» Mes meilleurs souvenirs datent d’Anderlecht « 

Au cours des années 70 et 80, le père d’Eidur précéda son fils sur nos pelouses. D’abord à Lokeren, puis à Anderlecht, où il fut meilleur buteur de D1 avec 19 buts en 1987.

Plaça de la Sagrada Familia à Barcelone, début décembre. Des centaines de touristes se pressent devant la Basílica iTempleExpiatoridelaSagradaFamília, l’oeuvre inachevée d’Antoni Gaudi. Joma, notre photographe espagnol, demande à un artiste de rue d’aller mimer ailleurs, ce qui fait rire Arnor Gudjohnsen (51), le père d’Eidur, actif actuellement au Cercle Bruges. Sa photo devant l’imposant temple sera belle.

Sur la route qui nous mène vers le restaurant, Gudjohnsen prend des nouvelles de quelques anciens équipiers anderlechtois.  » Frankie Vercauteren entraîne le Sporting du Portugal ? C’est bien !  » Il veut savoir ce que devient René Vandereycken. On lui dit qu’il ne fait plus rien depuis son limogeage des Diables Rouges, en décembre 2009.

 » Il avait pourtant de bonnes idées, je pensais qu’il deviendrait un grand entraîneur. Il était entêté et jamais d’accord avec les autres, c’est vrai. Mais comme joueur, je préférais l’avoir dans mon équipe. Il pouvait être brutal mais à Anderlecht, il avait été le premier à me rendre visite à l’hôpital après mon opération. Et je me souviens qu’après la finale de Coupe de l’UEFA perdue face à Tottenham, nous pleurions comme des gosses.  »

Son intérêt pour ses anciens équipiers est sincère. Pourtant, depuis son départ pour Bordeaux, en 1990, il n’est revenu qu’une seule fois en Belgique.  » C’était en 1992, je m’en souviens très bien. Bordeaux ne pouvait pas payer le prix de transfert définitif alors que je n’étais plus sous contrat avec Anderlecht depuis deux ans. Le Standard était intéressé mais le manager du RSCA, Michel Verschueren, ne voulait pas que je prenne la direction de Sclessin.

C’est là que ma carrière a pris fin (voir encadré). Mais bon… Je vais aller voir jouer mon fils un de ces jours. Et manger dans quelques-uns de mes restaurants préférés. Je n’ai jamais mangé aussi bien qu’en Belgique, même si je devais m’entraîner dur pour garder la ligne. Si j’avalais un donut, je prenais deux kilos.  » (il éclate de rire).

Père à 17 ans

Au RestauranteElPorxos, Gudjohnsen commande un spaghetti bolognaise, un classique italien quelque peu surprenant pour quelqu’un qui, depuis le mois de septembre, habite près du port.  » Pendant un an, je ne veux rien faire d’autre que passer du temps avec ma famille. Nous sommes tous réunis ici : ma deuxième femme, nos deux enfants âgés de 12 et 19 ans, Arnor et Kjartan, l’épouse d’Eidur et leurs trois enfants… Nous profitons de la vie.  »

C’est de loin qu’il dirige l’école de football qu’il possède dans les environs de Reykjavik.  » Les jeunes doivent être mieux formés. Quand j’étais petit, nous ne jouions que cinq mois par an dans une salle de handball, le sport national. J’avais 15 ans quand j’ai joué pour la première fois sur herbe.  »

Ce qui ne l’a pas empêché de rêver d’une carrière professionnelle.  » Mon exemple, c’était Asgeir Sigurvinsson qui, en 1973, était parti au Standard. Il me disait comment me préparer mais il me paraissait impossible qu’on me paye pour jouer : à 16 ans, alors que j’étais déjà international U16, j’achetais encore mes chaussures moi-même.  »

En 1978, alors qu’il est âgé de 16 ans à peine, Gudjohnsen reçoit la visite d’une délégation de Lokeren. Après Sigurvinsson à Sclessin et Gudgeir Leifsson à Charleroi, il a l’occasion de devenir le troisième professionnel islandais de Belgique.  » J’aurais même joué pour rien « , rigole-t-il.  » Asgeir a encore tenté de m’amener au Standard mais son secrétaire-général, Roger Petit, ne voulait pas que mes parents viennent. Or, il fallait que je sois encadré car ma petite amie était enceinte d’Eidur. Eh oui, j’ai été papa pour la première fois à 17 ans à peine !  »

Cette année-là fut l’année Gudjohnsen : alors qu’il était toujours U16, il fut aussi appelé en équipe nationale A.  » Mais en Islande, nous jouions devant quelques personnes tandis qu’à Lokeren, ils étaient 8.000. Une époque fantastique, avec des gens très gentils comme le président, Etienne Rogiers, et le manager, Aloïs Derycker, qui était venu m’accueillir à l’aéroport de Luxembourg. Il faisait très chaud et il transpirait à grosses gouttes dans son costume. J’avais mal pour lui.  »

Lokeren

Lokeren, 1978-79. A Daknam, Aloïs Derycker construit une équipe capable de battre en brèche l’hégémonie du Club Brugeois et d’Anderlecht. Avec un mélange de talents étrangers (Bob Hoogenboom, Wlodek Lubanski, Grzegorz Lato et Preben Elkjær Larsen) et belges (Maurits De Schrijver, Raymond Mommens et René Verheyen), Urbain Braems amène les Waeslandiens à la quatrième place du championnat.

 » Je souffrais mais Urbain, qui était comme un père, croyait en moi « , dit Gudjohnsen.  » Lubanski et moi avions droit à un programme spécial, surtout axé sur la technique : contrôle de balle, passes… Je n’avais pas suffisamment de bases. Quand je vois comment Andri Luca (10) et Daniel Tristan (6), les deux plus jeunes fils d’Eidur, sont formés à la FCB Escola(il s’agit de l’école du Barça destinée aux enfants de 6 à 11 ans, ndlr)… Ces gamins ont la même touche de balle que Xavi et Iniesta

Ils commettent plus d’erreurs, bien sûr, mais on leur inculque cette technique. Je le remarque aussi chez Sveinn Aaron, son fils aîné, qui a porté le maillot des jeunes du FC Barcelone jusqu’à l’âge de 13 ans et joue aujourd’hui avec le plus jeune de mes fils à UnióEsportivaCornellà, un petit club du quartier. On dirait que ces gamins sont nés avec un ballon au pied. Si j’avais pu avoir de tels entraînements quand j’étais jeune, j’aurais probablement eu une plus belle carrière.  »

Gudjohnsen se souvient de ses premiers buts sur le sol belge.  » C’était il y a près de 35 ans mais c’est comme si c’était hier « , dit-il.  » A l’occasion d’un match à domicile face au FC Liège, j’avais fait 2-1 et 3-1. J’étais libéré ! J’ai beaucoup progressé cette saison-là. Urbain Braems voulait même m’emmener à Anderlecht, où il a abouti à l’été 1979, mais il valait mieux que je reste à Lokeren. J’allais au stade à pied, Eidur venait de naître et tout se passait bien sur le plan sportif. Nous avons terminé trois fois quatrièmes et une fois deuxièmes. Nous avons joué la Coupe d’Europe trois fois de suite. Rien que de bons souvenirs…  »

 » Urbain Hasaert, le successeur de Braems, me faisait souvent commencer sur le banc. Il faut dire que la concurrence était rude. C’est avec l’arrivée de Robert Waseige que j’ai vraiment percé. Nous avions une relation extraordinaire. Il me faisait souvent jouer dans l’entrejeu.  » Tu es rapide et costaud, c’est l’idéal pour le foot que je veux développer « , disait-il.  » Quand un entraîneur vous dit cela, vous êtes boosté. Ce fut la meilleure de mes cinq saisons à Lokeren et Anderlecht m’a fait une belle proposition. En comparaison avec ce que gagnait ma famille en Islande, j’étais devenu millionnaire. Et je n’avais que 22 ans.  »

Anderlecht

Pour Gudjohnsen, sa première saison au Parc Astrid s’assimile à un véritable choc de cultures.  » Il y avait plus de concurrence, l’ambiance y était beaucoup moins familiale qu’à Lokeren. C’était du business. De plus, j’ai été rapidement blessé et j’ai donc peu joué, même si j’ai pu monter au jeu à l’occasion de la finale de Coupe UEFA face à Tottenham, en 1984. Nous avons fait 1-1 au retour, comme à Bruxelles, mais j’ai manqué le penalty décisif…  » (il a la larme à l’oeil).

Pour lui, ce fut un coup dur, tout comme la défaite en finale de la Coupe des Coupes 1990.  » Mon dernier match avec Anderlecht « , dit-il.  » Gianluca Vialli et Roberto Mancini permirent à la Sampdoria de faire la différence dans les prolongations. Ce qui me console, c’est que ce fut aussi la dernière finale européenne d’Anderlecht. Et en Belgique, nous avons remporté beaucoup de choses.  »

Comme trois titres consécutifs (1985, 1986 et 1987) et deux coupes (1988 et 1989) mais aussi, sur le plan individuel, un trophée du meilleur buteur en 1987 avec 19 buts.  » La déception et le bonheur se sont souvent côtoyés. Je suis parti par la petite porte mais c’est quand même d’Anderlecht que je conserve le meilleur souvenir.  »

A 31 ans, il s’en va en Suède, où il joue encore pendant cinq ans. D’abord au BK Häcken puis à Orebrö.  » Finalement, j’avais 40 ans quand j’ai raccroché définitivement (il fut joueur-entraîneur à Stajrnan, en Islande, ndlr). J’adorais jouer et puis, il y avait 25 ans que je ne faisais que cela : me lever et aller m’entraîner. J’avais peur de ne plus avoir de but dans la vie. C’était une erreur car par la suite, j’ai été surpris de voir combien il était facile de ne plus devoir jouer.  »

Pendant un an, Gudjohnsen senior ne fit quasi plus rien et semblait avoir définitivement tourné le dos au football. Jusqu’à ce qu’Eidur lui demande de défendre ses intérêts.  » Il fut mon premier client important « , sourit-il.  » Et comme il a souvent changé de club…  »

Cela fait trois heures qu’Arnor Gudjohnsen nous parle des bons et des mauvais moments. Mais il garde le sourire.  » Quand je repense à mes 12 ans passés en Belgique, ce sont les bons souvenirs qui refont surface. Merci de m’avoir permis de m’y arrêter un peu car la vie passe trop vite. Je suis venu habiter ici pour retrouver le calme, être près des miens. Il n’est pas facile de rompre la routine. Je conduis les enfants à l’école le matin et je les reprends le soir. Les autres jours de la semaine, ils vont à l’entraînement. Finalement, je refais toujours les mêmes choses… « .

PAR CHRIS TETAERT À BARCELONE

 » J’avais quinze ans lorsque j’ai joué pour la première fois sur de l’herbe.  »

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