« Mentalement, j’étais arrivé au bout « 

Le gardien emblématique des Zèbres a relevé le défi d’un club français de National. Rencontre dans les alpages.

Il y a tout : les vaches dont les cloches résonnent dans les alpages, les petits chalets de bois qui pullulent à l’horizon, la vue imprenable sur le Mont Blanc, les raclettes savoyardes au menu – même en plein été – , la bière au génépi et les canifs qui pendent aux tourniquets des magasins du coin. Bienvenue au stage de Croix-de-Savoie, à Combloux, autrefois lieu de pèlerinage de l’équipe cycliste Lotto qui avait pour habitude d’effectuer son stage hivernal à quelques encablures de Megève.

C’est exactement ce à quoi on s’attendait lorsqu’on a appris que le gardien de Charleroi, Bertand Laquait avait signé à Croix-de-Savoie, un club français de National (l’équivalent de notre D3). Il y a une semaine, c’était encore comme cela que le club s’appelait. Depuis lors, il a changé de blason et de dénomination. Ne dites plus Croix-de-Savoie mais Evian Thonon Gaillard Football Club. Ce n’est, en effet, pas dans les alpages que le club a son port d’attache mais en bord du lac Léman, près de Thonon.

Oui mais voilà, pour sa première semaine dans son nouveau club, Laquait a eu droit à un stage d’oxygénation à Combloux.  » Il est temps que je rentre chez moi. Cela devient long puisque j’ai enfilé deux stages. Au Touquet avec Charleroi et maintenant celui de Combloux « .

Dans son chalet, il nous interpelle dès qu’il nous voit.  » Ah, les Belges sont déjà là « . On pouvait bien. On était parti de Bruxelles à 5 h 40 du matin. Et nous voilà en fin d’après-midi à l’entraînement. Le rythme n’est pas très élevé. Soit à cause de la fatigue de fin de stage, soit parce que le niveau n’est finalement que celui d’une… D3.

Le nom du nouvel employeur du gardien du Sporting a surpris mais pas son départ tant il semblait usé par la dernière saison des Zèbres. Pourtant, Laquait n’est pas parti à la retraite. L’ETGFC est un club ambitieux qui vise la montée. Danone a investi massivement dans ce club pour en faire sa vitrine.  » Pour les photos, il n’y aura aucun problème. Mais vous savez prendre le logo du club ? », nous demande poliment l’attaché de presse. Et 10 minutes après le début de l’entraînement, le préposé du matériel s’empressa de nous amener une petite bouteille d’Evian.  » C’est un produit du groupe, hein  »

Pour le moment, le projet en est à ses balbutiements mais a déjà séduit quelques beaux noms. Comme l’entraîneur Stéphane Paille, l’ancien attaquant de Sochaux et de Montpellier. Ou Patrick Aussems, l’ancien joueur du Standard et de La Gantoise, qui sera l’adjoint de Paille. Nicolas Goussé, l’ancien attaquant de Mons, n’a pas hésité à quitter la Ligue 1 et Nantes pour répondre en janvier dernier aux sirènes savoyardes. Premier match et premier hat-trick de l’histoire du club. Il était adopté. Laquait est donc le dernier signe en date de cette belle ambition.

Pourquoi avoir choisi de quitter la D1 belge pour une formation de National ?

Bertrand Laquait : Ma priorité restait un retour en France. Je voulais aller en Ligue 1, je dois le reconnaître mais je n’ai eu aucun contact. On m’a cité à Grenoble, Montpellier, Boulogne-sur-Mer, c’était absurde.

Comment expliquer qu’un des meilleurs gardiens de D1 ne reçoive aucune offre ?

En jouant en Belgique, on n’est pas dans le premier chapeau. C’est clair ! Sinon, comment expliquer que Stijn Stijnen, international belge, soit toujours à Bruges et qu’on ne sache pas quoi faire de Silvio Proto ?

Vous vous sentiez bloqué en Belgique ?

Oui, un peu. Je m’en suis rendu compte la saison dernière. Je voyais que d’année en année, un retour en France devenait compliqué. ( Il marque un temps d’arrêt). Et puis, il faut aussi avoir un peu de chance. A l’heure actuelle, je pourrais faire partie d’un des six meilleurs clubs de L1 mais l’année dernière, à deux jours de signer mon contrat, ce club a changé d’entraîneur.

Il n’y avait pas d’autres possibilités que l’ETGFC ?

Ou je restais à Charleroi en espérant obtenir un club de Ligue 1. C’est ce que j’ai fait pendant six ans sans rien voir venir. Ou je passais par une étape supplémentaire.

 » J’ai eu très peur qu’on ne s’en sorte pas « 

Pourquoi vouloir quitter Charleroi ?

A Charleroi, j’avais fait le tour. Qu’est-ce que je pouvais réaliser de plus ? A un certain moment, on se demande quels sont les objectifs du club, quels sont ses moyens. Et on en arrive à la conclusion qu’il faut partir.

Qu’est-ce qui vous avait poussé à prolonger l’année dernière ?

Si j’ai resigné, c’est grâce à Thierry Siquet. Il a tout fait pour que je reste. Lors des négociations, il a beaucoup poussé pour que l’on trouve une solution. Peut-être même au détriment de son contrat.

Est-ce que la saison passée a servi de point de rupture avec le Sporting ?

Un peu. Les résultats n’étaient pas bons. On dit monts et merveilles d’un entraîneur mais on ne le prolonge pas. Si John Collins était resté, j’aurais réfléchi tout autrement : on restait sur une bonne série, on ne prenait plus de buts et il était apprécié des joueurs.

Vous sembliez las du Sporting ?

Avec Charleroi, on avait toujours l’impression d’avancer d’un pas et de reculer de deux. Ce qui manque au club, c’est de la continuité. On a connu une bonne période avec Jacky Mathijssen parce que, justement, il y avait cette continuité. La saison passée, j’ai eu très peur qu’on ne s’en sorte pas. Mentalement, j’ai beaucoup donné et j’étais arrivé au bout.

Pourquoi avoir choisi Croix-de-Savoie ?

Trois critères sont intervenus : D’abord l’objectif et le challenge sportif. Deuxièmement, le contrat que l’on m’a proposé. Troisièmement : la région et le cadre de vie. Dans cadre de vie, j’englobe le lac Léman et le fait que je me rapproche de ma maman.

Expliquez-nous le challenge sportif…

Le club veut monter en L2 le plus vite possible. J’ai rencontré le président qui m’a dit – Je n’ai pas de limites. Si dans trois ans, on est en Ligue des Champions, on essaiera de la gagner. Il y a aussi un objectif social. Celui de rassembler tout le bassin du lac Léman autour de cette équipe et créer un grand club auquel on s’identifie. Aujourd’hui, le Servette Genève est en D2 et le premier club de Ligue 1 (Grenoble ou Lyon) est à deux heures de route. Cependant, on n’est qu’à la base du projet. Le club se professionnalise petit à petit.

Vous trouvez que le projet est meilleur que celui de Charleroi ?

Mais, ici, les choses bougent ! Il y a un terrain en herbe de bonne qualité ! En rentrant du stage, on va avoir une salle de kiné et de vie pour le groupe. Ce qu’on n’avait pas en partant ! On parle d’un nouveau stade également.

Les conditions de travail sont meilleures ?

Cela fait des années qu’on sait que le terrain principal et celui d’entraînement de Charleroi ne sont pas dignes d’un club de D1. Le terrain de la saison dernière était le pire des six dernières années. Et quand on est revenu de vacances, on nous explique que le terrain d’entraînement n’est pas prêt. Je ne vous dis pas le moral des joueurs ! On a dû se déplacer dans différents centres sportifs de la région : on est en pleine préparation et on ne pouvait pas tirer fort car le ballon ne devait pas aller sur les terrains de tennis adjacents. Vous trouvez cela sérieux ? Et pendant ce temps, les autres formations peuvent tirer fort, elles. Autre exemple : il y a un an, on a placé un jacuzzi dans le stade et il n’y a eu des bulles que pendant deux jours !

On a souvent évoqué un vestiaire dissipé la saison passée…

… Il n’y a jamais eu de problèmes dans le vestiaire. Mais Charleroi est devenu un club où les joueurs peuvent tout se permettre. Collins avait remis les choses en place en montrant qu’il y avait des valeurs à respecter mais… Il est parti.

 » Petit à petit, on m’a collé une étiquette du joueur typique du championnat belge « 

Est-ce que Charleroi a essayé de vous retenir ?

A la reprise, on a vaguement discuté d’une prolongation de contrat mais c’était trop tard. J’avais pris ma décision.

N’êtes-vous pas resté trop longtemps à Charleroi ?

Tout le monde me dit que je suis resté trop longtemps mais j’étais bien, là-bas. Quand tu prolonges trois fois ton contrat, c’est que tu as envie de rester. Pourtant, petit à petit, on m’a collé une étiquette du joueur typique du championnat de Belgique.

Vous gardez des bons souvenirs de Charleroi ?

Evidemment. En six ans, j’ai peut-être raté cinq rencontres. J’ai vécu des moments extraordinaires. Je n’oublie pas que mes deux enfants sont nés là-bas. Aujourd’hui, je ne vais pas dénigrer une ville et des gens parce que je suis parti.

Et des dirigeants ?

Dans toute histoire, il y a toujours un moment où on s’engueule mais ils m’ont quand même payé et nourri pendant sept ans.

Quel est votre pronostic pour le Sporting ?

Le championnat va être difficile car il y a moins d’équipes.

L’objectif du top-6 ?

C’est normal de se fixer des objectifs mais est-ce réalisable ? Quand on y regarde de plus près, on voit que cinq places sont déjà prises (Anderlecht, Standard, Bruges, Gand et Genk).

Quand on vient de se sauver et qu’on a perdu ses piliers, le maintien n’est-il pas un objectif plus raisonnable ?

Quand tu es sauvé à la trêve, tu peux avoir des objectifs. Si tu n’as que 10 points, tu dois jouer le maintien. A mon avis, Charleroi va éprouver des difficultés à se classer dans les six premiers. Et si tu n’es pas dans les six premiers, tu joues le maintien.

Que pensez-vous de Stéphane Demol ?

Il mérite de réussir et j’espère qu’on lui laissera le temps de construire quelque chose. Et qu’on lui donnera les moyens aussi. Le club doit se renforcer. Il a besoin de joueurs expérimentés qui connaissent le championnat.

Quel bilan tirez-vous de ces années passées à Charleroi ?

Je retiens les bonnes années. A l’époque de Mathijssen, le noyau ne se composait que de joueurs expérimentés. Il n’y avait pas de footballeurs exceptionnels mais ça fonctionnait.

Est-ce que Charleroi s’est relevé du départ de Mathijssen ?

Non. Les joueurs l’ont mal vécu. Ce fut difficile car tout fonctionnait bien. On a été surpris.

Depuis 2002, comment le club a-t-il évolué ?

Bizarrement. Il y avait plus de monde au stade lors de ma première saison, lorsque cela ne fonctionnait pas trop bien. Je pense qu’il y a eu une forme de lassitude qui s’est installée. Charleroi a besoin d’un trophée pour fédérer et ramener le monde. Quelque part, le club n’a pas beaucoup changé et c’est dommage. Quand je suis arrivé, en 2002, on n’avait pas gagné depuis 16 rencontres, on était reléguable et il n’y avait pas de sous dans les caisses. Trois ans plus tard, on était presque européen et les caisses saines. On n’a pas su en profiter et donner un coup d’accélérateur.

par stéphane vande velde- photos: reporters/ walschaerts

En jouant en Belgique, on n’est pas dans le premier chapeau. Regardez Stijnen, Proto.

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