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Genk: l’éclaircie dans la grisaille du football belge (analyse)

Vingt ans après son premier sacre à Harelbeke, le RC Genk fête son quatrième titre de champion. Genk est l’éclaircie dans la grisaille du football belge.

Août 2018 Ally Samatta

 » La différence entre le Samatta de cette saison et celui de la saison dernière, c’est la confiance. Avant, Ally doutait. Maintenant plus.  »

Philippe Clement, entraîneur

On meurt de chaud le 26 juillet à la Luminus Arena. Deux mois à peine après son dernier match de championnat, le RC Genk affronte le Fola Esch au premier tour préliminaire de l’Europa League : Pozuelo, Dewaest, Malinovskyi et Trossard (deux fois) infligent un 5-0 aux Luxembourgeois mais l’homme qui a eu le plus d’occasions n’a pas marqué. Après le match, un journaliste de la radio insiste sur les ratés de Samatta mais Philippe Clement n’est pas d’accord :  » Pour moi, Samatta a très bien joué et je suis sûr qu’il va inscrire beaucoup de buts cette saison « , dit-il, faisant froncer pas mal de sourcils.

Ally Samatta
Ally Samatta© BELGAIMAGE

Le Tanzanien finira par trouver les filets à l’occasion du cinquième match de la saison, face aux Polonais de Poznan. Il inscrira également ses deux premiers buts en championnat lors de la 4e journée, à Charleroi, après être monté au jeu. Fin août, son compteur affichera neuf buts et Nikos Karelis, jugé excédentaire, pourra partir.  » J’ai dû convaincre des gens au club d’opter pour Samatta plutôt que pour Karelis car je les avais vus tous les deux à l’entraînement « , dira Clement plus tard.

Septembre 2018 Leandro Trossard

 » Pourquoi je ne suis pas parti en fin de saison dernière ? Je voulais d’abord montrer au public de Genk que j’étais capable de jouer au plus haut niveau. J’y suis arrivé. « 

Leandro Trossard

De fin juillet à fin août, Genk dispute 11 matches officiels en 35 jours. Il les remporte presque tous (un seul match nul) et inscrit 35 buts, soit plus de trois de moyenne par rencontre. Il se qualifie également pour les poules de l’Europa League, dont le tirage au sort a lieu le 31 août.

Nous sommes au dernier jour du mercato estival et cela ne fait désormais plus aucun doute : Genk va conserver tous ses bons joueurs. Hasard du calendrier : Leandro Trossard est appelé chez les Diables Rouges. Trois mois plus tôt, le 22 mai, il a signé un nouveau contrat à Genk.  » Leandro avait plusieurs possibilités mais il veut construire sa carrière brique par brique « , dit fièrement le président Peter Croonen. Trossard a reçu un coup de fil de Luc Devroe qui le voulait à Anderlecht.  » S’il quitte Genk, ce sera pour aller à l’étranger « , dit son agent, Josy Comhair.

Leandro Trossard
Leandro Trossard© BELGAIMAGE

Au cours des huit premiers matches de la saison, toutes compétitions confondues, Trossard a multiplié les dribbles et inscrit huit buts. Mi-septembre, il signe un triplé au Cercle. Il connaît un creux à la mi-championnat mais termine très fort après le départ de Pozuelo. En principe, il va quitter le club.  » La seule chose qui puisse peut-être encore me retenir, c’est le titre car nous serons alors directement qualifiés pour la phase de poules de la Ligue des Champions « , dit-il.

Le club qui le voudra devra délier les cordons de la bourse.  » Il ne partira pas pour moins de vingt millions « , dit Comhair. L’an dernier Genk avait refusé les 6 millions proposés par le Celta Vigo.

Octobre 2018 Ruslan Malinovskyi

 » Je peux jouer en 10 comme en 8. Avant, j’étais un 10. En 8, je tente davantage de trouver l’équilibre entre les moments où il faut attaquer et ceux où il faut défendre. « 

Ruslan Malinovskyi

Le 30 octobre, à la mi-temps du match à l’Antwerp, Genk est mené 2-0. À la rentrée aux vestiaires, une surprise les attend.  » Je n’avais jamais vu l’entraîneur aussi fâché « , dit Ruslan Malinovskyi. Clement avouera plus tard :  » C’était la première fois en dix mois que je m’énervais autant.  » Résultat : au cours des 45 dernières minutes, Genk redresse la barre et s’impose 2-4, avec une grande prestation de Malinovskyi. La saison précédente, l’Ukrainien ne savait pas toujours où il devait courir. Cette fois, il est un des meilleurs joueurs du championnat, avec Hans Vanaken et Trossard .

Ruslan Malinovskyi
Ruslan Malinovskyi© BELGAIMAGE

En octobre, Genk démontre qu’il a des ressources. Il s’incline pour la première fois sur le terrain synthétique de Sarpsborg et on se demande comment il va réagir. Trois jours plus tard, la réponse tombe : les Limbourgeois balayent Gand (1-5). Ce dimanche 7 octobre au soir, Genk se retrouve pour la première fois seul en tête mais Philippe Clement ne se laisse pas prendre au piège :  » Notre objectif, ce sont les play-offs 1. La saison dernière aussi, Genk visait le top 3 mais après trois matches, c’était la panique.  »

Novembre 2018 Danny Vukovic

 » C’est sans aucune doute la meilleure équipe avec laquelle j’aie joué et je suis meilleur que jamais. « 

Danny Vukovic

Le 14 novembre, Genk concède le nul blanc à Mouscron mais il est champion d’automne sans la moindre défaite en JPL. Il le doit au gardien Danny Vukovic, qui préserve ses filets inviolés. L’Australien, de loin le joueur le plus âgé du noyau de Genk, n’est pas un gardien spectaculaire mais il est souvent à la bonne place. Il a énormément progressé en un an. Logique puisqu’il n’est arrivé en Europe qu’à l’âge de 31 ans et n’a découvert la Coupe d’Europe qu’à 32 ans.

 » La pression que je me suis imposée était plus forte que celle émanant du club « , dit-il quand on lui demande pourquoi ses débuts en Belgique ont été difficiles. Guy Martens, l’entraîneur des gardiens, a dû changer pas mal de choses.  » Surtout au niveau de mon placement « , dit-il.  » En Belgique, le gardien doit participer à la relance. En Australie, on lui demande de dégager le plus loin possible.  »

Si le gardien de Genk est plusieurs fois l’homme du match en novembre, c’est aussi la preuve qu’après trois mois en surrégime, le moteur limbourgeois donne des signes de faiblesse. Lors de la 16e journée, Genk subit sa première défaite. Il est battu chez lui par un  » petit  » club. L’homme du match est encore un gardien, mais celui du Cercle Bruges, Paul Nardi. Les Limbourgeois n’arrivent à le battre qu’une seule fois (1-2).

Décembre 2018 Joakim Maehle

 » Ce garçon pourrait courir une année entière. « 

Lars Sonderberg, coach d’Aalborg, où Maehle a entamé sa carrière.

À la fin de la saison dernière, Genk avait décidé de ne pas lever l’option sur son arrière droit, Clinton Mata (1,5 million). Le club croyait beaucoup au jeune Danois Joakim Maehle, attaquant de formation mais inconnu au Danemark. Maehle est l’un des rares joueurs qui disputent presque tous les matches alors que Philippe Clement fait tourner.  » Maehle est le joueur le plus endurant que je connaisse « , dit l’entraîneur. Samatta approuve :  » C’est une machine, il n’est jamais fatigué et se bat de la première à la dernière minute.  »

Joakim Maehle
Joakim Maehle© BELGAIMAGE

En janvier, Genk a refusé une offre de plus de dix millions d’euros émanant de Southampton. Maehle n’a pas bronché et a continué à arpenter son flanc, de haut en bas et de bas en haut.  » Tant que je peux donner tout ce que j’ai dans le ventre, je suis heureux « , dit-il après ses bons matches face à Gand (juste avant la trêve hivernale) et au Standard (juste après).  » Mon plus grand bonheur, c’est de faire mal à mon adversaire direct en partant dans son dos.  »

Genk aborde le Nouvel An avec sept points d’avance sur Bruges. Il ne perd aucun bon joueur et la direction sait que le groupe veut remporter un trophée.

Janvier 2019 Philippe Clement

 » Clement me surprend chaque jour. « 

Peter Croonen, président du KRC Genk

Un homme fait encore plus de kilomètres que Maehle. Philippe Clement parcourt chaque jour les 238 km aller-retour qui séparent Waasmunster de Genk. Après avoir décroché le Trophée Raymond Goethals, Clement est élu Entraîneur de l’Année, seul trophée remporté par Genk dans un gala du Soulier d’Or exclusivement brugeois. Clement surprend tout le monde mais pas lui.

Son secret ?  » En football, il faut avoir un plan auquel les joueurs croient et qu’ils sont capables d’exécuter.  » Son message est essentiellement positif :  » Je ne crois pas qu’on rende les joueurs meilleurs en les cassant « , dit-il. Ce qui ne veut pas dire qu’il les épargne.  » Ils disent tous qu’ils ne se sont jamais entraînés aussi dur.  »

Les déclarations fracassantes, ce n’est pas son style. Lui, il prend match par match.  » Je n’ai pas entamé la saison avec l’idée d’être champion. Ma satisfaction, c’est de faire progresser les joueurs et d’atteindre quelque chose avec eux. Je suis le catalyseur d’une histoire. Ce qui compte, pour moi, c’est que tout le monde pense la même chose et progresse jour après jour.  »

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça marche.

Février 2019 Alejandro Pozuelo

 » Pozo est un joueur qui a besoin d’émotions mais, dans le moments difficiles, il ne s’est jamais caché. Aucun joueur du championnat de Belgique n’a autant d’impact sur l’équipe. C’est un joueur de niveau européen. « 

Dimitri de Condé, directeur technique

Après Genk-Standard, le 8 février (2-0), la Luminus Arena applaudit l’équipe à tout rompre.  » C’est notre meilleur match de la saison « , dit Clement.  » Aujourd’hui, il y avait de tout dans notre équipe.  » Samatta inscrit les deux buts, chaque fois sur passe de Maehle, l’homme du match.

A la 92e minute, les caméras se braquent sur Pozuelo, remplacé pour qu’on l’applaudisse. Il a les larmes aux yeux et Clement le serre longuement dans ses bras. En coulisses, on apprend que Pozo veut partir immédiatement même si, deux semaines plus tôt, ses agents et Genk ont trouvé un accord pour qu’il termine la saison dans le Limbourg. Dans un premier temps, Genk veut aller au bras de fer mais le 4 mars, il accepte de laisser partir son capitaine à la fin de la phase classique car Pozo fait la tête et ça nuit à l’ambiance au sein du groupe.

Danny Vukovic
Danny Vukovic© BELGAIMAGE

Genk empoche neuf millions d’euros pour un joueur arrivé gratuitement parce que Dimitri de Condé a eu le nez fin. Le club est également parvenu à retarder le départ de l’Espagnol jusqu’à ce que Sander Berge soit rétabli.

 » C’est surtout de cela que je suis content car Sander Berge ne pouvait pas jouer avant les play-offs « , dit le président Peter Croonen en évoquant ce moment délicat.

Mars 2019 Junya Ito

 » Trouver des ailiers rapides, c’est facile mais des joueurs qui parviennent à rester lucides à toute allure dans la zone de vérité, c’est autre chose. « 

Dimitri de Condé, directeur technique

Après Genk – Gand, on ne parle que de la carte rouge dont a écopé Malinovskyi suite à une faute sur Birger Verstraete. La prestation de l’ailier japonais passe au second plan, alors qu’il a été décisif. Deux matches plus tôt, à l’occasion de la première journée des PO1, Junya Ito avait déjà répondu à la question qui était sur toutes les lèvres : comment Genk allait-il digérer le départ de Pozuelo après avoir terminé la phase classique avec sept points de plus que Bruges et n’avoir perdu que trois matches sur trente (à domicile face au Cercle et à Mouscron ainsi qu’au Club Bruges) ?

Junya Ito
Junya Ito© BELGAIMAGE

Genk avait balayé Anderlecht et le flanc droit, avec Ito, avait été brillant. Le Japonais n’était arrivé que le 2 février, le jour où l’entourage de Pozuelo avait affirmé que, contrairement aux accords pris plus tôt, l’Espagnol voulait aller à Toronto. Le jeudi 21 février, le Japonais avait effectué d’excellents débuts sur le flanc droit face au Slavia Prague mais personne n’avait remarqué sa prestation car Genk s’était incliné 1-4 et avait été éliminé en seizième de finale de l’Europa League. Le seul sujet de conversation, c’était l’affaire Pozuelo.

Contre Anderlecht, le Japonais avait relevé le jeu de son équipe et on ne parlait déjà plus de Pozuelo. Une star était remplacée par une autre.

Qui aurait dit cela un mois plus tôt ?

Avril 2019 Bryan Heynen

 » Ces dernières années, des joueurs n’ayant pas le niveau de Heynen sont devenus des valeurs sûres chez les Diables Rouges. À terme, Bryan peut franchir ce pas. « 

Philippe Clement, entraîneur

 » Je ne vais pas ressasser indéfiniment le départ de Pozo, je cherche des solutions « , dit Philippe Clement, admettant qu’il a laissé beaucoup d’énergie dans cette affaire au détriment du reste, ce qui a nui au rendement de l’équipe.

Cette solution, Genk la garde sous la main depuis le début de saison, au moment où on tenait déjà compte d’un éventuel départ de l’Espagnol. Malinovskyi et Sander Berge avancent d’un cran sur l’échiquier tandis que Bryan Heynen devient titulaire dans le triangle de l’entrejeu. Les trois médians bénéficient de plus d’espaces, ils changent de position et l’adversaire a moins d’emprise sur le jeu qu’avec Pozuelo.

Heynen, qui a toujours joué en 6, s’avère également capable de partir en profondeur. Genk a trouvé son nouveau box-to-box. Sa prestation au Standard (1-3) confirme ce qu’il avait déjà montré épisodiquement par le passé. À l’académie, on se frotte les mains car, après Trossard, voilà encore un joueur du cru qui a gagné sa place dans le onze de base. Six mois après le départ de Siebe Schrijvers, barré par Pozuelo, un pur produit du club apporte la solution au départ de l’Espagnol. Si ce n’est pas une belle histoire…

Alejandro Pozuelo
Alejandro Pozuelo© BELGAIMAGE

Mai 2019 Sander Berge

 » Ce qui m’a convaincu de rester, c’est notre bon départ en cham pionnat et en Europa League. Nous avons joué de mieux en mieux et les autres joueurs talentueux sont restés aussi. « 

Sander Berge

Le lundi 23 juillet, au restaurant De Kristallijn, juste avant le début du championnat, les dirigeants de Genk se posaient deux questions : quelqu’un actionnera-t-il la clause de départ prévue au contrat de Pozuelo avant le 1er septembre et Berge sera-t-il encore là après la fermeture du mercato ? Le Norvégien intéressait en effet la Fiorentina, le FC Séville et l’Olympique Lyonnais. Il était intéressé également mais les dirigeants de Genk affirmaient que son père, un avocat, l’avait prévenu :  » Tu as signé un contrat à Genk, tu dois t’y tenir.  »

Berge est le joueur de Genk dans lequel Philippe Clement se reconnaît le plus.  » Il est très concerné, il réfléchit, il coache et il veut gagner. Mais il est bien meilleur que moi et il aura une beaucoup plus belle carrière. Ça a été le joueur le plus difficile à convaincre de rester l’été dernier. Il s’était mis en tête de partir, son agent aussi. Nous l’avons persuadé qu’il valait mieux rester encore un an. C’est une performance. Si nous avions pris un mauvais départ, il ne serait sans doute plus là.  »

Pozuelo n’a pu partir que lorsque le médian norvégien, qui allie puissance, technique, placement et vision du jeu, a été tout à fait rétabli.

Dimanche, à Bruges, à l’occasion du 55e match livré par Genk cette saison (il en reste deux), Berge a montré pourquoi le club avait besoin de lui. Et il n’a pas encore 22 ans.

Bryan Heynen
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Sander Berge
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