Mémoires de Zèbres

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Quelques Loups firent autrefois le bonheur du Sporting.

La Louvière-Charleroi ne sera pas un match comme les autres, ce vendredi. Et pas seulement parce que l’enfant du pays, Enzo Scifo, va remettre les pieds dans ce Tivoli qui doit encore revenir régulièrement dans ses rêves.

La présence de plusieurs anciens Zèbres à la RAAL sera un piment supplémentaire dans cette rencontre. Cinq Loups furent autrefois associés, plus ou moins longuement, à la vie du Sporting. Rudy Moury a passé huit ans au Mambourg, de 89 à 97. Jean-Jacques Missé Missé y est resté trois saisons, de 93 à 96. Michel Bertinchamps, le préparateur physique des Louviérois, a occupé la même fonction ainsi que celle d’adjoint de Georges Leekens et de Luka Peruzovic au Pays Noir, entre 1985 et 2000. Michel Piersoul, l’entraîneur des gardiens du Tivoli, a préparé les jeunes portiers de Charleroi de 91 à 94, puis ceux de l’équipe Première de 94 à 96. Enfin, le président Filippo Gaone fut autrefois… sponsor principal des Zèbres (de 84 à 87 avec les maillots frappés de la marque Jery).

Ces cinq personnages nous rappellent leurs grands souvenirs au Mambourg, commentent les nombreux événements qui s’y sont produits depuis leur départ et jugent le Sporting actuel.

Moury: « Je compare Gaone à Spaute »

Rudy Moury: « Je n’ai pas grandi à Charleroi, et pourtant, j’ai l’impression d’y avoir passé toute ma vie. Je suis devenu un Carolo plus vrai que vrai, grâce au Sporting. Quand je me remémore les années que j’ai passées dans ce club, je pense directement à mes débuts en première division avec Georges Heylens, aux belles années avec Robert Waseige et aux résultats inespérés avec Luka Peruzovic. Mais aussi et surtout à la ferveur de ce public extraordinaire. Celui de La Louvière est du même style: il s’enflamme à la moindre étincelle, il voit vite son équipe championne du monde, puis il devient extrêmement critique après deux ou trois mauvais résultats. J’aime beaucoup cette mentalité latine. La différence entre les supporters de Charleroi et de La Louvière, c’est que les nôtres n’ont pas le passé, l’expérience et les compétences du public de Charleroi, qui a vu d’autres choses et est plus à même de donner un avis de connaisseur.

L’évolution du Sporting depuis que je suis parti? Ça n’a pas été terrible terrible… Cette saison avait bien commencé, mais je trouve que le club se retrouve de nouveau au point de départ, aujourd’hui. A Charleroi, il faut chaque fois recommencer: c’est bizarre. L’équipe traverse peut-être simplement une mauvaise passe depuis le début du mois de janvier. Je suis en tout cas persuadé qu’un entraîneur comme Enzo Scifo peut lui apporter énormément. Je suis pour les jeunes entraîneurs qui ont de l’aura, comme Enzo ou Michel Preud’homme. Cela ne peut que faire du bien au football belge.

Je regrette de ne pas pouvoir jouer dans un stade comme celui du Sporting. C’est un vaisseau extraordinaire. Le jour et la nuit par rapport au Tivoli. Chez nous, c’est plutôt la Roumanie! Heureusement que les joueurs de La Louvière l’aiment. Je comprends que la Ville ne fasse pas des investissements énormes pour rénover notre stade, vu que nous ne sommes pas sûrs de nous sauver. Mais il y a quand même un minimum. Ce n’est pas de gaieté de coeur que les arbitres viennent chez nous, dans des installations d’un autre âge. Est-ce pour cette raison qu’ils ne nous ont vraiment pas favorisés depuis le début du championnat? Peut-être, finalement. Et je suis plein d’admiration pour nos supporters qui passent parfois deux heures sous la pluie et quittent le Tivoli trempés jusqu’aux os.

Je compare volontiers Filippo Gaone à Jean-Paul Spaute: deux personnes discrètes qui vivent pour leur club, sans faire de vagues ou de déclarations inutiles. Ils s’énervent rarement et laissent l’entraîneur travailler en paix. Mais ils disent toujours ce qu’ils pensent. Avec eux, tout vient du coeur. Ce n’est pas joli joli d’avoir écarté Jean-Paul Spaute après tout ce qu’il avait fait pour le Sporting.

La fin de carrière de Dante Brogno est une bonne chose pour nous! Au moins, on sait qu’il ne viendra pas nous crucifier au Tivoli. Je comprends sa décision d’arrêter car à notre âge, on supporte de plus en plus difficilement les longues périodes de préparation, les stages et les efforts à fournir pour récupérer d’une blessure. Quand l’envie n’est plus là, il vaut mieux se reconvertir. Je trouve seulement un peu idiot que Dante stoppe du jour au lendemain. S’il avait patienté jusqu’à la fin de la saison, on aurait pu lui organiser une belle fête à Charleroi. En plus, je croyais qu’il marquerait encore l’un ou l’autre but contre St-Trond pour son vieux copain Rudy (il rit)… Il a de la chance de trouver directement une place tout chaude comme adjoint. J’imagine que je devrai me démener autrement pour ma reconversion. Je pense jouer encore quelques années en D2 ou en D3, tout en cherchant un boulot. J’aimerais bien rester dans le staff de La Louvière. Mais il se peut aussi que je fasse quelque chose qui n’a rien à voir avec le foot. J’ai envie de m’insérer dans la société. Car on est un peu largués quand on a passé quinze ans dans le football professionnel ».

Bertinchamps: « Charleroi passe toujours mal l’hiver »

Michel Bertinchamps: « Je dois être prudent dans tout ce que je dis à propos de Charleroi car nous sommes toujours en procès. La nouvelle direction a cassé mon contrat et nous nous retrouverons au tribunal au mois de mai. C’est dommage d’en arriver là après quinze années de collaboration. On ne m’a jamais donné l’occasion de rencontrer Enzo Scifo pour que je lui explique mes intentions pour cette saison. Aujourd’hui, je le retrouve… comme élève à l’école des entraîneurs. Nous nous sommes parlé à propos de mon procès avec le Sporting, mais sans nous étendre sur le sujet.

Mon meilleur souvenir date d’une époque qui pourrait paraître négative mais qui ne le fut pas du tout: lorsque Luka Peruzovic a sauvé l’équipe après l’avoir reprise de Georges Heylens. C’était un fameux challenge et nous avons réussi un deuxième tour tout à fait inespéré. Après cela, il y a eu les deux saisons avec Robert Waseige: la symbiose était parfaite entre le staff et les joueurs, nous avons travaillé dans une ambiance formidable. Il faut dire qu’il y avait un sacré talent dans le noyau. Puis, comme un long fleuve tranquille, le Sporting s’est un peu endormi et il a régressé. Lentement mais sûrement. Au point qu’il a été à deux doigts d’exploser, la saison dernière.

Le malheur du Sporting, c’est qu’il ne s’est pas professionnalisé à tous les étages. Les joueurs étaient de vrais pros, mais l’évolution ne suivait pas au niveau des dirigeants. Je ne les critique pas car ils faisaient ce qu’ils pouvaient. Mais ils travaillaient seuls alors qu’ils auraient dû se faire encadrer par des gens d’envergure. Ils avaient repris un club sur le point de mourir et l’avaient bien guéri. Après cela, ils auraient dû poursuivre l’effort en amenant des forces vives. C’était un choix à faire: encore progresser ou accepter de régresser. Ils ont pris la deuxième option. L’arrivée d’ Abbas Bayat a fait du bien: c’est plus facile d’avoir des projets ambitieux quand on amène de gros moyens financiers. On a eu droit à une flambée en début de saison, suivie d’un gros passage à vide. Je ne suis pas du tout étonné: en quinze ans au Sporting, j’ai observé plus d’une fois ce phénomène. Charleroi passe mal l’hiver, c’est une tradition de longue date ».

Piersoul: « Charleroi doit revoir sa politique de gardiens »

Michel Piersoul: « Mon plus beau souvenir à Charleroi remonte au jour où Georges Leekens m’a choisi pour préparer les gardiens du noyau A. Il y avait d’autres candidats et, après m’avoir auditionné, il m’a dit que la place était pour moi. J’étais très fier d’avoir sa confiance alors que le Sporting allait jouer la Coupe de l’UEFA et que Leekens ne me connaissait pas du tout avant de débarquer. Je n’ai pas un passé de joueur extraordinaire, puisque je n’ai joué qu’en D2. Mais il a été sensible au travail que j’avais effectué avec les jeunes gardiens du Sporting. J’avais créé une école à la demande de Jean-Paul Spaute et de Nico Silvagni. Cette école est allée chercher Olivier Renard, Jonathan Bourdon et Julien Begasse dans des petits clubs de la région.

La première année où je me suis occupé des gardiens du noyau A, il y avait Ranko Stojic, Franky Frans et Julien Begasse. Un mix idéal avec une valeur sûre, un deuxième keeper qui était proche du niveau de la D1 et un jeune qui pouvait mûrir tranquillement. Leekens me faisait confiance tout en exerçant un contrôle intelligent sur mon travail. Si je lui disais qu’un gardien était plus en forme qu’un autre, il me croyait et le faisait jouer. Comme moi, il était convaincu que l’aspect confiance jouait un rôle primordial chez un gardien. Cette saison, je vois que ça change sans arrêt à Charleroi. Dès qu’un portier a raté un match, on le met sur le banc. Istvan Dudas a commis quelques erreurs, mais il a quand même largement prouvé sa valeur lors de plusieurs matches. Malheureusement pour lui, il joue avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il sait que la première intervention manquée peut lui être fatale, alors il panique et n’est plus lui-même. Si le Sporting veut jouer prochainement le top 5, il devra revoir la problématique de ses gardiens, former un trio complémentaire.

Je pensais que la rénovation du stade allait donner un autre coup de fouet au Sporting, que le club jouerait dès cette saison pour une qualification européenne ou du moins le top 5. Or, ce qu’on voit sur le terrain actuellement est décevant ».

Missé Missé: « Les joueurs sont-ils derrière Scifo? »

Jean-Jacques Missé Missé: « Je garde de Charleroi le souvenir de trois saisons formidables. L’ambiance était extraordinaire dans le noyau. Il y avait pas mal de fortes têtes: Neba Malbasa, Raymond Mommens, Fabrice Silvagni, Dante Brogno, Michel Rasquin, Rudy Moury, Cedo Janevski et moi-même. Cette abondance de personnalités aurait pu provoquer des étincelles, mais nous étions assez adultes et responsables pour bien gérer les problèmes. Quand quelque chose n’allait pas, un des leaders tirait la sonnette d’alarme, nous nous réunissions et tout le monde disait ce qu’il avait à dire. Le lendemain, c’était oublié et nous repartions de l’avant. Cette mentalité nous a permis de jouer la Coupe de l’UEFA et l’Intertoto.

Il y a eu beaucoup de problèmes au Sporting depuis mon départ. Notamment toutes ces tensions entre la direction du club et la Ville, qui ont certainement affecté la qualité du jeu. Quand ça se frotte au sommet de la pyramide, il ne faut pas attendre de miracles à la base. Il n’y avait plus qu’un ou deux leaders dans le noyau (pour huit ou neuf à mon époque) et ça ne faisait que compliquer la situation car trop peu de joueurs étaient capables de prendre les choses en mains et de relancer la mécanique.

J’ai l’impression qu’on en demande un peu trop à l’équipe actuelle, dans laquelle il y a aussi un cruel manque de leaders. On a parlé de Coupe d’Europe en début de saison mais j’étais persuadé qu’il n’y avait pas assez de qualités dans ce groupe pour viser aussi haut. Il y a eu énormément de changements à tous les niveaux du club et il faut laisser le temps au temps. Si le Sporting s’était qualifié à la fin de cette saison pour l’UEFA, on aurait pu parler de gros miracle. Il faut aussi donner aux joueurs le temps de digérer le changement d’entraîneur. Je suis sûr qu’ils étaient curieux de voir le comportement de Scifo dans ce rôle. S’ils avaient accepté tout de suite ses idées, Scifo aurait pu poursuivre sur le rythme imprimé par Manu Ferrera. Mais je pense qu’ils se sont posé des questions, qu’ils avaient des doutes quant à l’utilité du changement de coach et qu’ils n’étaient pas tous derrière Scifo. Quand le mental ne suit pas, même Trapattoni ne peut rien faire avec les meilleurs joueurs. Je constate en tout cas que, si le remplacement de Marc Grosjean par Daniel Leclercq nous a complètement relancés, celui de Ferrera par Scifo a bien freiné les Carolos. Qu’ils sachent que nous allons les accueillir chaudement vendredi. S’ils pensent qu’ils arrivent en territoire conquis, ils seront drôlement surpris ».

Pierre Danvoye

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