« MES MEILLEURES ANNÉES ARRIVENT »

Après le rêve à Manchester United, Alexander Büttner (27 ans) a vécu une drôle de période à Moscou. A Bruxelles, il a retrouvé son bonheur sportif.

Alexander Büttner quitte le complexe de Neerpede pour pénétrer dans un restaurant italien. Il y est chaleureusement accueilli. Et sollicité pour une photo.  » C’est fou, je n’ai plus l’habitude qu’on s’adresse à moi en néerlandais !  »

Bruxelles, c’est un peu les Pays-Bas, pour toi ?

ALEXANDER BÜTTNER : Tout m’est familier et je peux enfin communiquer sans réfléchir. Je me suis senti chez moi dès le premier jour, d’autant que je ne suis plus qu’à deux heures de route de Doetinchem, où vivent ma famille et mes amis.

Est-ce pour ça que tu as préféré le Sporting à Galatasaray et au HSV ?

BÜTTNER : Rien n’est ressorti des contacts avec le HSV. Quand Galatasaray s’est fait concret, j’avais déjà découvert Anderlecht et ça me plaisait. A Manchester et à Moscou, j’étais souvent envahi par la nostalgie des Pays-Bas. M’en rapprocher m’a délivré de ce sentiment. Mon amie, mes parents et mes amis sont dans la tribune à chaque match. C’est un luxe, après trois ans et demi d’absence.

Tu peux même conduire.

BÜTTNER : J’avais un chauffeur, Sacha, à Moscou. Un chouette bonhomme. Le club exigeait que nous ayons tous un chauffeur. J’ai compris pourquoi dès mon premier trajet et la voiture offerte par le club est restée au garage un an et demi. Les Russes dans la circulation, c’est terrible ! Ils dépassent de tous les côtés. En plus, les bouchons m’auraient rendu fou. Il nous fallait une heure et demie pour un trajet qui prend un quart d’heure, en théorie.

Et la langue ?

BÜTTNER : Le russe, c’est du chinois, en plus compliqué. Je ne suis pas très studieux mais j’apprends vite à comprendre une langue. La parler ou l’écrire, c’est une autre paire de manches. Je n’ai pas eu de problèmes avec l’allemand et l’anglais mais le russe est beaucoup plus difficile. Après quelques mois, je comprenais quelques mots, pas plus. Lire est impossible avec tous ces caractères cyrilliques bizarres. Suivre des cours n’aurait servi à rien : il m’aurait fallu vingt ans.

PENTHOUSE AVEC VUE SUR LA VILLE

Tu parles du climat. Combien de fois t’es-tu demandé où tu avais atterri ?

BÜTTNER : Tous les jours, en hiver. A Moscou, il fait soit très chaud, comme en été, soit glacial. Ces mois d’hiver sont terribles. Nous ne sortions pas, c’est simple. Nous habitions à Moscou City, dans un superbe appartement au 25e étage. Un penthouse, avec vue sur la ville. Mathieu Valbuena et Quincy Promes habitaient le même immeuble, relié à un immense centre commercial avec des restaurants. En hiver, je ne sortais donc que pour les entraînements, rien d’autre. C’était impossible. Un copain des Pays-Bas m’a rendu visite, une fois. Nous avons voulu aller manger ensemble en ville. Ce n’était pas loin : à 50 mètres du bâtiment mais il faisait -20. J’ai cru que j’allais mourir. Rien que sur cette petite distance, ma figure était remplie de petites ampoules. J’avais l’impression de perdre ma peau. Plus jamais !

Et les entraînements ?

BÜTTNER : Le complexe d’entraînement était fantastique. Piscines, hôtel, centre de fitness… Mais la pelouse artificielle intérieure n’était pas encore complètement aménagée et nous nous entraînions dehors. Ça n’apportait rien. Nous ressemblions tous à des Esquimaux, tellement nous étions habillés chaudement. On ne voyait que nos yeux.

Comment vous reconnaissiez-vous ?

BÜTTNER : Pas du tout ! (Rires) Nous ne pouvions pas nous reconnaître. Avez-vous songé aux entraîneurs, qui avaient encore plus froid que nous, debout le long de la ligne, à nous regarder. C’était surtout une façon de nous occuper.

Cette aventure t’a-t-elle enrichi humainement ?

BÜTTNER : Moscou est une ville d’envergure mondiale. Nous nous y sommes plu. Nous n’étions pas loin de la Place Rouge et du Kremlin. Pendant mes premières semaines, j’ai beaucoup arpenté le centre de la ville. Un chauffeur nous a montré tous les beaux sites de Moscou, à ma famille et à moi. Ça m’a beaucoup impressionné, de même que le style de vie. Le contraste entre riches et pauvres, important à Moscou, est très visible. Nous vivions dans un beau quartier, où on ne voyait que les plus belles autos mais quelques rues plus loin, c’était la pauvreté absolue. Ça m’a bouleversé. Les mendiants me font mal au coeur. Je ne peux m’empêcher de leur donner quelque chose mais dans certains quartiers, on ne fait plus que ça, si on commence. Une fois, on nous a demandé de nous prêter à une tradition : jeter une pièce de monnaie par-dessus l’épaule en faisant un voeu. Vous savez quoi ? J’ai jeté la pièce mais je ne l’ai pas entendue tomber. Quelqu’un s’en était emparé et avait fui avec.

Les déplacements t’ont permis de découvrir le pays ?

BÜTTNER : La Russie est gigantesque. Nous passions facilement quatre heures en avion pour le moindre déplacement. D’Amsterdam, on est en Afrique en quatre heures ! De fait, je découvrais chaque fois un autre monde. Je me rappelle les matches contre Grozny et Anzhi. Nous étions dans un hôtel hyper sécurisé dont il était interdit de sortir. En regardant par la fenêtre, je voyais passer des gens lourdement armés. Super, nous devions jouer un match dans ce climat ! Par moments, j’avais l’impression d’être dans un film.

LE CAFARD

Tu es enthousiaste. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

BÜTTNER : L’été dernier, le club a conservé le nom de Dinamo Moscou mais c’est tout. En juin, tout le monde a été limogé : le staff technique, le personnel. Le club était en difficulté, il avait un nouveau président qui a taillé dans les frais à tous les niveaux. Il a misé sur des joueurs russes et fait partir les autres. Nous nous regardions en nous demandant s’ils étaient tous devenus fous.

Pourquoi n’es-tu pas parti ?

BÜTTNER : Le Dinamo voulait du liquide. Il demandait six millions d’euros pour moi, ce qui a découragé les clubs intéressés. Tout le monde est parti : Douglas, Dzsudzsak et Valbuena, avec lesquels j’étais tout le temps. Le nouvel entraîneur me disait :  » Tu es un bon joueur, je ne demande qu’à t’aligner mais le président ne veut pas.  »

Super.

BÜTTNER : En effet. J’étais là, à Moscou, entouré de Russes. Tomas Hubocan, un Slovaque, a été ma bouée de sauvetage. Il parlait anglais et russe. J’avais au moins quelqu’un avec qui communiquer. Il me servait aussi d’interprète avec le club. Mais la bonne ambiance, les bonnes prestations, l’esprit d’équipe, tout ça s’était envolé en l’espace de quelques semaines.

Comment as-tu gardé ton calme ?

BÜTTNER : J’avais un contrat. Mais par moments, j’en avais ma claque. En janvier et en février, les clubs russes effectuent trois fois deux semaines de stage. Le Dinamo nous a emmenés au Portugal, en Espagne et en Turquie. Ça a l’air chouette, mais je pense qu’il a choisi les endroits les plus désolés, où personne ne va. Nous passions notre temps à courir, encore et toujours. Début janvier, au Portugal, j’ai cru devenir fou. Le premier jour, course. Des tours pendant deux heures. Le deuxième jour, rebelote. Après une heure et demie, je me suis demandé ce que j’étais en train de faire, à quoi ça servait. La plante de mes pieds était couverte d’ampoules.

J’ai vu d’autres joueurs s’effondrer dans les buissons pour vomir ou se blesser. Et entre les séances, nous devions tuer le temps dans ces hôtels vides. Un moment donné, j’avais tellement le cafard que j’ai fait venir mon frère. Il s’est installé dans un des chalets. Comme ça, je pouvais aller le retrouver et me distraire un peu. Le club n’en savait rien, officiellement, mais je crois qu’il l’a deviné et qu’il m’a laissé faire. Les Russes sont différents. L’entraîneur pouvait faire ce qu’il voulait : les joueurs se plaignaient beaucoup entre eux mais dès qu’il se pointait, ils acceptaient tout. Une sorte de fatalisme.

Tu ne cites pas le nom de l’entraîneur. Délibérément ?

BÜTTNER : Je ne sais pas comment il s’appelle. Je ne l’ai jamais su. C’était un entraîneur de l’ancienne garde mais pas un mauvais bougre. Du moins était-ce mon sentiment car il y avait toujours une certaine distance. Je n’ai jamais pu communiquer directement puisque j’avais besoin d’un interprète.

Que t’a apporté la Russie sur le plan sportif ?

BÜTTNER : Ma première saison a été belle. Nous étions en haut du classement, nous jouions des grands matches et nous tenions notre place en Europa League. Notre équipe recelait des vedettes mondiales. Valbuena est fantastique. J’ai disputé tous les matches et ma saison a été une réussite. L’année suivante a été différente et les derniers mois décevants mais je ne regrette rien. Sans ces changements, je serais toujours à Moscou.

LA RUSSIE MEILLEURE QUE LES PAYS-BAS

Mais jouer en Russie, c’est un choix purement financier ?

BÜTTNER : Je ne le nierai pas, mais les Pays-Bas ne doivent pas trop la ramener. J’ai eu un contrat fantastique à Moscou, d’accord. Prenez les résultats des clubs russes en coupes d’Europe durant la dernière décennie et comparez-les à ceux des Pays-Bas… Le championnat russe est nettement supérieur au néerlandais. Si j’allais jouer en Chine ou à Dubaï, vous pourriez me critiquer et dire que je joue uniquement pour l’argent. J’ai gagné beaucoup mais j’ai aussi évolué à un très haut niveau.

L’argent t’a-t-il changé ?

BÜTTNER : Certainement pas mon caractère. Je n’ai absolument pas changé. Je sais d’où je viens, ce qui compte pour moi et ça n’a rien à voir avec l’argent. Mais il permet de mener une vie plus facile. Ne serait-ce que parce que j’ai connu l’autre côté. Mes parents sont divorcés et ma mère n’avait pas beaucoup d’argent. Elle donnait tout ce qu’elle avait à mon frère et à moi. Nous n’avions pas d’auto, nous ne partions pas en voyage, mais nous avons eu une jeunesse très heureuse. Je suis content de pouvoir rendre quelque chose à mes parents. Je suis en train de faire construire à Kleintjeskamp. C’est un beau projet, une villa avec tout ce qu’il faut mais je veux être proche de mes parents et ouvrir ma porte à ma famille et à mes amis, comme avant. Donc, de ce point de vue, je ne change pas. Vous pouvez me donner dix millions et ce sera toujours pareil.

Ton choix pour la Russie ne t’a-t-il pas fait perdre quelques années ?

BÜTTNER : Certainement pas. Citez-moi un joueur néerlandais de 27 ans qui a joué pour des clubs pareils. D’accord, je n’ai pas joué toutes les semaines à United mais je me suis entraîné tous les jours avec les plus grands footballeurs du monde et j’ai eu mon temps de jeu, comme avec cette place de titulaire en quarts de finale de la Ligue des Champions contre le Bayern. Et combien de joueurs peuvent-ils prétendre être champions d’Angleterre ? Enfin, à Moscou, je suis vraiment devenu un meilleur joueur.

Tu dois maintenant le prouver durant une série de matches.

BÜTTNER : Absolument. J’ai vécu beaucoup d’expériences ces dernières années mais je n’ai que 27 ans. Le meilleur est à venir. Je le sens. J’ai retiré le maximum de ma carrière au niveau des clubs et je suis content de tous mes choix, à 100 %. Ça vaut aussi pour Anderlecht.

Tes débuts sont prometteurs…

BÜTTNER : Rejouer avec plaisir, être important, c’est un sentiment merveilleux. Récemment, il y a eu ce match à l’Olympiacos. Nous étions sous pression, les supporters râlaient mais nous avons tenu bon et nous nous sommes qualifiés pour le tour suivant d’Europa League. C’était délicieux. Je me livre toujours à 1.000 % et j’ai commencé à ce train ici aussi. Le style de jeu me convient. Le Sporting m’a loué au Dinamo Moscou avec option d’achat. Peut-être vais-je rester longtemps, qui sait ? Je serai alors titulaire dans un grand club étranger tout en étant proche de chez moi. C’est la combinaison idéale.

PAR FREEK JANSEN – PHOTOS BELGAIMAGE

 » J’ai signé un contrat fantastique à Moscou.  » – ALEXANDER BÜTTNER

 » Je ne sais pas comment s’appelait le coach du Dinamo. Je ne l’ai jamais su.  » – ALEXANDER BÜTTNER

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