Meurtri mais tenace

Souvent enterré, le petit back gauche de Sclessin est toujours revenu alors qu’on ne lui accordait aucune chance… Jouera-t-il à Gand et Arsenal ?

L’image est-elle plus importante que le palmarès ? On peut se poser la question en songeant au parcours de Landry Mulemo dont les racines familiales sont plantées à Kinshasa et à quelques dizaines de mètres du stade de Sclessin. S’il y a un régional de l’étape quand le Standard se produit devant son public, c’est lui. Souvent drôle mais modeste, Mulemo reste encore éloigné des stars rouges. Il n’a pas le look d’Axel Witsel, l’aisance de Milan Jovanovic, l’importance d’un Steven Defour ou le brio d’un Dieumerci Mbokani mais les stars ne se sentent pas bien sans des gars comme Landry…

Est-ce pour cela que ses lauriers semblent moins brillants que ceux de ses équipiers ? Le Standard a fêté deux titres en un couple de saison. Lui aussi. Les Liégeois connaissent l’ivresse des soirées européennes ? Lui de même. La suite de son curriculum vitae est garnie d’une Supercoupe, d’une quatrième place aux Jeux olympiques, d’une présence dans le noyau élargi des Diables, etc. A 23 ans, c’est pas mal mais il affirme lui-même avoir  » noté un manque d’estime global à l’égard de mon parcours et cela fait mal « .

Vos valises sont-elles bouclées ?

Landry Mulemo : Même si mon contrat se termine en fin de saison, je ne songe pas du tout à un départ. J’ai encore beaucoup de choses à vivre et à apprendre ici. Je ferai le point en juin.

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit : le Standard sera-t-il fin prêt pour ses deux prochains voyages, à Gand et à Arsenal ?

… Oui, oui !, mais ce ne sera pas évident à gérer. L’effectif a effacé certains doutes contre Olympiacos et le Club Bruges. Ces deux matches nous ont replacés au niveau de la saison passée avec, à la clef, les profits de notre vécu. Même si nous n’avons pas encore beaucoup de planches, notre acquis européen nous a permis de contenir Olympiacos, d’exploiter la moindre faute dans le tissu défensif grec et d’achever le travail en fin de match. Et contre Bruges, dépositaire du meilleur jeu de Belgique selon pas mal de commentateurs, c’était le moment idéal pour remettre les pendules à l’heure. L’objectif était d’étouffer nos adversaires d’entrée de jeu. Ils n’ont pas pu suivre le rythme durant une grande partie de la première mi-temps. Il faut confirmer maintenant : tout cela sera remis en doute, et c’est normal, à Gand et à Arsenal. Les Buffalos ont traversé une période difficile mais viennent de sortir la tête de l’eau. Michel Preud’homme est un expert et Gand rêve du titre.

Arsenal est une machine à buts

Charleroi aussi rêve du titre, il faut rester sérieux…

Je connais Preud’homme. Il sait bâtir du solide. Gand souffre mais avance. Cette saison, les Buffalos veulent absolument terminer dans le top 6. Pour eux, un succès contre le Standard constituerait une affaire en or. Preud’homme peut compter sur un excellent groupe. De plus, ce déplacement à Gand fera penser au thriller de la saison passée. Cela donnera encore plus de piquant à ce match. C’est peut-être l’idéal avant d’aborder Arsenal à Londres…

Vraiment ? Arsenal et Gand, c’est autre chose, une autre planète…

Oui, et alors ? Tout le monde sait que le match à Arsenal sera un énorme défi. Je n’ai pas peur d’Arsenal. Le Standard est parfaitement capable de revenir avec un point. Ce serait fantastique et, pour y arriver, il faut s’appuyer sur ce que nous avons vécu à Liverpool, à Everton, à Olympiacos et surtout un certain Standard-Arsenal. A Sclessin, nous les avons inquiétés. Les Anglais s’en souviendront. Si on veut signer un truc face à cette machine à buts, ce sera avec une telle mentalité. En Ligue des Champions, jusqu’à présent, je n’ai joué qu’à Alkmaar. L’équipe a grandi au fil des matches. Je suis épaté par sa concentration en Ligue des Champions. Personne ne laisse rien au hasard.

Ce sera le moment de vérité en Ligue des Champions, non ? Et votre collectif est-il assez soudé ?

Moment de vérité ? Je n’en suis pas sûr. Moi, j’espère que tout se jouera chez nous contre Alkmaar. Si c’était le cas, ce serait fabuleux. Bien sûr, Il y a parfois eu des tensions dans le groupe comme c’est le cas partout. Momo Sarr a dit ce qu’il avait sur le coeur, c’est fini. Sur le terrain, en tout cas, notre bloc peut être impressionnant. Il ne pourra pas se fissurer une seule seconde à Arsenal. Je sais que les Anglais ont besoin d’un succès avant de se rendre à Olympiacos. En tous les cas, j’espère participer à cet événement. Cela demande une énorme concentration. On y investit tout notre influx. Et cela peut expliquer des baisses de régime en championnat.

Un peu quand même car on ne tenait pas compte, me semblait-il, de mes états de services. Avant le début du championnat, j’étais dans l’équipe qui rafla la Supercoupe contre Genk. J’étais dans le coup cette saison et puis tout a calé. J’étais 19e à Roulers et je me suis retrouvé à d’autres reprises dans la tribune, comme contre Charleroi. J’ai rejoué en deuxième mi-temps à Anderlecht. Ma situation était précaire. A 15 jours de la fin de la période des transferts, la presse titra : -Mulemo sur le départ. Je n’avais rien entendu de la part du club. J’étais étonné. Mon manager, Michaël Becker, m’a confirmé la nouvelle.

Avez-vous alors demandé à Marc Wilmots de vous trouver un club ?

Non, c’est totalement inexact, je n’ai jamais adressé une telle demande à Wilmots. Mes intérêts sont défendus par Michaël Becker. La femme de Wilmots est conseillère juridique de Becker. Tous les deux m’ont conseillé de travailler, d’être patient et de terminer ma saison au Standard. Quand je vois Wilmots, qui fut mon coach à Saint-Trond, j’aime bien parler de football avec lui car sa vision des choses et son expérience sont forcément intéressantes. Lui aussi a insisté sur la sérénité et le travail. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de sortir du trou.

Votre nom a circulé à Anderlecht…

Moi, je ne suis pas au courant. J’ai lu cela dans la presse car Wilmots  » aurait  » parlé de moi avec un dirigeant des Bruxellois. Je n’en sais rien. Je n’ai jamais envisagé une telle éventualité et personne ne m’a jamais contacté. Il ne me restait que deux semaines pour partir et je n’avais donc pas le temps de me retourner. J’ai préféré rester car je suis chez moi au Standard. J’ai fait mes classes d’âge ici avant de passer trois saisons à Saint-Trond. Je m’entends bien avec Collet et sa venue ne m’a finalement pas effrayé, pas plus que celle de Rocha un peu plus tard. Le Standard est un grand club et l’effectif devait être élargi. Pas de problème pour moi, le meilleur joue, mais ma mise à l’écart m’a quand même étonné. J’ai toujours dû être patient au Standard. Même quand c’était mal embarqué, j’ai rebondi, j’ai dépanné ou j’ai repris ma place. Pour moi, cela veut dire quelque chose. Ce n’est peut-être pas le cas pour tout le monde. J’ai déjà passé dix ans au Standard. Je respecte ce club et je le respecterai jusqu’au bout.

Toujours vaincre les doutes

En somme, pour vous, c’est toujours la même chanson : on doute sans cesse de vos qualités mais vous êtes toujours là…

C’est un peu cela. J’en suis à ma troisième saison en équipe première. Et je dois chaque fois vaincre de nouveaux doutes. C’est dur mais cela a forgé mon mental. J’ai confiance en moi, je sais ce que je peux apporter au groupe. Je réponds à 100 % sur le terrain. Je ne parle pas beaucoup, presque jamais, avec le coach mais je sais ce qu’il veut. Quand je monte au jeu, j’ai la joie et c’est ce que je veux offrir au collectif. Je ne suis pas une star mais je sais que je peux apporter de choses intéressantes : mes déboulés, ma profondeur, mon entente avec Jova quand il décale à gauche, mon jeu court avec les milieux, mes centres, etc. Si je suis un défenseur avant tout, j’aime bien monter. Je ne lâche rien même quand cela ne rigole pas.

Ne ressentez-vous pas un manque de considération à votre égard ?

Oui, et cela me touche. Je bosse, je suis correct, je n’ai de problèmes avec personne. On ne me prend pas au sérieux et cela constitue une déception. On a tout dit à mon propos : -Mulemo sort en boîte, fait le mur durant une mise au vert avec Wilfried Dalmat et Benjamin Nicaise. Je ne sais pas qui a lancé ces âneries. C’est faux. Je n’ai jamais mis le nez à la fenêtre durant une mise au vert. Me coller cela sur le dos, c’est encore un manque d’estime à mon égard.

Cela vous va loin, dirait-on…

Oui, je n’y suis pas insensible car je ne mérite pas ce manque de respect. En plus de mes deux titres, de bons Jeux, d’une Supercoupe, j’ai aussi été demi-finaliste d’un Euro des Espoirs aux Pays-Bas qui nous a ouvert le chemin de la Chine. J’ai parfois l’impression que cela compte moins dans mon cas. Dick Advocaat, lui, le savait. J’ai dépanné en complétant le groupe des Diables contre la Turquie et l’Estonie. Je n’ai pas joué lors de ces deux matches, et alors ? On avait besoin de moi, j’ai accepté de dépanner en sachant que du beau monde reviendrait à gauche.

Ce fut un one-shot ?

L’avenir nous le dira. C’était intéressant. Pour moi, cette présence dans le noyau élargi est un sujet de fierté et je ferai tout pour qu’on pense encore à moi à l’avenir. Je n’ai pas été vexé de ne pas être repris contre la Hongrie et le Qatar.

Etes-vous déjà un joueur confirmé ?

Je n’ai que 23 ans. La saison passée, j’ai lu quelque part que le coach du Standard ne me considérait pas encore comme un joueur de football. A mon avis, il a voulu dire que les jeunes n’étaient pas encore prêts pour le top. Je ne lui donne pas tort mais l’image que les gens se font de moi est incomplète. A la fin du compte, on a essayé pas mal de solutions à gauche mais je reviens chaque fois dans le parcours.

C’était déjà le cas lors de votre retour au Standard à l’époque de Preud’homme, non ?

Exact. Avant de revenir au Standard, j’avais eu des contacts avec Genk et Kaiserslautern. Je savais que ce serait très dur à Sclessin mais j’avais envie de tenter ma chance. J’ai rendu service : sur le flanc gauche principalement où Dante était remarquable au back mais il a aussi évolué dans l’axe. Je me retrouvais alors au back gauche. Et quand le Standard évoluait en 3-5-2, je prenais le flanc gauche pour moi. J’étais satisfait de cette saison avec le titre en prime.

Péter un câble

Qui a pris la place de Dante la saison passée ?

Mangala.

Un joueur d’axe…

J’ai failli péter un câble car je ne comprenais pas. Eliaquim est un monstre en devenir, c’est évident mais, une fois de plus, on ne tenait pas compte de mes atouts. Je me suis accroché et j’ai finalement beaucoup joué durant le deuxième tour.

Quel est le secret de votre force mentale ?

J’ai abandonné mes études et le football est mon seul atout. J’ai passé une partie de mon enfance à Droixhe, dans un quartier difficile, avant que la famille s’installe à Sclessin. Je dois réussir pour ma femme, Rose, et notre fille Ashley. J’habite à Horion-Hozémont alors que ma mère est restée à Sclessin. J’aide mes proches. C’est comme cela dans les familles africaines. J’ai lu un bouquin consacré à la vie de Didier Drogba. C’est fabuleux et cela m’inspire car le grand Drogba, un des meilleurs joueurs du monde, a mangé beaucoup de vache enragée avant de devenir ce qu’il est : un exemple. J’admire Drogba pour tout ce qu’il a apporté au football africain…

C’est un ancien joueur du Standard qui l’a lancé : vous savez qui ?

Non…

Srebrenko Repcic, directeur sportif de Levallois.

Je ne savais pas. Je ne me souviens pas de Repcic…

Et Paul Bonga-Bonga, déjà entendu parler ?

Vaguement : il a joué au Standard ?

Il a même marqué un but lors du premier succès du Standard en Coupe d’Europe contre Heart of Midlothian (5-1) en 1958 à Sclessin. Il était plus populaire que Mbokani…

Etonnant. Je vérifierai un jour au Congo. Je suis né à Kinshasa mais je suis arrivé tout petit à Liège. Mon père est resté là-bas. Je ne l’ai jamais revu. Il m’a téléphoné et écrit et j’aimerais retourner un jour à Kinshasa pour le revoir. Je suis certain que j’ai encore plus de cousins là-bas depuis que je joue au Standard…

par pierre bilic – photos: reporters/ gouverneur

Les Anglais n’ont pas oublié Standard- Arsenal.

Je n’ai pas été vexé de ne pas être repris contre la Hongrie et le Qatar.

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