MICHELS, mi-figue et mi-raisin

R aymond Goethals est mort voici peu, la presse nécrologue internationale a salué alors un monument de la roublardise compétente et belge, et elle a bien eu raison. RinusMichels, même génération que Raimundo, meurt voici trois semaines, cette même presse footeuse salue en lui le  » génial inventeur du football total  » (*)… et elle a mille fois tort !

Attention, je ne souhaite pas démontrer ici que notre Goethals était plus fort que leur Rinus : je m’insurge seulement contre l’impression qui en ressort, à savoir que Goethals n’aurait été qu’un grand futé tandis que Michels, plus titré il est vrai, aurait été un vrai grand génie, un révolutionnaire ayant infléchi la destinée tactique du jeu de football. C’est de la couillonnade.

Petit cours d’histoire footeuse rappelant un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître : sinon par quelques buts maintes fois revus, et une littérature de buvette leur affirmant que 1971/74 fut un tournant. Avec Michels, Ajax et la Hollande, serait apparue tout à coup une  » nouvelle philosophie de jeu régie par un principe simple : tout le monde attaque, tout le monde défend  » (*).

C’est largement exagéré, le seul inventeur du bazar fut le journaleux (enthousiaste avec raison, car ça jouait bien) qui eut le premier l’idée de titrer Football total ! La mode étant ce qu’elle est, la locution s’est répandue comme une traînée de poudre, de la même manière qu’aujourd’hui tout le monde se targue de jouer la zone. Ainsi naissent les mythes, qui ne sont guère que des mensonges permettant de rêver… Ainsi naissent les mites, qui vont dévorer le pull-over de la vérité vraie.

Michels n’a pas  » instauré le mouvement permanent qui permettait à un arrière latéral de se retrouver en position d’ailier de débordement  » (*), ce mouvement s’est installé progressivement et tout seul comme un grand ! Il n’est pas la résultante d’une trouvaille intellectuelle, mais celle d’une simple progression physique : plus les footballeurs se sont entraînés, plus ils sont devenus aptes à bouffer des kilomètres au lieu d’être attentistes quand le jeu ne les impliquait pas directement.

Georges Heylens et Jean Cornélis sortaient déjà de position durant les sixties, Giacinto Fachetti aussi qui fut un mythe offensif au sein même d’un autre mythe appelé catenaccio, et Carlos Alberto, et bien d’autres encore avant Wim Suurbier ou Ruud Krol !…

Le jour où le football sera réellement total (et nous en sommes toujours loin en l’an 2005 !), il sera impossible de coucher sur papier un dispositif, sans ajouter partout des flèches qui transformeront le dispositif en gribouillage illisible ! Voici 30 ans à Ajax, je vous le jure et pas sur la tête d’ Alzheimer, VéliborVasovic était un couvreur qui couvrait, BarryHulshoff était un stopper qui stoppait et Johan Cruijff était un attaquant qui ne défendait pas. Un attaquant au-dessus du lot, qui savait faire jouer tout son monde, tant et si bien que tout son monde ne bougea pas pour des prunes, épata méritoirement la galerie et rafla des trophées.

En sus, sorry pour le mythe, faut rappeler qu’Ajax fut partie prenante, comme des tas d’autres, d’un football évoluant peu à peu vers l’importance accordée à la récupération du ballon, au détriment d’un tout à l’attaque pouvant s’avérer naïf.

En 1969, Michels et Ajax sont balayés par l’AC Milan en finale de la C1, et leur dispositif est un 4-2-4 courant à l’époque : avec des ailiers ( SjaakSwart avant JohnnyRep, PietKeizer avant RobbyRensenbrink) qui se replient s’il le faut, et Cruijff en soutien de l’attaquant axial ( DickVanDijk ou IngeDanielsson). Deux ou trois ans plus tard, au sein de cet Ajax et cette Hollande devenus légendaires, le dispositif est un 4-3-3 : les travailleurs complets de la ligne médiane sont trois au lieu de deux ( JohanNeeskens, WimJanssen/ NicoRijnders/ ArieHaan, Gerrie Mühren/ Wim Van Hanegem…), l’attaquant axial a disparu, Cruijff est devenu l’attaquant axial, quoique libre d’aller où il l’entend.

Lustucru, dans la petite histoire du foot, la notoriété du numéro 14 participe de l’extinction du numéro 10 dit classique, à la Pelé ou à la Polleke. In memoriam. n

(*) France Football, 8 mars 2005.

par Bernard Jeunejean

L’Ajax fut partie prenante d’un football évoluant vers l’importance accordée à LA RéCUPéRATION DU BALLON

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