Ce faubourg de Vérone de 4.000 âmes n’a pas de stade mais est en tête du Calcio.

Après dix journées, Chievo Vérone, un petit club de province fraîchement promu, est toujours en tête. L’équipe doit cette position flatteuse au football simple et rafraîchissant que son entraîneur, Luigi Del Neri, préconise. Contrairement à ses collègues grassement payés qui considèrent volontiers le football comme une science exacte, il déclare souvent que le sport-roi est très simple. « Quand vous avez le ballon, vous allez de l’avant. Quand vous ne l’avez pas, vous défendez ». Il dit aussi: « Courez de façon à fatiguer les autres ».

L’Italie footballistique est sous le charme: Le miracle de Chievo, Chievo conserve sa ferveur ou encore Chievo: incroyable. Le commentateur de La Repubblica, le quotidien d’information le plus lu d’Italie, s’est fait lyrique, écrivant que Chievo fait chanter le ballon comme un rossignol.

Chievo est parvenu à faire rêver toute une nation : des footballeurs pas encore atteints de la fièvre des millions tiennent le premier rôle et les clubs ne sont pas des machines à fric. En bref, on rêve d’un sport où tout tourne encore autour du seul jeu.

Chievo est un faubourg de Vérone. Il ne compte que quatre mille habitants. Le club local de football n’a même pas de stade. Tous les quinze jours, il se produit dans le stade Marc’Antonio Bentegodi du Hellas Verona, l’équipe du centre-ville. Preben Elkjaer Larsen (ex-Lokeren) y a récolté le scudetto en 1985. Mais ce temps est révolu: le club fait surtout la une à cause des huées racistes et des concerts de sifflets avec lesquelles ses supporters d’extrême-droite accueillent systématiquement les joueurs de couleur.

L’année dernière, ces débordements ont conduit le président du club, Giambattista Pastorello, à avouer publiquement qu’il n’osait plus proposer de contrat à des joueurs de couleur…

La moitié du budget d’Anderlecht

Luca Campedelli (33 ans), le plus jeune président de D1, est arrivé à la tête du club en Série B : »Je me moque qu’un de mes joueurs soit juif, musulman, blanc ou noir ».

L’assistance dépassait rarement les 1.200 personnes, qui toutes restaient calmes. Elles ne consommaient pas plus d’une bière ou d’un verre de vin pendant la mi-temps. Ensuite, les supporters plongaient parfois la main dans leur portefeuille pour offrir quelques lires de plus à leur club, si pauvre.

Désormais, des hordes de tifosi de Padoue, Vicenza et Venise accourent aux matches à domicile de Chievo. Celui-ci a accueilli 13.000 spectateurs à l’occasion de son match contre Parme. Le trésorier se frotte les mains: cette seule rencontre a généré une recette d’environ sept millions de francs, soit dix fois plus que la recette moyenne de l’année dernière. Ces chiffres ne représentent évidemment rien en comparaison avec les 64 millions que déboursent les 78.000 spectateurs qui assistent au derby milanais, rien que pour acquérir leur sésame. De fait, il en va de même sur tous les plans, lorsqu’on compare Chievo avec les autres équipes. La masse salariale de l’ensemble des joueurs de Chievo est estimée à 240 millions par an, un montant que la Juventus et l’AS Rome allongent pour leurs seuls capitaines, respectivement Alessandro Del Piero et Francesco Totti.

Le budget total de Chievo représente 400 millions (la moitié de celui d’Anderlecht), d’après le bilan du 30 juin. Une bagatelle par rapport à celui des autres clubs. Nul ne peut vraiment expliquer comment un groupe de footballeurs moyens, dont la valeur marchande globale atteignait 200 millions de francs en début de saison, s’est imposé.

Pas plus qu’on ne peut prédire combien de temps durera le conte de fées de Chievo, qui se trouve « sur l’Himalaya du Calcio« , pour reprendre les termes d’une banderole.

Le président Campedelli lui-même ne peut y apporter de réponse. Il a hérité de son père, Luigi, il y a neuf ans, l’usine Paluani, qui fabrique des gâteaux dont le fameux panettone. Le club évoluait alors en D3. C’est lui qui a mené l’équipe où elle se trouve. Pourtant, Chievo n’a pas encore réussi à attirer de gros sponsor.

24 points pour être sauvés

Président, entraîneur et joueurs (ils proviennent des équipes de jeunes du club ou ont été raflés du banc des réserves de clubs plus solides), ont réussi à bouleverser la hiérarchie italienne, d’habitude si stricte. Chievo pratique un football offensif, direct et surtout extrêmement rapide. Des joueurs qui avaient été catalogués souris grises dans leurs clubs précédents sont devenus, d’un coup de baguette magique, des footballeurs qui courent le 100 mètres en onze secondes.

D’après certains, ce serait dû au régime spécial qu’impose Del Neri à ses hommes… mais nul ne peut croire que la magie de Chievo provienne seulement de fruits et de légumes. Quoi qu’il en soit, la performance de Del Neri impose le respect.

La semaine dernière, le quotidien turinois La Stampa titrait encore: « Del Neri, le magicien d’une histoire impossible ». Il y a 19 ans qu’un club promu n’avait plus atteint de pareils sommets d’emblée. Hasard ou pas, il s’agissait à l’époque du voisin de Chievo, Hellas Vérone. Promu en 1982, ce club a passé toute sa première saison parmi l’élite en tête pour terminer 4e et remporter le titre en 85.

Les dirigeants de Chievo n’osent couver de tels rêves. Le président martèle sans répit: « C’est une pensée interdite ». Il n’empêche, son équipe devient tout doucement un facteur avec lequel il faut compter. Ses adversaires se présentent déjà avec une autre mentalité sur son terrain. Le 4 novembre, lors de la 10e journée, par exemple, Venise a pratiqué une défense particulièrement rude, au point d’achever son duel contre Chievo sur un nul blanc, dans le plus pur style du catenaccio.

Campedelli ajoute: « Naturellement, l’année passée, beaucoup de gens pensaient déjà que nous, petit club du Nord, allions devoir abandonner la promotion à des formations plus connues. Nous avons pourtant accompli notre mission. Notre premier objectif reste le maintien ».

Après sa victoire contre Parme, Del Neri a décrit cet objectif avec ces mots: « Encore 24 points et nous sommes sauvés ». Chaque fois que quelqu’un risque d’être à côté de ses pompes à Chievo, l’entraîneur répète que ses joueurs doivent encore apprendre ce que représente vraiment la Série A.

Hans-Jurgen Schlamp, Der Spiegel.

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