» Mes buts : Chelsea et n°1 chez les Diables « 

L’ancien gardien de Genk (19 ans) raconte ses six premiers mois à l’Atlético Madrid. La défense des Colchoneros, le point faible de l’équipe depuis des années, n’encaisse plus. La Lazio et Barcelone, prochains visiteurs du stade Vicente Calderon, sont prévenus.

A l’été 2010, Thibaut Courtois était encore un illustre inconnu. Pour le poste de deuxième gardien de Genk, il était en balance avec Koen Casteels. En période de préparation, Frankie Vercauteren a d’ailleurs fait jouer l’alternance, en attendant que Laszlo Köteles règle ses problèmes administratifs. Lorsque le Hongrois était enfin en ordre, il était trop tard pour lui : Courtois s’était imposé entre les perches et n’allait pas rater une minute en championnat.

Mieux : il fut l’un des grands artisans du titre, détournant une reprise à bout portant que tout le monde voyait déjà au fond, lors du dernier match de play-offs face au Standard. Cela n’a pas échappé à Chelsea, qui prépare déjà la succession de Petr Cech. Mais comme celle-ci n’est pas imminente, les Blues ont préféré aguerrir le jeune Limbourgeois en le prêtant à l’Atlético Madrid. Avec Sergio Asenjo et Joel, les Colchoneros possédaient déjà deux bons jeunes gardiens. Mais après deux matches, Courtois s’est imposé et n’a plus quitté sa place de n°1, à l’exception d’un match de suspension consécutif à une exclusion au stade Santiago Bernabeu. Au stade Vicente Calderon, il fait l’unanimité. Depuis l’arrivée de l’entraîneur argentin Diego Simeone, en remplacement de Gregorio Manzano fin décembre, il ne s’est encore retourné que trois fois et a rassuré une défense réputée pour sa perméabilité.

A votre arrivée, vous étiez encore un illustre inconnu pour les Espagnols, non ?

ThibautCourtois : Ils connaissent quelques grands noms du passé, comme Michel Preud’homme, Jean-Marie Pfaff ou Enzo Scifo, mais pas un gardien de 19 ans qui n’a disputé qu’une seule saison en D1… Surtout, dans un club comme Genk, qui a certes remporté le titre mais n’a pas la réputation d’Anderlecht, du Standard ou de Bruges.

Aujourd’hui, on vous connaît !

Surtout depuis quelques semaines. Après le match à Osasuna, où j’ai effectué quelques beaux arrêts.

Pour vous, la partie n’était pourtant pas gagnée d’avance…

Lors de mes deux premiers matches, au tour préliminaire de l’Europa League, j’ai pris place sur le banc. J’estimais cela tout à fait logique : je venais d’arriver, ne parlais pas encore un mot d’espagnol et je devais encore trouver mes marques. Lorsqu’on m’a donné ma chance, je l’ai directement saisie. Dans un club pareil, il y a toujours de la concurrence. Aujourd’hui encore, si mon rendement baisse, un autre gardien est prêt à prendre ma place. Contre l’Espanyol, j’ai commis une petite erreur. Ce n’était pas bien grave, mais je ne peux pas me permettre de les répéter.

Parler l’espagnol, c’était indispensable ?

Seuls trois ou quatre joueurs parlent l’anglais, dans l’équipe. Or, la communication est essentielle pour un gardien. L’apprentissage ne m’a pas posé trop de problèmes. Beaucoup de mots ressemblent au français. Aujourd’hui, je comprends presque tout et parviens à me faire comprendre, sur le terrain comme dans la vie.

 » Avec Simeone, la défense est mieux organisée « 

En décembre, il y a eu un changement d’entraîneur et depuis son arrivée, vous ne vous êtes retourné que trois fois…

Je me suis toujours bien entraîné et Simeone s’est rapidement aperçu qu’il pouvait compter sur moi. Il a apporté une meilleure organisation à l’équipe. On offre moins de possibilités à l’adversaire et j’ai arrêté les quelques ballons qui me sont parvenus. Mon brevet d’invincibilité jusqu’au match contre la Lazio résulte d’un travail de groupe : mes défenseurs ont aussi leur part de mérites.

L’Atlético a toujours eu la réputation d’avoir une défense très perméable…

Manzano donnait aussi des directives, mais la sauce n’a pas pris. On défendait avec moins d’agressivité, et au niveau des résultats, on alternait le chaud et le froid. Désormais, la couverture est assurée lorsqu’un défenseur monte et le repli défensif bien meilleur. Je vois surtout la différence en déplacement. Avant, on était très conquérant à domicile mais on encaissait beaucoup à l’extérieur. Avant la Lazio, cela faisait trois matches que je n’avais plus dû me retourner à l’extérieur.

Vous sentez-vous apprécié par vos coéquipiers ?

J’ai reçu quelques réactions positives. Ressentir la confiance de ses défenseurs est très important pour un gardien. Ils m’écoutent lorsque je donne de la voix.

Au Camp Nou, vous avez reçu des compliments de Lionel Messi alors que vous aviez encaissé cinq buts.

Il m’a félicité après le match et m’a souhaité bonne chance pour la suite. Venant d’un joueur comme lui, cela fait toujours plaisir. J’ai réalisé quelques beaux arrêts, mais on ne peut pas dire d’un gardien qui encaisse cinq buts qu’il a livré un bon match. J’aurais dû être plus présent sur certaines phases.

Pas très loin d’ici, évolue celui que beaucoup considèrent comme le meilleur gardien du monde. Avez-vous déjà discuté avec Iker Casillas ?

Avant et après le match au Real Madrid, j’ai eu l’occasion d’échanger quelques mots avec lui. Il m’a simplement dit que je livrais une bonne saison. Un beau compliment, là aussi.

Quelles relations avez-vous avec les médias espagnols ?

Ils suivent leur club de près et exercent une pression intense. Tous les entraînements sont filmés. Il y a parfois sept ou huit caméras.

Recevez-vous beaucoup de demandes d’interviews ?

Obtenir une interview individuelle d’un joueur n’est pas aussi simple en Espagne. A l’Atlético, trois personnes sont chargées des relations avec la presse. Chaque joueur est convié à tour de rôle à se présenter à la conférence de presse afin de répondre à cinq ou six questions des journalistes. Cela ne dure jamais très longtemps.

 » Mes modèles ? Van der Sar, Casillas et Cech « 

Le job de gardien est-il différent ici ?

C’est surtout le style de jeu qui est différent. En Espagne, on procède beaucoup par combinaisons et un gardien se trouve souvent pris en un-contre-un. On utilise moins les flancs, aussi. Et les longs ballons sont rares. A quelques exceptions : Osasuna, par exemple, a un style britannique. Le public de Pampelune pousse son équipe à aller vers l’avant le plus rapidement possible. On reçoit des rapports très pointus sur la manière dont l’adversaire évolue et on s’entraîne en conséquence. La plupart des équipes espagnoles gardent beaucoup le ballon et obligent le gardien à rester concentré durant 90 minutes. Heureusement, la concentration est l’un de mes points forts. J’ai été à bonne école à Genk.

Guy Martens est considéré comme l’un des meilleurs entraîneurs de gardiens de Belgique. A-t-il un style spécifique, par rapport à votre préparateur espagnol ?

Je me suis entraîné sous la direction de Guy Martens, de Jos Beckx et de Gilbert Roex pendant une dizaine d’années. Ils préfèrent mettre l’accent sur la sobriété et la technique. L’important est d’être efficace. En Espagne, le public aime les gardiens spectaculaires.

Vous êtes le successeur de David De Gea : lui aussi un jeune gardien, mais qui avait déjà un nom…

Je n’y ai pas trop pensé. Je savais que De Gea était entre les perches de l’Atlético la saison dernière, mais cela s’arrête là. Mes coéquipiers font rarement référence à lui, tout comme les supporters. Si j’ai réussi à le faire oublier, c’est peut-être que je donne satisfaction.

ManU a engagé De Gea parce qu’il avait un style similaire à celui d’Edwin van der Sar. Vous-mêmes, vous avez un style similaire à celui de De Gea. Que peut-on en déduire ?

Au niveau de la morphologie, il y a certaines ressemblances. Nous sommes tous les trois de grande taille, élancés et plutôt sobres. Van der Sar fut l’un de mes modèles, au même titre que Casillas et Cech. Ce sont les trois dont j’ai essayé de m’inspirer.

 » Messi ou Ronaldo ? Ils sont différents « 

Quel est le stade le plus impressionnant ici ?

Santiago Bernabeu. Les tribunes montent très haut, à la verticale. Le public est très proche. Le Camp Nou est très grand aussi, mais plus évasé, on y ressent moins la pression. Ce n’est d’ailleurs pas un public qui pousse ses joueurs. Il vient au stade comme il irait au théâtre : il applaudit après une belle action.

Le public le plus chaud ?

Osasuna. A l’anglaise. Gijon est très chaud aussi, on s’y est rendu dimanche dernier.

Messi ou Ronaldo : lequel est le plus déroutant ?

Messi est le dribbleur, le technicien, qui réalise tout en vitesse. Ronaldo est plus puissant et possède un très bon tir à distance. Sur le terrain, je n’ai pas tellement prêté attention aux gestes techniques de Messi. C’est après, en visionnant le match à la télévision, que je me suis rendu compte que ce joueur était phénoménal. Quant à Ronaldo : je ne l’ai affronté que 20 minutes. J’ai été exclu après une sortie dans ses pieds. On menait 0-1 à ce moment-là, on a fini par perdre 4-1 à dix contre 11. Mais il ne m’a pas impressionné. Ou plutôt : je n’ai pas eu le temps d’être impressionné.

Aujourd’hui, pouvez-vous affirmer que vous avez définitivement fait vos preuves ?

Rien n’est jamais définitif. J’ai clôturé le chapitre Genk, je suis en train d’écrire le chapitre Atlético et j’espère bientôt pouvoir en entamer un nouveau en Angleterre. J’ai progressé en six mois en Espagne. J’ai acquis de l’expérience en disputant chaque week-end des matches de haut niveau. Mon but ultime est toujours de me retrouver, à terme, entre les perches de Chelsea. Et de devenir n°1 chez les Diables Rouges.

Vous ne vous considérez pas en tant que tel ?

Pas encore pour le moment. Simon Mignolet est titulaire chaque semaine en Premier League, y réalise de très belles prestations et n’a jamais déçu avec les Diables. Le n°1, c’est lui, et c’est tout à fait logique. Je pense que Georges Leekens a confiance en moi, et je suis très fier d’avoir pu jouer le match amical au Stade de France, mais je ne suis encore que le n°2. Et je ne peux d’ailleurs pas me reposer sur mes lauriers : Jean-François Gillet, Silvio Proto et Olivier Renard sont aussi de très bons gardiens.

 » Mon avenir ? On avisera dans quelques mois ! « 

Durant la (courte) trêve de Noël, vous êtes allé passer des tests à Chelsea. Et ils étaient plutôt bons…

Ma détente s’est améliorée. C’est logique : j’ai terminé ma croissance et je peux développer plus de puissance. Ma résistance au stress était très bonne aussi. Ce n’est pas neuf : je suis un gardien qui dégage du calme. Je trouve cela important, car un gardien nerveux transmet cette nervosité à ses défenseurs. Ces tests ont aussi permis de déceler que ma jambe droite était moins puissante que ma jambe gauche. On m’a donné un programme à suivre afin de rétablir l’équilibre.

Vous avez déclaré dans la presse espagnole que vous aimeriez rester à l’Atlético. Le pensiez-vous vraiment ?

C’était en partie pour rassurer les supporters. D’un autre côté : lorsque je dis quelque chose, je le pense vraiment. Ce serait mieux pour moi de rester une saison supplémentaire à l’Atlético. Je sais que je ne jouerai pas directement à Chelsea. La différence est trop grande et le style de jeu est différent en Angleterre. Je pense qu’avant de rejoindre les Blues, je serai d’abord prêté à un autre club anglais, afin de m’habituer à la Premier League.

Vous restez très attentif aux prestations de Chelsea ?

Bien sûr. Mais le championnat anglais, dans son ensemble, me passionne. Gamin, je rêvais de l’Angleterre, de l’Espagne et de l’Allemagne. J’ai déjà découvert l’Espagne. L’Angleterre devrait suivre. Quand exactement ? Je l’ignore.

Tout est allé très vite pour vous…

En un an et demi, ce que j’ai vécu s’assimile à un conte de fées. Je sais cependant que tout peut changer très vite. Le football est riche d’exemples de joueurs bourrés de talent qui ont raté leur carrière. Je dois rester en éveil.

Kevin De Bruyne vient de signer à son tour pour Chelsea…

Son flirt a été entamé il y a longtemps. Les premiers contacts remontent bien avant mon propre transfert. J’estime qu’il a fait le bon choix. Je m’attends toutefois à ce que, lui aussi, soit d’abord prêté la saison prochaine.

Avec Lukaku, De Bruyne et vous-même, Chelsea devient tout doucement une succursale des Diables Rouges…

Ce serait chouette si on pouvait jouer ensemble d’ici deux ou trois ans.

Comment expliquez-vous l’intérêt de Chelsea pour les jeunes joueurs belges ?

Chelsea s’est rendu compte qu’une génération de jeunes talentueux était en train de naître en Belgique. Et inversement : Chelsea est une équipe très attractive. Lorsqu’on reçoit une proposition d’un tel club, on n’hésite jamais très longtemps.

 » Genk n’a pas démérité en Ligue des Champions « 

Marvin Ogunjimi a rejoint la Liga, comme vous. Avez-vous encore des contacts avec lui ?

Très peu. Lorsqu’on a affronté Majorque au premier tour, il n’était pas encore arrivé.

Bientôt, il ne restera plus rien de l’équipe championne de Genk…

Aujourd’hui, il est rare que des footballeurs restent toute leur carrière dans le même club. En contrepartie, Genk s’est concocté un beau petit bas de laine et a les moyens de reconstruire une belle équipe.

Est-ce le départ de Frankie Vercauteren qui explique que tout soit parti en vrille ?

Vercauteren était essentiel. Il maintenait continuellement son groupe en alerte. On évoluait dans un système de jeu bien précis, où les directives étaient claires. Lorsqu’un joueur était blessé ou suspendu, son remplaçant connaissait son rôle sur le bout des doigts. Cela nous a mené au titre. Je ne peux pas dire si son départ a affecté le moral de certains, j’étais déjà parti. Et on ne saura jamais si la Ligue des Champions aurait été différente avec Vercauteren sur le banc.

Quelles ont été les réactions en Espagne après le 7-0 encaissé par Genk à Valence ?

J’ai été un peu chambré dans le vestiaire. Mais j’ai surtout été peiné pour les supporters limbourgeois et mes anciens coéquipiers. Comment j’explique cette débâcle ? Valence est un très bon club, qui était dans un jour de grâce, alors que Genk a connu un jour sans. Cela arrive. Je trouve qu’on s’est montré très sévère avec Genk, lorsqu’on a analysé sa campagne en Ligue des Champions. Le Racing n’a pas démérité : il est resté invaincu à domicile avec trois partages contre Valence, Chelsea et Leverkusen. Dans un groupe aussi relevé, ce n’est pas rien. Mais on ne retient que le 7-0 à Valence et le 5-0 à Chelsea.

Vous avez raté la Ligue des Champions, mais vous disputez chaque semaine des matches de ce niveau en Espagne…

Tout à fait. Et en Europa League, on a affronté de belles équipes également : l’Udinese, le Celtic Glasgow, Rennes et maintenant la Lazio. Qui sait si j’aurais disputé la Ligue des Champions avec Genk ? Laszlo Köteles a arrêté les tirs au but décisifs contre Haïfa. Rien ne dit que je les aurais moi-même détournés. Avec moi, Genk ne se serait peut-être pas qualifié.

L’Atlético a remporté l’Europa League il y a deux ans. Pourrait-il rééditer cet exploit ?

D’abord, il faudra franchir l’écueil de la Lazio. Ce ne sera pas simple. Si l’on passe, c’est Besiktas ou Braga et on ne sera alors qu’en quart de finale.

Le niveau de l’Europa League s’est subitement élevé, avec la présence des deux clubs de Manchester notamment…

Je ne sais pas si United et City sont réellement intéressés par l’Europa League. S’ils sont un match important en Premier League le week-end suivant, ils risquent de se concentrer davantage sur leur championnat. Déjà, à ce stade-ci, ils doivent affronter l’Ajax et Porto.

Et la Ligue des Champions, ce sera peut-être pour la saison prochaine, si vous restez. Car l’Atlético effectue une belle remontée…

On verra. Certains se mettent à rêver de la 4e place. Chaque chose en son temps.

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » J’ai raté la Ligue des Champions avec Genk ? Qui sait si, avec moi, mon ancien club se serait qualifié ? »

 » Casillas et Messi m’ont félicité. Cela fait plaisir, mais je ne plane pas « 

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