« Mes emmerdeurs ont leurs réponses »

Comment le grand maître liégeois a-t-il réussi à inspirer ses Buffalos à ce point ? Et où s’arrêtera-t-il ?

Située au confluent de deux rivières, la Lys et l’Escaut, la vieille ville de Gand est fière des joyaux artistiques et autres monuments de son glorieux passé. Mais, depuis longtemps, les Flandriens passionnés de football attendent qu’un grand maître leur offre un tableau qu’ils accrocheraient, dans leur esprit, à côté de l’Agneau Mystique des frères Van Eyck.

Une £uvre rêvée qui serait forcément consacrée au titre que les Buffalos, nés en 1898, n’ont jamais accroché à un palmarès où ne figurent que deux Coupes de Belgique (1964, 1984)… Et voilà que les adorateurs gantois espèrent plus que jamais. Michel Preud’homme a posé son chevalet au pied du château des Comtes il y a plus d’un an et a débuté une nouvelle £uvre. Récemment, après une période de moindre inspiration, les Buffalos ont retrouvé toutes leurs couleurs à l’approche de l’hiver. Ils ont même impressionné lors d’une puissante remontée vers les hauteurs de la D1.

Alors, avez-vous trouvé à Gand les  » emmerdeurs  » (un mot que vous avez utilisé) tant recherchés par les Buffalos ?

Michel Preud’homme : Le journal Het Laatste Nieuws a essayé de me faire dire… salopards mais je ne suis pas tombé dans le piège. Gand a une équipe correcte qui est parfois avertie pour rouspétances et rarement pour fautes dangereuses. En fait, je veux des joueurs qui, au quotidien, grattent, posent des questions au coach, suscitent et enrichissent le débat. On le sait : ce fut une des forces du Standard des années 80 : personne ne foutait jamais la paix à Raymond Goethals.

Tout à fait exact et il adorait ça…

Ben oui : nous discutions sans cesse de football. Les grandes lignes étaient connues, mais d’autres aspects de notre jeu étaient retournés dans tous les sens sans que cela se transforme en discussion de café. Ces débats passionnés constituaient une source de richesse pour tous et ce n’est pas un hasard si pas mal de gars de cette équipe sont devenus des entraîneurs. Le paysage du football a évidemment changé de fond en comble. A l’époque que j’évoque, il n’y avait que trois ou quatre joueurs étrangers dans l’effectif. Tout le monde connaissait la D1 sur le bout des doigts. A l’heure actuelle, certains renforts ne font que passer. Et d’autres ont parfois besoin d’une saison avant de bien connaître les spécificités de notre championnat. C’est pour cela aussi que les coaches désirent des effectifs stables mais chaque club a ses impératifs. En Belgique, on les connaît. A Gand, au départ, certains n’ont peut-être pas osé se lancer dans des discussions avec moi. Maintenant, cela commence…

Avec qui ?

Bernd Thys et Marco Suler, par exemple, posent de plus en plus de questions. Ils offrent leur vécu dans les discussions et quand ils soulèvent un problème, nous cherchons la solution ensemble. Je veux qu’ils avancent des idées pour enrichir notre débat. J’aime bien et cela ne me dérange pas d’être mis en difficulté par mes joueurs. Et au bout de la discussion, mes  » emmerdeurs  » ont leurs réponses.

 » Il ne faut pas dorloter les joueurs « 

Comme quand Gand change d’occupation de terrain, passe du 4-4-2 au 4-3-3 ?

Entre autres. La saison passée, j’avais entamé le championnat en 4-4-2 avant d’opter pour le 4-3-3 afin d’exploiter au mieux les potentialités de Brian Ruiz.

Les variations sont un de vos dadas, non ?

Une équipe est encore plus redoutable si son arsenal stratégique est abondant. Elle sera alors plus difficile à déchiffrer. Il faut donc maîtriser plus d’un système de jeu avec, sous la main, un schéma de base. Certains clubs optent pour la même occupation de terrain des jeunes à l’équipe fanion. Quand j’étais directeur technique au Standard, avec Christophe Dessy qui s’occupait du centre de formation, les jeunes alternaient le 4-4-2, le 4-3-3 et le 3-5-2. C’était la meilleure façon d’élargir leurs horizons et de ne pas être prévisible. Il ne faut pas dorloter les joueurs. Il faut toujours titiller leur esprit. Cela dit, à Gand, comme ailleurs, l’essentiel est de tout leur donner pour qu’ils puissent exercer leur métier dans les meilleures conditions. C’est aussi pour cela que je me battrai toujours afin d’améliorer les infrastructures.

Avant votre arrivée à Gand, Khalilou Fadiga avait affirmé que vous hallucineriez en découvrant le centre d’entraînement de Gand…

Je sais mais s’il revenait, Fadiga mesurerait tout le chemin que nous avons parcouru en un an et demi : nouveaux terrains, synthé, etc. Quand tout est bien huilé, le club peut être plus exigeant à l’égard des joueurs.

Avez-vous eu des doutes quand votre équipe a piqué du nez après un bon début de saison ?

Non, car je connaissais la raison de ce passage à vide : deux backs droits plus deux arrières gauches plus trois médians défensifs sur le flanc, le départ de Ruiz, le programme européen avec une qualification pour un tour supplémentaire en Europa League, etc. Nous avons entamé le championnat par un 10 sur 12. Cela signifiait que nous avions bien travaillé.

Et que prouve alors la tatouille infligée par l’AS Rome ?

Ce n’était pas un match mais une comédie. En Italie, nous avons été roulés dans la farine par un referee portugais. Au retour, les comédiens furent les Romains et l’arbitre allemand. Nous n’avons pas pris part à un match, on nous a interdit de jouer. Cela ne servait à rien mais cette défaite n’a eu aucun impact sur le moral de joueurs qui savent pourquoi tout un stade rigole de l’arbitre. (Ndlr : pour rappel, les supporters avaient réagi durement après l’exclusion de Marko Suler : jet de projectiles sur le terrain et cris  » Gestapo  » à l’encontre de l’arbitre allemand, qui a failli stopper définitivement le match. L’UEFA infligea début octobre la plus grosse amende jamais donnée à un club belge : 30.000 euros !) Après le bon démarrage en championnat, il y a eu un contrecoup, notre effectif, pourtant bien équilibré, a été décimé par sept blessés (Myrie, Rosales, Grondin, Thys, Duarte, Hantsveit, Thompson), heureusement pas tous en même temps.

N’y a-t-il pas eu un problème Maric ?

Il a eu une bonne proposition de Lokeren qui lui offrait un contrat de quatre ans, je crois. Gand voulait qu’il prolonge son contrat mais on a des limites qu’on ne peut pas dépasser. Lokeren n’a pas voulu payer le montant de transfert exigé par Gand pour un joueur qui est sous contrat chez nous jusqu’en fin 2009-2010. Maric était intéressé et il a fallu gérer cette situation. Milos a eu une période de flottement avant de retrouver son niveau et le cours des choses. Il sait que c’est une saison importante pour lui.

Anderlecht et le Standard ne se sont-ils pas intéressés par Maric ?

Il faudrait demander à notre manager Michel Louwagie mais je ne crois pas qu’il y a eu des propositions de ces clubs.

 » Ne pas perdre, cela ne m’intéresse pas : je veux gagner « 

Le stress a été palpable à un moment à Gand, n’est-ce pas ?

Tout le monde est nerveux autour et dans un club quand les résultats ne suivent pas. Je n’ai jamais supporté la défaite, que ce soit sur un terrain de football ou au golf. J’en suis malade. Je comprends très bien ce qu’Abbas Bayat veut dire quand il affirme que la lutte pour le titre se joue aussi dans les têtes. Ne pas perdre, cela ne m’intéresse pas : je veux gagner, c’est un état d’esprit. C’est à cela, à cette mentalité qu’on a ou pas, que le président de Charleroi pense. A Gand, les espoirs sont énormes et collent avec ceux de tout club du sub-top qui entend avancer. Je veux aider Gand à passer le cap qui mène du ventre mou au top et inculquer une culture de la gagne, du travail et du progrès. Gand a déjà vécu de bons moments avec Georges Leekens ou Trond Sollied avant de rentrer dans le rang, c’est ce qui ne peut plus arriver. Il faut stabiliser ce club dans ses résultats et le président m’a demandé de le faire progresser à tous niveaux, pas seulement l’équipe première Je peux donc £uvrer au niveau de l’organisation générale et des infrastructures, en plus des prestations sportives intéressantes qui peuvent améliorer les rentrées financières. En tout cas, en Flandre, l’opinion est exigeante et on attend même que Gand soit champion en pratiquant le plus beau jeu de l’élite…

Ce n’est pas tout à fait cela : Gand aurait pu se mêler à la lutte pour le titre si Bryan Ruiz était resté. Maintenant, si Anderlecht, le Club Bruges, le Standard et Genk se cassent tous la gueule en même temps et que Gand est à l’abri de la moindre blessure, ou de tout autre pépin, la voie sera peut-être ouverte, comme c’est arrivé une saison au Lierse. On peut tout exiger mais il faut être réaliste même si le staff et l’effectif donnent tout ce qu’ils ont en eux. Avec Bryan, c’était bien sûr plus facile : en cas de difficulté, on lui refilait le ballon. En plus des blessures, il a fallu gérer son départ et le vide qu’un tel élément a forcément laissé. Zlatan Ljubijankic doit fonctionner différemment sans lui, plus participer au collectif, etc. La saison passée, Gand a terminé à un souffle de la troisième place dans les conditions dont tout le monde se souvient, face au Standard. Quand je parle de stabilisation, cela passe par la confirmation de notre présence dans ces sphères-là.

Après votre passage à vide cette saison, n’est-ce pas le gardien Bojan Jorgevic qui a provoqué le déclic ?

Il donne tout. A Saint-Trond, à 1-0, il arrête un penalty. Au lieu de 2-0, ce fut 1-2 en fin de match et Bojan a largement contribué à nous sortir de la spirale négative. J’attendais quelque chose de spécial pour relancer la mécanique et notre gardien l’a fait. Avec lui, il y a quelqu’un dans le but. Je retiens que Gand a un jeu positif. Or, si nous avions étonné la saison passée, nos adversaires prennent désormais leurs dispositions face à nous. Certains se disent : – Si on ne se méfie pas de Gand, on va être bouffés. J’ai vu cela contre le GBA. C’est chez nous que Jos Daerden a aligné pour la première fois un deuxième médian défensif (Wamfor) et son équipe s’est mise en place. Gand n’achètera jamais un joueur valant trois ou quatre millions d’euros. Anderlecht et le Club peuvent le faire. Le Standard aussi, mais ne se lancera plus jamais dans de tels achats. Gand dispose d’un bon effectif, là n’est pas le problème, mais les progrès passent par le travail, son organisation, etc. On affirme souvent que Gand a une équipe physique. Il faut laisser parler. Moi, je vois autre chose chez nous avec Maric, Thys, El Ghanassy, Smolders, Custovic, etc. Quand un Lepoint joue, il apporte son énorme abattage. Et après 75 minutes, vu les atouts de mon noyau, je peux remplacer trois gars et ceux qui montent peuvent toujours faire la différence comme ce fut le cas de Smolders à Malines.

 » Enke m’a succédé à Benfica « 

Il y a peu, n’avez-vous pas pensé au poste de… directeur technique de Gand ?

Non, j’ai dit exactement -Pour l’évolution de Gand, je serais peut-être plus important comme directeur technique qu’entraîneur. Ivan De Witte et Michel Louwagie abattent un travail énorme. Ils ont progressivement effacé une énorme ardoise. Nos scouts et notre staff médical aussi mais il y a encore beaucoup de choses à améliorer dans l’organisation générale du club. Louwagie ne peut pas régler tous les problèmes. Il faut un directeur technique pour mettre en application les décisions qui ont été prises. Je ne postule pas. Je veux rester entraîneur mais je constate qu’un directeur technique constituerait un facteur de progrès…

Ivan De Witte veut déjà prolonger votre contrat, qui se termine en 2011 : pas envie d’une expérience à l’étranger ?

Je ne sais pas. Comme joueur, j’ai toujours eu l’ambition de me retrouver dans un grand club étranger. En tant que coach, je n’ai pas encore ressenti cette envie. Si cela arrive, ce sera une affaire de feeling. Il faut flasher comme j’ai flashé pour Gand. La vie décidera et, en attendant, la D1 me convient. Elle est critiquée, on a l’habitude. Et on se sert du cas malheureux de Mouscron pour enfoncer le clou. Les Hurlus ont une belle équipe et, malgré leur drame, il y a une espèce de  » microclimat  » au-dessus de leur équipe : les joueurs s’entraînent moins mais sont libérés (qui les critiquera en cas de défaite ?) face à des adversaires qui lèvent le pied.

Oui. Enke m’a succédé à Benfica. C’est mon fils qui m’a appris la nouvelle du suicide du gardien de la Mannschaft et de Hanovre. J’étais effondré. Sportif de haut niveau, c’est dur car on enchaîne les joies et les déceptions. Il faut gérer, relativiser les choses et c’est encore plus dur dans les pays où une certaine presse s’intéresse à la famille des vedettes. Sommes-nous la propriété du public parce que nous sommes connus ? Parfois, ce n’est plus une vie tant il faut se protéger. Enke avait des soucis personnels mais je ne sais pas si cela explique son geste. Au Standard, on a fait appel à un psychologue à un moment. Je ne sous-estime pas cet apport, même si certains joueurs l’évitaient à Sclessin. Mais le staff d’une équipe a tout intérêt à bien connaître le mental des joueurs.

Ne vous a-t-on pas proposé de coacher l’équipe nationale ?

Il en a été question à un moment. Le président de l’Union Belge, François De Keersmaeker, et Herman Wijnants, membre du Comité exécutif et big boss de Westerlo, ont approché Gand pour voir si je pouvais reprendre les Diables rouges : Ivan De Witte a dit non.  » Et un cumul ? « , a-t-on demandé. L’idée d’une double casquette faisait déjà son chemin. Plusieurs entraîneurs étaient intéressés. J’ai même dit que c’était faisable pour provoquer. Pleins de gens ont alors expliqué en long et en large dans la presse pourquoi ce n’était pas réalisable. J’avais atteint mon but…

Je ne vois pas de petit écran de télévision près de vous : c’est normal ?

J’ignorais que c’était une première mondiale. Nous n’avons rien caché. La présence de ce moniteur n’a eu aucune influence sur le jeu. C’était simplement un outil supplémentaire dans l’exercice de mon métier. Manu Ferrera et moi, on ne l’a regardé qu’une fois, par curiosité, après le but du Standard. Puis l’appareil est tombé en panne. Je ne vois pas le problème que cela peut poser, si ce n’est d’envenimer éventuellement les discussions le long de la ligne après une phase litigieuse. Et je ne savais pas que la FIFA avait envoyé une circulaire pour interdire d’installer des moniteurs dans le dug-out. Il y a des télés partout, même à quelques mètres de nous.

Par Pierre Bilic

Gand aurait pu se mêler à la lutte pour le titre si Bryan Ruiz était resté…

Sommes-nous la propriété du public parce que nous sommes connus ?

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