Mister Svenglish

Quel est le secret du Suédois au chevet du foot anglais?

Est-il donc vrai que Sven-Göran Eriksson est un homme froid? Récemment (et pour la énième fois depuis qu’il a donné sa première conférence de presse en tant que sélectionneur, voici neuf mois), des reporters anglais ont tenté de le prendre au piège.

En lui demandant ce qu’il pensait de l’arrière gauche de Sunderland ou de se remémorer un des moments de gloire du football anglais: la victoire par 4-1 sur l’équipe de Hollande dans le cadre de l’EURO 96. Eriksson fut incapable de répondre et une goutte de sueur perla sur son front.

Il se défendit: « Mon boulot ne consiste pas à rêver du passé ».

Sa tâche, en effet, était de mener l’Angleterre à la phase finale de la Coupe du Monde 2002, au Japon et en Corée. Aujourd’hui, c’est fait, grâce à un magnifique coup franc de David Beckham dans les arrêts de jeu face à la Grèce. Adam Crozier, le président de la fédération anglaise, espère qu’Eriksson terminera sa mission par un titre mondial en 2006.

Avant d’accepter ce job, Eriksson (fan de publications de psychologie et de… poésie tibétaine), avait lu le livre anglais de Niall Edworthy. Il relatait toutes les campagnes de presse menées à l’encontre des coaches fédéraux depuis 1946. Bobby Robson s’est fait des cheveux blancs, son successeur Graham Taylor s’est cassé la figure et Glenn Hoddle, pourtant glorifié en tant que joueur, fut chassé.

Malgré ses deux coupes d’Europe, son titre de champion d’Italie avec la Lazio et ses trois championnats du Portugal avec Benfica, Eriksson n’avait aucun crédit. Dame, le premier étranger à hériter de ce poste dans un pays qui a inventé le football! Lorsqu’ils apprirent la nouvelle, les traditionnalistes n’en crurent pas leurs oreilles. Pour eux, c’était comme si un ver luisant devait apprendre à une étoile à briller.

Humiliation

Le Daily Mail parla « d’humiliation ». L’Angleterre avait perdu son droit du sang à un pays de tennismen et de skieurs de fond « qui passent la moitié de leur vie dans l’obscurité ».

Les gens qui le connaissaient étaient morts de rire. Car lorsqu’Eriksson (un ancien défenseur), remplaça son adjoint actuel Tord Grip au sein de l’équipe de D3 de Degerfors IF, il opta pour un style si british que le président du club, parlant des longs ballons, proposa de mettre son milieu de terrain en location puisqu’on ne jouait plus au football.

Plus tard, jeune entraîneur d’IFK Göteborg subissant quelques défaites d’affilée, Eriksson donna sa démission parce que ses joueurs appréciaient trop le jeu court et les combinaisons. Mais l’équipe mordit sur sa chique et, en 1982, Eriksson lui offrit son premier grand trophée, la Coupe UEFA, qu’il conquit en battant Hambourg en finale. Bob Houghton et Roy Hodgson, qui entraînaient alors Malmö et Halmstad, furent ses premiers exemples. Eriksson suivit également des entraînements du FC Liverpool et d’Ipswich Town et appliqua à Göteborg un style de jeu surnommé Svenglish.

Eriksson ne passe toujours pas pour un entraîneur novateur. Les journalistes anglais ne l’ont vu qu’une seul fois inventer quelque chose: à un certain moment, il annonça qu’il interdirait dorénavant à ses joueurs de boire de l’alcool. Un véritable choc culturel pour les footballeurs anglais.

Mais Eriksson, fils d’un camionneur et d’une infirmière, né près de la frontière norvégienne, possède d’énormes facultés d’adaptation. « Il portera bientôt un chapeau melon », rigolent ses amis scandinaves qui le virent revenir d’Italie dans des vêtements aristocratiques. Eriksson maîtrise également parfaitement l’attitude traditionnelle du manager anglais. Sur le terrain, il laisse travailler ses adjoints tandis qu’il se contente de regarder.

Contrairement aux entraîneurs à la mode des années 80 comme Arigo Sacchi, il est autoritaire et ressemble à un homme d’affaires. C’est son expérience ou sa réputation qui lui donne du charisme. Il leur importe donc avant tout de ne pas s’en laisser compter par cette bande de gamins en culottes courtes…

Businessman

La fédération anglaise succomba à son charme parce qu' »il est habitué à travailler avec des joueurs qui gagnent beaucoup d’argent », dixit David Dein, de la commission technique.

Dans son livre écrit avec le psychologue norvégien Willi Railo, Eriksson insiste sur « la nécessité de se séparer de joueurs influençant négativement le groupe ». Il fait partie de ces entraîneurs qui n’ont pas souvent eu besoin de serrer la vis.

En Série A italienne, avant qu’il n’offre à la Lazio le scudetto qu’elle attendait depuis si longtemps, on l’avait surnommé « le vainqueur des perdants ». Pour les critiques, il était « trop gentil ». C’est pourtant lui qui renvoya Giuseppe Signori, le chouchou du public. Et lorsqu’ Alen Boksic osa se plaindre d’une vareuse trop serrée avant un match, Eriksson appela un taxi pour le ramener à la maison.

Passionné de mandoline, Eriksson raconte ces histoires avec une affabilité toute naturelle, ponctuant chaque phrase d’un sourire qui découvre une dentition blanche comme de l’émail. Il n’a pas dû faire autrement lorsqu’à Rome, il invita un juge à déjeuner pour lui annoncer qu’il lui avait pris sa femme. Désormais, l’avocate Nancy Dell’Olio figure en bonne place dans les pages people des journaux et les tabloïds anglais savent pourquoi l’amie américano-italienne d’Eriksson éprouve les besoins de boire un verre de champagne avant chaque match. « Cela me calme », dit-elle.

Eriksson, qui possède des maisons en Suède, au Portugal, en Italie et à Regent Park estime que les médias anglais s’intéressent de trop près à la vie privée des gens. Les journalistes ont déjà pris contact avec sa mère, son ex-femme, son fils qui étudie aux Etats-Unis, sa fille qui vit avec sa mère à Florence, son ex-belle-mère… Pour lui, c’en est trop.

Entre-temps, les critiques se sont habitués au fait qu’un Scandinave soit assis sur le trône de Sir Alf Ramsey, le seul coach fédéral qui amena l’Angleterre au titre mondial. D’ailleurs, la Premier League regorge d’entraîneurs importés d’Italie ou de France. Un de plus ou un de moins, quelle est la différence? L’équipe anglaise de rugby est dirigée par un Néo-Zélandais, celle de cricket par un Zimbabwéen, un Australien est aux commandes de British Airways… Pourquoi un Suédois ne pourrait-il pas diriger le football anglais?

Jörg Kramer (Der Spiegel)

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