Mine d’Or

Liège produit énormément d’excellents joueurs. Quelles en sont les raisons ?

Le Standard, qui a réalisé un exploit en Coupe de Belgique face au Cercle, espère regoûter aux joies d’un titre après 25 ans d’abstinence. Le FC Liège, qui a vécu une descente aux enfers, s’apprête à regagner la D2. Les Espoirs se préparent pour les Jeux Olympiques et comptent sur LoganBailly, GuillaumeGillet, SébastienPocognoli, AxelWitsel, JonathanLegear et KevinMirallas pour ramener une médaille de Pékin. Y aurait-il un microclimat au-dessus de la Principauté, qui permettrait aux pépinières de jeunes talents de donner de plus beaux fruits qu’ailleurs ?  » Je ne le pense pas « , affirme MarioInnaurato, le préparateur physique de notre équipe Espoirs, lui-même Liégeois (d’origine italienne) tout comme le T1, JeanFrançoisdeSart.  » Peut-être a-t-on simplement la chance de pouvoir compter sur une bonne génération. Il y a aussi le travail accompli dans les écoles de jeunes, comme au Standard où j’ai moi-même travaillé, mais également à Liège et avant cela à Seraing. En fait, tout est parti de Seraing et une émulation s’est créée.  »

Nous avons voulu en savoir plus et sommes partis à la rencontre de certains protagonistes.

 » 4-3-3 et contrôle-dribble  » (Vincent Ciccarella)

VincentCiccarella est le coordinateur du centre provincial de Blégny, où s’entraînent et évoluent les sélections provinciales liégeoises. Y travaille-t-on mieux qu’ailleurs ?  » Je préfère que d’autres répondent à cette question « , rétorque-t-il modestement.  » On fait de notre mieux, mais c’est le cas dans les autres provinces également. On a la chance de bénéficier de très bonnes infrastructures, avec un terrain synthétique et un semi-synthétique qui nous permettent de travailler dans d’excellentes conditions, quelles que soient les péripéties atmosphériques. C’est motivant pour les joueurs : il est très rare qu’ils sèchent un entraînement ou un match sans raison valable. On fournit un gros travail au niveau de la prospection. Chaque coin de la province est passé au peigne fin, afin qu’un minimum de talents nous échappent. Et lorsqu’on a un doute sur un joueur, on le convoque quand même, afin d’être certain qu’aucun élément doué ne passe pas à travers les mailles du filet. Chaque joueur est évalué avec beaucoup de minutie. Il faut savoir que les sélections provinciales (Minimes, Cadets et Scolaires avec dans chaque catégorie les 1re et 2e années) ne concernent que les joueurs évoluant dans des clubs de D3, Promotion ou Provinciale. Ceux qui évoluent déjà dans des clubs de D1 et D2 peuvent uniquement être convoqués par les sélectionneurs nationaux. Malgré cela, j’ai croisé de très bons éléments qui évoluent aujourd’hui en D1 et qui ont eu un parcours atypique « .

Et de les citer.  » J’ai, par exemple, assisté à la défense du mémoire de fin d’études de Guillaume Gillet ( NDLR : surlapsychomotricitédesjeunesfootballeurs !) Dans les équipes d’âge, il évoluait comme centre-avant et ce n’est pas un hasard s’il a rapidement retrouvé ses réflexes offensifs. LuigiPieroni a failli ne jamais jouer en D1. FrançoisSterchele a joué en 1re Provinciale. Il a eu une puberté tardive. Gamin, il était très frêle, mais cela l’a peut-être aidé à lui forger un caractère. ChristopheGrégoire a traversé une période difficile, mais a baigné depuis son plus jeune âge dans la culture footballistique de ses parents et grands-parents. Logan Bailly, en revanche, a toujours eu une personnalité au-dessus de la moyenne « .

D’un naturel modeste, Ciccarella est un véritable passionné. Et lorsqu’il est lancé sur le sujet, il devient intarissable.  » C’est vrai qu’on a de bons footballeurs à Liège. En 2006, avec la sélection provinciale, on avait remporté un tournoi à Sarrebruck face à Nancy, dont la réputation du centre de formation n’est plus à faire, et on avait gagné 20 places pour assister à un match de la Coupe du Monde en Allemagne. Personnellement, je suis un adepte du contrôle-dribble plutôt que du contrôle-passe : lorsqu’on sait dribbler, on pourra toujours apprendre à passer plus tard, alors que l’inverse n’est pas vrai. Je suis aussi un adepte du 4-3-3, pour une bonne raison : trouver des attaquants est très difficile, et si l’on joue en 4-4-2, on se prive déjà d’une possibilité au départ « .

Ciccarella estime aussi qu’un facteur social a pu favoriser l’éclosion de jeunes footballeurs liégeois.  » Dans les années 50, il y a eu une vague d’immigration importante de travailleurs venus du Sud. Italiens et Espagnols, mais aussi Maghrébins et Turcs. Ce sont des populations qui ont le football dans le sang. Leurs descendants ont donc tapé, très jeunes, dans un ballon. En outre, il existe encore à Liège certains quartiers où subsistent des terrains vagues ou plus ou moins aménagés, propices à la pratique du football, en particulier au pied des terrils. Le football de rue ou de plaine est encore très présent, notamment du côté de Tilleur Saint-Nicolas. C’est dans ce coin-là qu’ont grandi des footballeurs comme MustaphaOussalah ou OnderTuraci « .

 » La qualité des entraîneurs  » (Stéphane Huet)

StéphaneHuet, aujourd’hui entraîneur à Hamoir en D3 ( » ou là, c’est une tout autre culture footballistique, très peu axée sur la formation « ), est l’un des entraîneurs du centre provincial de Blégny où il s’occupe des Scolaires. Pour lui, la qualité des formateurs explique beaucoup de choses.  » Il y a beaucoup de bonnes écoles de jeunes dans la Province. Au Standard et au FC Liège, mais aussi à Eupen. Les cours d’entraîneurs deviennent de plus en plus performants, et on trouve aujourd’hui de très bons éducateurs, même dans des clubs de niveau inférieur « .

Huet est entraîneur depuis 20 ans, dont 15 au service des jeunes. Il a notamment dirigé Gillet pendant trois ans dans les équipes d’âge du FC Liège et Sterchele pendant trois ans à La Calamine.  » Ces deux joueurs ont un point commun : ils n’ont pas rejoint la D1 directement, mais ont transité par des clubs de divisions inférieures. C’est une preuve d’intelligence de leur part d’avoir su gravir les échelons progressivement, même s’ils ont aussi emprunté ce chemin pour d’autres considérations : les études pour Guillaume, la croissance tardive pour François « .

 » Le rôle des parents  » (Thierry Witsel)

ThierryWitsel, le papa d’ Axel, entraîne les -11 ans du Standard. Pour lui, le rôle des parents est primordial.  » A la base, il faut souligner le travail des petits clubs « , dit-il.  » Car sans eux, il n’y aurait rien. Ensuite, il y a la formation que les jeunes reçoivent dans des clubs plus importants, lorsqu’ils ont été repérés. A Liège comme ailleurs, il y a de bons et de moins bons éducateurs. Tout l’art, pour l’enfant, est de retenir les bonnes choses qu’on leur enseigne, et d’oublier le reste. Pour cela, les parents ont un rôle à jouer. C’est à eux qu’il incombe de guider leur enfant. Celui-ci doit, à son tour, être réceptif, pouvoir retenir les conseils qu’on lui donne et être capable de les appliquer le plus rapidement possible. On a eu cette chance avec Axel. Par ailleurs, on n’a jamais privilégié l’argent parce qu’on a d’abord favorisé sa scolarité « .

 » Une prise de conscience  » (Dominique D’Onofrio)

DominiqueD’Onofrio, le directeur sportif du Standard, a la particularité d’avoir connu les trois principales écoles de jeunes de la Cité Ardente : Seraing, FC Liège et Standard.  » Je ne suis resté qu’un an à Seraing « , précise-t-il.  » Je m’occupais des -17 ans et j’ai notamment coaché RaphaëlMiceli, qui a joué plus tard à Strasbourg. Je suis resté trois ans au FC Liège : un an sous RobertWaseige et deux ans sous EricGerets. Les Sang et Marine possédaient, sous la direction du directeur technique Claudy Chauveheid, l’une des écoles de jeunes les plus performantes du pays. Des joueurs comme EricDeflandre, GaëtanEnglebert, ChristopheKinet ou ChristopheVerbeeren en sont sortis. Au Standard, je n’ai pas véritablement travaillé dans son école de jeunes, mais j’ai suivi son évolution au travers de mon fils Francesco, qui s’y est affilié à 6 ans. Par rapport à cette époque-là, c’est aujourd’hui le jour et la nuit. L’Académie Louis-Dreyfus a vu le jour parce qu’on a pris conscience que les jeunes représentaient l’avenir, mais aussi parce que le Standard ne disposait pas d’infrastructures dignes de son standing. Certaines équipes de jeunes devaient trouver refuge à Embourg, Ivoz-Ramet ou Chaudfontaine. Je tiens à remercier ces clubs de nous avoir accueillis, mais il était anormal que les gamins du Standard ne pouvaient pas s’entraîner dans nos murs. Aujourd’hui, on dispose d’une structure unique en Belgique. On collabore avec quatre établissements scolaires et trois internats. La cellule médicale est très performante également. Et on est très attentif à l’aspect pédagogique : lorsqu’un jeune a des difficultés au niveau scolaire, on le soulage au niveau des entraînements. La réputation de l’Académie a déjà dépassé nos frontières. On reçoit énormément de demandes émanant de jeunes footballeurs africains, mais également français et italiens. Jusqu’à présent, on les a refusées : les 250 jeunes du Standard sont tous Belges. Mais tout cela a un coût. Il faut savoir qu’on doit encore rembourser la SLF (Société Liégeoise de Financement) à hauteur de 175.000 euros tous les trois mois pendant 29 ans « .

 » Foot/études et Formation Foot  » (Daniel Boccar)

DanielBoccar a également connu le FC Liège et le Standard.  » On a la chance, à Liège, d’avoir énormément d’affiliés « , constate-t-il.  » Il y a une grosse concentration de clubs sur un territoire réduit et, pour les Sang et Marine, le recrutement était donc facile. On avait vite repéré les bons joueurs de 6, 7 ou 8 ans « .

Mais les déboires financiers du FC Liège ont anéanti les beaux projets. Boccar a pris la direction du Standard, où il a travaillé de 1997 à 2005.  » Sans prétention aucune, je peux dire que j’ai créé le foot/études en compagnie du regretté FrancisNicolay en 1998. De 20 élèves au départ, on est passé à 55. Il fallait trouver un système pour s’entraîner plus. On a pris des accords avec quatre établissements scolaires, qui existent toujours aujourd’hui, en mieux. A l’époque, on devait trouver un accord avec les TEC, alors qu’aujourd’hui le Standard dispose de son propre autobus. Pieroni, né en 1981, fut l’un des premiers élèves. Il fréquentait l’Athénée de Montegnée, qui lui avait accordé une dérogation pour s’entraîner le matin. Il affirme que le Standard n’a pas cru en lui, mais je pense surtout qu’il est parti au FC Liège pour y gagner un peu d’argent en D2 ou D3 « .

La génération des Mirallas, Pocognoli, Bailly et Legear s’est également dispersée aux quatre vents.  » Sans oublier trois joueurs qui sont partis à Pérouse : DonovanMaury, DenisDasoul et FabianJacquemin. Tous les parents n’ont pas la lucidité de Thierry Witsel. On pouvait proposer un contrat aux Pays-Bas ou en Grèce à son fils, il ne voulait rien entendre. RéginalGoreux fait également partie de cette génération. JosephEnakharire a aussi fréquenté le foot/études « .

Cette saison, Boccar avait débuté comme entraîneur à Sprimont (D3). Remercié en novembre, il est toujours sans club, mais n’a pas perdu sa passion pour les jeunes.  » En accord avec MichelSablon, on a créé FormationFoot, un programme qui s’adresse aux joueurs nés en 1998 et 1999, affiliés à de petits clubs, auxquels on va enseigner les gestes techniques selon des méthodes imaginées par SimonTahamata, vidéo à l’appui. On est aidé par le député provincial ChristopheLacroix, un ancien arbitre, et on accueillera 400 footballeurs en herbe de janvier à juin « .

 » N’oublions pas le facteur chance  » (Jacques Grégoire)

JacquesGrégoire, le papa de Christophe (Willem II) et de Sébastien (Bertrix, Promotion), estime qu’un ensemble de facteurs est nécessaire à l’éclosion d’un jeune footballeur, dont le facteur chance.  » Le talent naturel et la qualité de la formation jouent un rôle, mais il y a aussi cette part de hasard qui fait que l’on habite dans tel quartier, que l’on fait un bon match au bon moment, que l’on tombe sur un entraîneur qui croit en vous « .

Et de prendre l’exemple de ses fils.  » Lors de la disparition de Seraing, j’ai souhaité les affilier au Standard. Les Rouches voulaient bien prendre Sébastien, deux ans plus jeune, mais pas Christophe, parce que leur équipe Juniors était championne de Belgique et n’avait pas besoin de renforts. C’est ainsi qu’il a pris la direction du FC Liège. Jusqu’en novembre, il n’y a jamais été titularisé chez les Juniors. RaphaëlQuaranta, l’entraîneur de l’époque, m’a convoqué. Je m’attendais à ce qu’il me dise que Christophe n’avait pas le niveau et qu’il serait préférable qu’il aille tenter sa chance ailleurs. Au contraire, il m’a dit : – Surtout, queChristophecontinue !Enjanvier, iljouera caril atouteslesqualitésrequises. Je n’en ai pas cru mes oreilles, mais la prophétie s’est réalisée. Il fallait simplement patienter un peu, le temps de recadrer Christophe au niveau du caractère. A partir de janvier, il était effectivement lancé « .

Si Christophe est aujourd’hui estampillé FC Liège, il a en réalité reçu l’essentiel de sa formation à Seraing.  » De 5 à 16 ans, il a été formé chez les RougeetNoir, au sein de la fameuse école de jeunes de Francis Nicolay « , précise Jacques.  » J’ignore quel est le secret de cette école, mais elle avait effectivement très bonne réputation. C’est un autre domaine où la chance a joué un rôle : comme mon épouse et moi-même travaillions, mes enfants étaient souvent hébergés chez leurs grands-parents. Il leur suffisait de traverser la rue pour se retrouver sur les terrains du Pairay. Ils jouaient du matin au soir « .

par daniel devos

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