« Même Koller se serait planté ici! »

En marge du choc entre les Loups et Anderlecht.

Les Loups ont bousculé Anderlecht. L’ogre a chancelé. La sortie de l’étonnant Yousfi, cloué par un claquage juste avant le repos, a d’abord déséquilibré l’équipe. Ensuite, par péché d’individualisme, Simundza (qui pouvait faire don d’un but facile à Turaci) a vendangé une occasion comme les Mauves en offrent peu. Résultat, une flèche décochée par Radzinski perçait le coeur d’un ensemble courageux, volontaire, entreprenant. Dans le camp des vaincus, il convient de retenir en priorité une détermination farouche rehaussée par une confiance de bon aloi. Il y a deux mois, la venue d’Anderlecht aurait été appréhendée de toute autre manière. Depuis, la neige est tombée. La grêle s’est abattue. La pluie n’a cessé de déverser ses torrents déprimants sur notre terre. En clair, la musique a changé. Nonobstant un bulletin de tête de classe (1 défaite en 9 rencontres), la cassure, par rapport aux rivaux directs ne s’opère pas. Alors, il faut souquer. Encore. Encore et encore. Renoncer ne fait plus partie du vocabulaire local. Evoquer la relégation est hors propos.

Frédéric Tilmant illustre la révolte : « Descendre en D2? Pas question d’y songer. Parfois, nous faisions allusion à Lommel. Finaliste de la Coupe de Belgique, champion en D2, qui aurait cru cela il y a un an? La réflexion s’arrête là. Au stade du simple respect. Admiration par rapport au travail effectué là-haut dans le Limbourg. Peut-être dans notre inconscient avons-nous tracé un parallèle. Peut-être. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Nous ne quitterons pas l’élite. Point final ».

Avant le match, concentration et no-stress

Actuellement, la lecture favorite de tout ce qui porte du vert dans le coeur tient en quelques mots. Le calendrier! Outre l’écueil anderlechtois, deux autres récents champions figurent au menu : le Lierse et Genk. Viendront ensuite La Gantoise et Mouscron. Plats indigestes, en théorie. Sur le papier, programme ardu. Grattant sa tête de Tintin des stades, Frédéric Tilmant cogite et présente une bouteille à moitié pleine : « Le Lierse vient d’annoncer à plusieurs joueurs qu’ils pouvaient s’en aller. Dont Eric Van Meir. Cela ne doit pas être la folle ambiance. Exactement le même phénomène se produit à Genk. Enfin, espérons qu’au moment de croiser le fer avec Gand et Mouscron, le Standard aura pris ses distances, démobilisant complètement nos adversaires ».

Fred est plongé en pleine expectative avant le match. Pendant que les supporters assiègent les guichets de location, formant de longs serpentins humains, bruyants et bigarrés, l’attaquant des Loups s’interroge. Sa blessure aux adducteurs qui le tient éloigné des stades depuis dix jours est guérie. Seule l’inquiète une petite gêne présente au moment de la frappe : « Pas vraiment une douleur. Plutôt une réticence à entrer dans le ballon. Je ne suis pas à 100% ». Il quitte la salle des joueurs. Foule la pelouse. Les techniciens de Canal+ s’activent. Déroulent des kilomètres de câbles. A l’extérieur, les friteries mobiles prennent possession du territoire. Tilmant remarque : « Vu d’en haut, la surface de jeu paraît impeccable. Ce n’est pas vraiment le cas. Regardez, il y a de petites aspérités ».

Daniel Leclercq est en avance. De noir vêtu. L’entraîneur va et vient. Surveille tout. S’intéresse à tout. Prépare ce qui doit être préparé. Les joueurs arrivent au compte-gouttes.

Rudy Moury est l’un des premiers. Détendu. Relax. Jovial. Comme toujours est-on tenté de dire. Optimiste et résolu. D’énormes grelons s’abattent sur la région. Le ciel est gris-sale. Presque noir. Lourd. Pesant. L’hiver au printemps. L’esprit de Fred voyage bien au-delà des nuages. Il pense tout haut : « Je ne débuterai pas. C’est sûr. Par contre, je me vois monter au jeu à un quart d’heure de la fin et marquer le but de la victoire. Dans cette cage-là! » Il désigne l’armature située à la droite de la tribune officielle. « Notre bon côté ». Quatorze heures. Le groupe travaille. Bonne humeur. Concentration. Beaucoup de concentration sans stress. Tilmant participe. Toutefois, à l’issue de cette séquence, la décision tombe : il ne jouera pas. Ne sera même pas sur le banc. Question de sagesse. De prudence.

Déçu, il l’est : « Comment pourrait-il en être autrement? Cette rencontre, tout le monde veut la disputer. Bon, je me dis qu’il vaut mieux rester valide pour le sprint final que de compromettre ma fin de saison en insistant pour être présent vendredi soir. D’autant que je n’aurais pas l’impression de servir les intérêts du collectif. Une carrière est faite de cela. Joies. Tristesses. Regrets. Mécontentements. Celui qui épouse ce métier doit le savoir. Moi, je le sais. Cela dit, c’est 25 joueurs qui battront Anderlecht et qui se sauveront. Le groupe entier se montre concerné ».

Le match : record d’assistance, 14.000 personnes au Tivoli.

En corollaire, un score financier sans pareil. Jamais jusque-là, l’enceinte louviéroise n’avait été prise d’assaut d’une telle manière. Dès 19 heures 15, un speaker fait grimper l’adrénaline. Et les décibels. Les « P’tits Loups », représentants de l’école des jeunes accomplissent un tour d’honneur avant de rejoindre l’espace qui leur est réservé. La maman de Fred l’accueillit à son arrivée au stade : « Dommage, gamin. Je suis triste que tu ne joues pas ce match-là ». Il commente : « Une passionnée. Bien davantage que mon père. Lui se contente de la télévision ». Les supporters l’apostrophent. Quémandent des nouvelles. Des autographes. Des pronostics. Filippo Gaone le croise. « Vous allez bien, Président? » Réponse : « Mieux que toi, il me semble ». Fluide glacial. Ton de reproche. Autant le prendre tel un hommage.

Les visages se ferment. Les gorges se déploient : « Allez les Loups, les supporters sont là ». Fred parcourt du regard le grand anneau: « Incroyable, l’absence de merchandising. On ne voit que du Mauve. Nous n’avons aucun fan shop. Nos maillots ne sont pas en vente dans le commerce. Difficile dans de telles conditions de colorer un stade ». Apparition des équipes. Jet de papelitos. « On ne pense plus à rien. Le salut se fait automatiquement. Réflexe conditionné. Chacun a l’esprit uniquement occupé par son entrée en matière. Bien contrôler le ballon. Distiller une passe précise ».

Eddy Merckx donne le coup d’envoi. « Daniel Leclercq doit être heureux, c’est son idole. Quelle popularité il conserve! Impressionnant ». Après six minutes, il se lève pour la première fois. Un centre de Marcos Lucas n’est pas exploité. Le Sporting hausse le rythme.

La Louvière répond. Mieux, elle prend résolument les échanges à son compte grâce à un Benoît Thans omniprésent. « Franchement, on ne dirait pas une équipe de queue de tableau, hein? D’accord, nous avons moins de qualités qu’Anderlecht. Ah, si nous avions joué de la sorte un peu plus tôt ».

Aruna ne passe qu’une seule et unique fois Yousfi. A la 44e minute. Thierry Siquet laisse filer le jeune Ivoirien. Poteau! « On a la chance. C’est tout bon, on a la chance. Au premier tour, c’était but. Certain. Merde! Steev sort. Aïe. Moche pour lui et pour l’équipe ».

Impression confirmée. Adrian Aliaj ne sait que faire du cadeau empoisonné qui lui est proposé. Aruna débute une gentille petite promenade. Il cisaille son flanc droit. L’ouvrage local se détricote. Plus de liant entre l’entrejeu et les attaquants. Pourtant! Simundza se défait enfin du marquage dont il est l’objet. Se présente seul devant Milojevic qui stoppe.

« Voilà le tournant du match. Maintenant, on va vraiment souffrir ». 61e, Radzinski troue l’impeccable Xhardez. « Terminé. Nous sommes bons pour nous accrocher au transistor et suivre les résultats enregistrés par les autres ».

Fin du match. Signe qui ne trompe pas, le public acclame les vaincus. « Baisser pavillon face à Anderlecht ne constitue nullement une contre performance. Retenons la manière. Nous avons démontré que nous avons les moyens de nos espoirs ».

Après.

A tête reposée, Frédéric Tilmant ne peut s’empêcher de philosopher sur le passé : « Le problème ne vient pas de notre comportement actuel. Il n’y a rien à dire. C’est au premier tour que nous avons foiré. On entre bien dans la compétition. Match nul contre Lokeren, pas mal. Nous sommes battus au Standard avec les honneurs en loupant d’un cheveu l’égalisation à 1-0. Le coup de massue, nous le recevons à Harelbeke. Nous prenons un point, mais le but de la victoire est annulé en fin de match. Nous laissons filer l’opportunité de bien nous situer. Le doute s’installe. L’équipe commence à jouer pour ne pas perdre et forcément… nous perdons match sur match ».

Les attaquants sont montrés du doigt. La confiance s’envole. Cette plénitude intellectuelle, qui constitue peut-être le moteur le plus puissant du prédateur des rectangles, s’effondre en miettes. Missé-Missé, Bembuana-Kévé, Washington et Tilmant en prennent pour leur grade. Ce dernier, aujourd’hui encore, tient à se pourvoir en appel : « Que pouvions-nous faire? Nous ne recevions que fort peu de ballons. En outre, nous devions accomplir un très gros labeur défensif. Nous le faisions. Arrivé en zone de conclusion, nous manquions de lucidité et de perçant. Et je le répète, comme les occasions n’étaient pas légions, le problème d’efficacité apparaissait de manière criante. Le temps passait et Marc Grosjean tenait de plus en plus souvent des propos négatifs nous concernant. Cela n’arrangeait rien. Durant cette période, je suis convaincu que même Jan Koller se serait planté chez nous ».

On connaît la suite de l’histoire. Les dirigeants optent pour le choc psychologique. Marc Grosjean, le bâtisseur, s’en va, emportant avec lui d’unanimes hommages. Daniel Leclercq arrive. Nouvelle approche. Autre langage. Injection de sang neuf. « Il ne s’est pas lancé de long discours », raconte Fred. « Le coach a dit : -Amusez-vous. En respectant une indispensable organisation en perte de balle, nous avons évolué comme on le fait dans une cour d’école. En prenant du plaisir. En créant. En jouant. Voilà la grande vérité du discours prodigué par Monsieur Leclercq : en jouant! Car au fond, le foot, ce n’est qu’un jeu. Les tactiques ne veulent pas dire grand-chose. L’important, repose sur l’animation. Nous marquons, nous prenons moins de buts, nous engrangeons des points ».

Entre le joueur et Marc Grosjean existait une relation paradoxale. Estime réciproque. Courant de sympathie. D’amitié, peut-être.

« Malgré cela, il ne me faisait jamais confiance. Je n’étais que son joker. A l’entraînement, en match, je devais toujours être meilleur que les autres car je savais que le couperet tomberait sur mon cou. Aujourd’hui encore, je me demande s’il attendait davantage de moi ou si tout simplement il ne croyait pas en mes possibilités. Je l’avoue, son départ m’a ôté la chape de plomb qui pesait sur mes épaules. J’étais libéré. Heureux. J’en ai parlé avec Yves Buelinckx, il ressentait des sentiments identiques ».

Avec Leclercq, Tilmant a retrouvé des senteurs d’autrefois. Effluves d’en France, perçues lors de son passage de deux ans à Gueugnon. Au niveau des méthodes d’entraînement notamment : « Les Français insistent davantage que nous sur l’intensité. A un point tel qu’une adaptation de trois, quatre, mois fut nécessaire avant de digérer le changement. J’ai retrouvé ce volume dans le chef de M. Leclercq. Lors de notre premier décrassage notamment, il a mis le turbo. Mes équipiers se demandaient ce qui leur arrivait : -Un décrassage ça? Pas possible. On va mourir! J’ai compris qu’il nous testait. Il tenait à voir ce que nous avions dans le ventre. Evaluer notre détermination. Notre aptitude à puiser au fond de nos réserves. Ce sont ses méthodes. Elles ont démontré leur bien-fondé puisqu’il a été champion de France ».

Reste maintenant à déterminer l’impact de ce premier revers sous l’ère « druidique ». Tout va se passer dans la tête. Il n’empêche que contre les leaders de la capitale, l’absence d’un certain Frédéric Tilmant s’est fait ressentir.

Daniel Renard

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