MESSIMANIA

Il n’a que 18 ans mais a déjà été l’objet d’une guerre du foot en Espagne. Six mois après avoir brillé au Mondial des -20 ans aux Pays-Bas, l’Argentin a conquis le Camp Nou.

Camp Nou, mercredi 2 novembre 2005. Barcelone fait tourner le Panathinaikos en bourrique. Au repos, les Grecs sont déjà menés 4-0. Le bourreau du club athénien n’est pas Ronaldinho ni même Samuel Eto’o, qui a marqué trois buts. Non, il s’agit de Lionel Messi, âgé de 18 ans, trop rapide pour la défense grecque.

Le jeune Argentin désespère ses adversaires et ceux-ci sont obligés de commettre des fautes pour le freiner. Mais il contraint encore et toujours le gardien grec à de nombreuses parades désespérées, tout en offrant des occasions de but à ses coéquipiers. Son assist, sur le troisième but d’Eto’o, est une perle : un dribble rapide, un coup d’£il à droite puis une passe à gauche. Messi a également inscrit dans ce match son premier but en Ligue des Champions, au terme d’une démonstration de vitesse, de technique et d’inspiration. Les supporters en liesse assistent à la victoire 5-0 de leurs favoris et ont trouvé un nouveau héros. La Messimania a envahi le Camp Nou.

Passeport espagnol

Durant l’été 2005, le nom de Luis Lionel Leo Messi est sur toutes les lèvres. Barcelone a commis une gaffe administrative en inscrivant le talent sur la liste de son équipe fanion. Il tombe ainsi sous le coup de la législation espagnole, qui n’autorise les clubs à n’inscrire que trois étrangers hors Union européenne. Or, Barcelone aligne déjà le Mexicain Rafael Márquez, le Camerounais Samuel Eto’o et le Brésilien Ronaldinho. Si le club avait inscrit Messi sur la liste du noyau B, il n’y aurait pas eu le moindre problème. Frank Rijkaard aurait pu l’aligner. Maintenant, l’équipe Première risque d’être privée de son talent pendant six mois. Pour Messi, cela représente une longue période sans foot de haut niveau car il a passé depuis longtemps le cap de l’équipe B, d’autant qu’il a effectué ses débuts en équipe nationale d’Argentine. Barcelone panique et prend même contact avec le PSV, pour l’y louer éventuellement.

Les Catalans préfèrent conserver le jeune homme. Le président Joan Laporta n’hésite pas à raviver les sentiments nationalistes de la région, dans son combat pour qualifier Messi. Dans les années 50, le pouvoir central de Madrid n’avait-il pas empêché Alfredo Di Stefano de se produire pour Barcelone ? L’Argentin, alors le meilleur footballeur du monde, avait atterri au Real Madrid, par le petit jeu des influences politiques. De là, il avait entamé sa prodigieuse carrière.

En 2005, Laporta croit déceler un nouveau complot politique. Il redoute que Madrid n’empêche Barcelone d’aligner l’Argentin et ne le contraigne ainsi à se trouver un autre employeur. La Juventus et l’AC Milan se sont déjà renseignés auprès de Jorge, le père du joueur. La presse n’hésite pas à citer Messi au Real. Ce n’est pas possible. Surtout pas Messi. Barcelone tente en vain de faire qualifier le joueur en tant que jeune joueur assimilé. Fin septembre, les Catalans parviennent enfin à lui obtenir un passeport espagnol. Du coup, toute discussion quant à son statut de joueur non européen devient superflue. Il semble que Messi ait des racines italiennes et catalanes. Le club peut donc parachever la procédure plus vite qu’escompté. La fédération espagnole balaie les protestations de plusieurs clubs, comme Alavés et le Deportivo, qui prétendent que Messi a obtenu son passeport trop tard. La voie est libre. Le joueur déclare :  » Ma situation a été pénible car je voulais jouer. C’était d’autant plus ennuyeux qu’il ne s’agissait pas d’un problème sportif mais administratif. Je n’ai jamais envisagé de partir. Je veux à tout prix réussir à Barcelone « .

Traitement hormonal

On peut s’étonner que Barcelone ait commis une erreur d’inscription car Messi est le grand talent en devenir du club depuis cinq ans déjà. Messi est né le 24 juin 1987 à Rosario, en Argentine. Dès l’âge de cinq ans, il commence à jouer à Grandoli, un club que son père entraîne. Rapidement, le cercle professionnel Newell’s Old Boys, où joue son frère aîné Rodrigo, le repère. Son entraîneur à Newell’s, Enrique Domínguez, n’en croit pas ses yeux :  » Tout petit, il réalisait des exploits contraires aux lois de la nature. Seul Diego Maradona avait déjà réussi de telles choses « .

Il y a une mauvaise nouvelle. Le petit Lionel semble souffrir d’un dysfonctionnement hormonal qui entrave sa croissance. Sa taille plafonne à 1.40 mètre. Jorge, son père, est désespéré. Il faut trouver une solution. Elle consiste en des injections quotidiennes d’hormones mais le traitement coûte 750 euros par mois. Newell’s promet de participer aux frais mais mange bien vite sa parole. Les frais sont trop importants pour Jorge.  » Je n’étais qu’un simple ouvrier dans l’industrie métallurgique. Je ne pouvais payer de telles sommes « , soupire Messi senior. Il téléphone à un cousin qui habite à Balaguer, en Catalogne, et réussit à arranger un match test au FC Barcelone. En septembre 2000, le père et le fils débarquent dans la capitale catalane.

Le talent fait impression lors de son match sur un des terrains annexes du Camp Nou. Il marque cinq buts d’emblée. Sa cause est plaidée en dix minutes, auprès du responsable des jeunes, Carles Rexach. L’ancien joueur et entraîneur lui offre un contrat. Au printemps 2001, la famille Messi – le père Jorge, la mère Celia et les enfants, Matías, Rodrigo, Marisol et Leo, émigrent à Barcelone. Et le club prend en charge les frais médicaux du gamin…

A cause de sa petite taille, Messi est rapidement surnommé El Pulga, la puce. Quand il fait banquette, lors d’un de ses premiers matches avec les jeunes de Barcelone, l’Argentin se distingue parce que ses pieds ne touchent pas le sol. Le traitement hormonal et un programme spécial de musculation agissent. A son arrivée à Barcelone, il mesure 1.43 mètre pour 35 kg. En l’espace de quatre ans, grâce à ses soins intensifs, il grandit de 26 centimètres et prend 35 kilos. Le compteur s’arrête à 1.69 mètre et 67 kg. Dès sa première saison, il marque 37 buts en 30 rencontres.

Le début

Dans la levée de Messi, on retrouve notamment Francesc Fabregas, l’actuel joueur d’Arsenal. La progression de Messi est fulgurante. Dès 16 ans, il s’entraîne régulièrement avec le noyau A. En novembre 2003, à 16 ans et quatre mois, Frank Rijkaard le titularise à l’occasion d’un match amical contre le FC Porto. Moins d’un an plus tard, le 16 octobre 2003, il effectue ses débuts dans un match à enjeu, lors du derby contre l’Espanyol, ponctué d’une victoire par le plus petit écart. Il a 17 ans, trois mois et 23 jours. Le 2 mai 2005, il inscrit son premier but en équipe fanion contre Albacete (2-0). A 17 ans, dix mois et sept jours, l’Argentin devient le plus jeune buteur des Catalans en Liga. Suivent ses débuts en Ligue des Champions, lors du match, perdu, contre les Ukrainiens de Shakhtar Donetsk (2-0). Messi dispute sept matches de championnat pour Barcelone, qui est sacré champion.

Les Catalans redoutent de perdre leur perle sud-américaine, même s’ils se la sont attachée pour une longue période. L’été dernier, le talent a même paraphé deux contrats, le premier portant jusqu’en 2010, le second allant jusqu’en 2014. Une clause prévoit une indemnité de 150 millions en cas de départ. L’Argentin va gagner 42 millions durant ces neuf ans. Frank Rijkaard se félicite de la nouvelle :  » C’est positif pour le club, le joueur et l’équipe. On ne peut que s’en réjouir « .

Le président Laporta se gausse publiquement du Real Madrid, qui embauche, au même moment, le Brésilien Robinho, de Santos, pour des dizaines de millions :  » Robinho est un grand talent, qu’on nous a également proposé mais nous n’en voulions pas puisque nous avions Messi « .

Après un brillant Mondial -20 ans aux Pays-Bas, la carrière du jeune Argentin s’accélère à nouveau. Il effectue ses débuts en équipe nationale le 17 août 2005 contre la Hongrie. Une semaine plus tard, il impressionne un Camp Nou comble en s’illustrant contre la Juventus, championne d’Italie (2-2) dans le cadre du TrofeoJoanGamper. S’il n’est pas encore qualifié pour le championnat espagnol, il peut cependant prendre part aux matches de Ligue des Champions. Lors de la première rencontre, en déplacement au Werder Brême, son entrée au jeu est décisive dans la victoire 0-2 des Catalans. Le second but est inscrit sur penalty, suite à la faute de Christian Schulz sur Messi. Le match face à Udinese (4-1) constituera un haut fait.

Fin septembre, Messi obtient enfin le passeport libérateur. Plus rien ne le bride. Le 23 octobre, il est titularisé pour la première fois contre Osasuna (victoire 3-0). Rijkaard lui permet de disputer la totalité de la joute. Le Camp Nou est en ébullition quand Messi se joue de quatre défenseurs puis du gardien Ricardo. Pour parachever cette magnifique action individuelle, il ne manque que le but. Le lendemain, le très sérieux quotidien El País titre :  » Messi est comme Maradona « . Le jeune homme garde les pieds sur terre.  » Je regrette de n’avoir pas marqué mais la victoire était importante pour l’équipe. Je suis surtout heureux que mes problèmes administratifs soient résolus. La seule chose qui me tienne maintenant à c£ur est de jouer de mon mieux. Je sais que je n’ai encore disputé qu’une poignée de matches et que j’ai encore beaucoup à apprendre. J’ai encore une large marge de progression « .

Le nouveau Maradona

Messi est face à de nombreux défis : le championnat ibérique, la Ligue des Champions et le Mondial. Diego Maradona n’a aucun doute sur la sélection de Messi :  » Il doit en être. J’en suis absolument convaincu. Il ne faut pas s’arrêter à son âge. Les gens aiment à répéter qu’il faut être prudent avec les jeunes talents et qu’ils ont tout l’avenir devant eux. C’est idiot. Le moment est déjà venu « .

L’ancienne star se fait lyrique en évoquant les qualités de Messi :  » Son audace est sans doute le trait qui me séduit le plus en lui. Leo regarde son adversaire droit dans les yeux, il réalise son action et a encore le temps, alors qu’il fonce à toute allure, de regarder la position de ses coéquipiers « .

En équipe nationale, les éléments plus chevronnés essaient de protéger leur nouvelle perle. Juan Roman Riquelme :  » Nous tentons de l’aider, nous veillons avant tout à ce qu’il se sente à l’aise car il est encore très jeune. Il doit jouer selon ses possibilités sans se mettre trop de pression. On ne peut le qualifier de sauveur de la nation ni de nouveau Maradona. Il n’y aura plus jamais de nouveau Maradona « .

Ces paroles semblent sages car le prédicat a souvent représenté une lourde charge pour les jeunes talents qualifiés de nouveaux Maradona. La liste est longue : Ariel Ortega, Marcelo Gallardo, Pablo Aimar, Riquelme, Javier Saviola, Andrés D’Alessandro, Carlos Tévez. Tous ont plié sous ces attentes élevées et Maradona ne leur a pas facilité la vie en s’épanchant en compliments trop enthousiastes. Messi en est parfaitement conscient :  » Je suis flatté qu’on me lance autant de compliments. Cela me motive à travailler encore davantage. Il serait toutefois malhonnête d’accepter cette comparaison. Il est le meilleur footballeur de tous les temps alors que j’entame à peine ma carrière. Je suis reconnaissant aux gens de ces compliments mais me comparer à Diego est exagéré « .

Lionel Messi poursuit :  » Tout se précipite. Une chose compte : j’adore ce que je fais et je ne ressens pas la moindre pression. Je reste les deux pieds sur terre et j’espère que cela ne changera pas car j’aspire à une longue carrière jalonnée de succès. J’ai récemment été invité dans le talk-show de Maradona. Il en a profité pour me conseiller d’essayer de conserver le plaisir de jouer et l’envie de progresser. C’est évidemment mon objectif. Je rêve de devenir un jour champion du monde avec l’Argentine. Comme Maradona en son temps…  »

TIEMEN VAN DER LAAN, ESM

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