégories. Je marque beaucoup plus qu’au début. C’est aussi une question d’expérience : j’ai appris à devenir plus calme devant le but, à maîtriser la pression, à mieux lire le jeu. C’est une évolution logique chez un footballeur : plus on mûrit, plus on sait comment il faut se comporter dans certaines circonstances.

C’est cette évolution-là que doit encore appréhender Eden Hazard, non ? Il reçoit tous les éloges en France mais reconnaît qu’il reste sur sa faim lorsqu’il compulse ses statistiques.

D’abord, il faut se rendre compte qu’en France, ce n’est pas facile d’affoler les statistiques : c’est un championnat très fermé, où les occasions de buts (et donc d’assists) sont rares. Hazard est encore jeune, il a déjà démontré qu’il disposait d’un potentiel énorme. Je trouve qu’en Belgique, on regarde un peu trop les statistiques.

Pas uniquement en Belgique : les statistiques du Ballon d’Or, Lionel Messi, sont impressionnantes !

OK, mais il faut comparer ce qui est comparable. Messi, c’est Messi. Le potentiel d’un joueur ne se reflète pas toujours dans les statistiques. Hazard est fantastique, il peut devenir un très grand joueur et ce n’est pas pour rien que ceux qui le suivent régulièrement lui adressent autant d’éloges malgré des chiffres encore perfectibles. Ils constatent son potentiel avec la qualité de son jeu, avec les prouesses qu’il réalise. L’inverse est parfois vrai aussi. Prenez l’exemple de Pippo Inzaghi : footballistiquement parlant, ce n’est pas un grand joueur, mais il marque. Lorsqu’il inscrit un but important à la 90e, il a rempli son rôle, même s’il est passé inaperçu pendant 89 minutes. C’est une manière de voir les choses, et pour un attaquant, cette perception se défend. Lorsqu’on n’est pas un pur attaquant, qu’on est aussi un créateur comme Hazard ou moi, il faut briller dans d’autres domaines. Et lorsqu’on est un vrai médian, on peut réaliser un très bon match avec zéro assist et zéro but.

Comme Lucas Biglia ?

Par exemple, oui.

 » Lukaku a déjà fait ses preuves au niveau européen « 

Lorsque vous avez reçu votre Soulier d’Or, vous avez tenu à ce que Romelu Lukaku vous rejoigne sur le podium. Pourquoi ?

Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir dire. L’idée m’est alors venue d’appeler mon coéquipier, de faire un geste envers lui.

Histoire de lui faire plaisir, et d’associer également le club à votre succès ?

Je l’ai surtout fait pour lui. Je tenais à lui faire comprendre qu’il aurait également mérité le trophée. En outre, je sais qu’on aura encore besoin de lui pour réaliser nos objectifs cette saison. Ce n’était donc pas le moment de lui laisser ruminer des regrets.

Certains ont dit qu’il aurait fallu partager le Ballon d’Or en trois : Messi, Xavi et Iniesta. Aurait-on dû partager le Soulier d’Or en deux ?

Tout à fait. Romelu a livré une année 2010 fantastique, autant que moi. C’est un phénomène. Il a été meilleur buteur du championnat alors qu’il n’avait encore que 16 ans, cela en dit long sur son potentiel. Et il ne l’a pas encore totalement développé. Il doit encore progresser en technique, en vitesse, en expérience. Cela viendra en accumulant les matches.

Pour remporter à son tour le Soulier d’Or, Romelu devra encore rester en Belgique jusqu’en janvier 2012, au moins…

Ce n’est pas à moi de dire ce qu’il doit faire. C’est lui qui doit prendre sa décision, et c’est son entourage qui doit le conseiller. Je constate simplement qu’il est sur la bonne voie, qu’il progresse au fil des semaines et dispose encore d’une importante marge de progression. S’il reste encore un an, ce sera formidable pour Anderlecht. S’il part en juin, j’espère que cela lui permettra d’encore étoffer davantage son registre. Je n’ai pas de conseils à lui donner. On discute beaucoup entre nous, mais pas nécessairement de ses choix de carrière. S’il me le demande, je lui donnerai mon avis, mais cela restera entre lui et moi.

Chelsea est l’un des clubs intéressés. Vous avez vous-même fréquenté le club londonien à 17 ans. Compte tenu de votre expérience, à quoi Romelu devrait-il s’attendre ?

Les époques ne sont pas comparables. Lorsque j’ai rejoint Chelsea à 17 ans, beaucoup de jeunes avaient été achetés parce que le club, fortement endetté, se préparait à une politique d’austérité. Moi, j’avais été acheté à l’Ajax. D’autres avaient été achetés en Italie ou ailleurs. Tous revendiquaient une place en équipe Première. Mais il n’y avait pas de place pour tout le monde. Puis, Roman Abramovitch est arrivé. Il a effacé les dettes et a investi des dizaines de millions. Des joueurs de classe mondiale ont alors été achetés. Cela a complètement bouché les voies d’accès à l’équipe Première. J’ai beaucoup appris à Chelsea, en particulier sur moi-même, mais vu les circonstances, il valait mieux partir.

La situation est presque identique aujourd’hui : Chelsea vient d’acheter Fernando Torres pour 58 millions. On voit mal le  » petit  » Romelu affirmer :  » Fernando, tire-toi, j’arrive… « 

Il y a Fernando Torres, il y a Didier Drogba, il y a Nicolas Anelka… La concurrence est rude, c’est clair.

Romelu est déjà au-dessus du lot en Belgique, mais on voit au niveau international qu’il a encore des progrès à accomplir lorsqu’il affronte un défenseur expérimenté…

Là, je ne suis pas d’accord. Citez-moi un match où il a failli sur la scène européenne.

Chez les Diables Rouges, et même chez les Espoirs, il a parfois été mis sous l’éteignoir…

Les Diables Rouges, c’est autre chose. Je connais d’autres joueurs qui ne se montrent pas sous leur meilleur jour en équipe nationale. Cela n’a rien à voir avec le système : c’est une question d’automatismes, d’habitudes créées en club avec des partenaires que l’on côtoie tous les jours mais qui n’existent pas ou peu en équipe nationale où les joueurs se retrouvent seulement tous les deux mois, grosso modo. Avec Anderlecht, Romelu a été fantastique la saison passée contre l’Ajax, contre Bilbao, contre Hambourg… Il a déjà fait ses preuves au niveau européen.

 » Mon rêve, je le vis déjà au quotidien « 

Vous allez être amené à effectuer un choix de carrière important : un long contrat à Anderlecht ou un nouveau défi à l’étranger ?

J’ai déjà eu l’une ou l’autre discussion à ce sujet avec Herman Van Holsbeeck. Je n’ai pas encore pris ma décision.

En Belgique, vous êtes le roi. La réussite à l’étranger peut se révéler plus aléatoire. Est-ce un argument qui peut faire pencher la balance ?

Ecoutez, lorsqu’on débarque quelque part, on n’est jamais le roi directement. Je ne l’étais pas non plus lorsque j’ai débarqué à La Gantoise. J’ai acquis une certaine réputation à force de travail et de prestations de haut niveau. Je suis parfaitement conscient que, si je pars, je devrai recommencer, peut-être pas de zéro, mais d’une marche de l’échelle inférieure à celle sur laquelle je me trouve aujourd’hui en Belgique. Je devrai grandir, démontrer mon utilité dans mon nouveau club, pour essayer d’arriver là aussi au sommet. Mais ce défi ne m’effraie pas.

Qu’est-ce qui serait du domaine du rêve et qu’est-ce qui serait, au contraire, plus réaliste ?

Le rêve, je le vis déjà au quotidien. J’avais toujours rêvé de devenir footballeur professionnel. Je gagne ma vie, très bien d’ailleurs, en pratiquant ce qui était depuis toujours mon hobby. N’est-ce pas une vie de rêve ? Maintenant, si vous parlez de ma destination footballistique, l’Espagne serait un rêve. J’adore ce championnat, et je crois que le type de football qui y est pratiqué me conviendrait, mais j’ai le sentiment de pouvoir réussir dans d’autres championnats également. Je n’ai pas vraiment de préférence.

Pour prendre un joueur de votre gabarit : vous sentez-vous capable d’être à la hauteur d’un Samir Nasri à Arsenal ?

Je ne me compare pas à Nasri. Je connais l’Angleterre : que l’on soit grand ou petit, c’est surtout un championnat où tous les mouvements sont exécutés à une vitesse phénoménale.

L’expérience de Milan Jovanovic, ancien Soulier d’Or qui a échoué à Liverpool, vous fait-elle réfléchir ?

Je ne sais pas si on peut comparer mon cas au sien. Jovanovic a fait des choses formidables avec le Standard, mais avec tout le respect que je lui dois, je constate que sa dernière saison en Belgique n’avait pas été terrible. Est-il parti en Angleterre au mieux de sa forme ?

Travailler avec un entraîneur qui croit en vous est important aussi ?

C’est clair. Mais, en général, si un entraîneur vous fait venir, cela signifie qu’il croit en vous. C’est important de savoir quel type de football il prône : est-il adepte des combinaisons, préfère-t-il les longs ballons ?

Qu’est-ce qui vous inciterait, au contraire, à rester ? L’argent ?

Je gagne déjà suffisamment d’argent.

Mais vous en voulez encore plus ?

Non. Quand je dis que je gagne suffisamment d’argent, je m’exprime clairement, je pense.

Les ambitions d’Anderlecht concernant la Ligue des Champions, et surtout les moyens d’assumer ces ambitions, constituent-elles un autre argument susceptible de faire pencher la balance ?

Anderlecht a toujours été ambitieux, et je ne vois pas pourquoi cela changerait. Je ne me fais pas de souci à ce sujet.

Mais Van Holsbeeck a déclaré que le club ne pouvait plus se permettre d’acheter des joueurs à trois ou quatre millions…

La gestion du club, c’est son affaire. Je ne me mêle pas de cela. Je veux simplement jouer une compétition européenne. Et Anderlecht m’en offre la garantie chaque année. Si c’est la Ligue des Champions, c’est d’autant mieux.

Anderlecht a-t-il le niveau de la Ligue des Champions ?

Je crois qu’on a démontré qu’on était meilleur que le Partizan Belgrade. Donc, oui, on avait notre place en C1, puisque les Serbes l’ont disputée. En n’y remportant aucun point, d’accord. Mais la C1, c’est le top absolu.

Les clubs belges ne sont-ils pas plus à leur place en Europa League ?

Je laisse chacun penser ce qu’il veut à ce sujet.

A partir de quand Anderlecht pourrait-il considérer sa campagne européenne comme réussie ?

Le plus important était de s’extraire des poules. On l’a fait. Maintenant, tout palier supplémentaire qu’on parviendrait à franchir, serait du bonus. Si on élimine l’Ajax, ce sera déjà bien. Je ne regarde pas plus loin. Bien sûr qu’une demi-finale ou une finale serait fantastique, mais le chemin est encore tellement long…

On dit aussi que l’une des raisons qui vous pousserait à rester, est que vous adorez la vie à Bruxelles…

Je me sens très à l’aise à Bruxelles, c’est vrai. C’est une ville multiculturelle, un peu comme Amsterdam. Mais ce n’est pas cela qui fera pencher la balance. Je suis capable de m’adapter ailleurs.

 » Anderlecht est la seule équipe qui joue le titre chaque année « 

Vous avez opté pour l’équipe nationale marocaine. Actuellement, beaucoup de Belgo-Marocains sont confrontés au choix ou l’ont été. La décision était-elle plus facile à prendre pour vous, étant donné que les places étaient très chères chez les Oranje ?

Chacun doit effectuer son propre choix, et quel qu’il soit, il faut le respecter. En ce qui me concerne, ce n’était pas uniquement une question d’opportunités footballistiques. C’était une question de feeling. Je me sens Marocain, tout simplement. Je suis né à Amsterdam, j’ai grandi à Amsterdam, mais j’ai été éduqué à la marocaine. A la maison, on parlait arabe, on mangeait à la marocaine, on suivait les principes de l’Islam. Et donc, j’ai choisi de défendre les couleurs de la nation à laquelle j’avais le sentiment d’appartenir. Jouer pour le Maroc, c’était un rêve depuis que je suis tout petit. Chaque fois que je retournais dans le pays de mes ancêtres, c’est-à-dire quasiment chaque année pour les vacances, je m’y sentais chez moi. Et c’est aussi le cas chez les Lions de l’Atlas. Les joueurs belgo-marocains ont peut-être un autre feeling, je ne peux pas me mettre à leur place. Je respecte le choix de Chadli, qui a opté pour la Belgique, et je lui souhaite beaucoup de succès avec les Diables Rouges.

Comment se porte le football marocain ?

Bien. On a déjà un excellent entraîneur. J’espère qu’avec lui, on progressera. J’y crois. Eric Gerets est un battant et un vainqueur. Il répond parfaitement au profil que le Maroc recherchait.

Le fait qu’il ait travaillé en Arabie Saoudite l’aide-t-il à assimiler la mentalité musulmane ?

Il a fait ses preuves là-bas, comme il l’a fait ailleurs aussi. C’est un plus, c’est clair.

Cela fait un bon moment que le Maroc n’a plus participé à une Coupe du Monde…

Depuis 1998. En 2002, le Maroc est passé très près d’une qualification. Après, les Lions de l’Atlas ont effectué une traversée du désert comparable à celle des Diables Rouges. Un changement de génération, beaucoup de changements d’entraîneurs…

Un peu comme pour les Diables Rouges, l’objectif est la Coupe du Monde 2014 ?

Oui, et avant cela la Coupe d’Afrique 2012. Le football africain est en pleine ascension. Beaucoup de joueurs jouent dans de grands championnats européens. L’Afrique souffre surtout d’un problème d’infrastructures. Lorsqu’il sera résolu, ce sera un continent sur lequel il faudra compter, footballistiquement parlant.

Pour conclure avec le championnat de Belgique : quel sera le principal rival d’Anderlecht dans la course au titre ?

Pour l’instant, je vois surtout Genk et La Gantoise. L’an passé, c’était Bruges. Il y a deux ans, c’était le Standard. J’en tire surtout une conclusion : Anderlecht est la seule équipe qui joue le titre chaque année.

Genk est-elle l’équipe qui pratique le meilleur football ?

Peut-être, oui.

Meilleur qu’Anderlecht ?

Si vous le dites… Notre fonds de jeu peut être amélioré, c’est clair. Au premier tour, les combinaisons n’ont pas toujours été très fluides, mais c’est aussi dû aux blessures qui ont obligé l’entraîneur à modifier fréquemment son équipe. Mais on est en tête et c’est le principal. Je sais qu’à Anderlecht, le public est exigeant : gagner ne suffit pas, il faut aussi produire du spectacle. Mais c’est tout à fait logique, compte tenu du passé glorieux du club et des joueurs prestigieux qui ont évolué au stade Constant Vanden Stock.

Etes-vous surpris de la progression de La Gantoise, votre ancien club, alors qu’elle doit régulièrement se séparer de ses meilleurs joueurs ?

Surpris, non. Ce club est très bien géré. Lorsque je suis arrivé, les dettes étaient énormes ( NDLR : elles ont atteint les 22 millions). La politique des transferts a été très rentable : La Gantoise a bien acheté… et bien vendu. Le choix des entraîneurs a souvent été judicieux également : Trond Sollied, Michel Preud’homme, Francky Dury désormais. En fait, La Gantoise, c’est un peu le FC Twente belge.

PAR DANIEL DEVOS

 » Je trouve qu’en Belgique, on regarde un peu trop les statistiques. « 

 » Je gagne suffisamment d’argent. Je n’en demande pas plus. « 

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