MEILLEUR qu’en l’an 2000 ?

L’équipe mauve survole le championnat comme pas permis. Mais est-elle pour autant la plus belle équipe mauve de ce début de millénaire ?

D’accord, le championnat se joue dans les play-offs. Et Anderlecht est plutôt bien placé pour le savoir, lui qui a bâclé sa copie dans cette mini-compétition, la saison passée. Mais au train où vont les choses, pas sûr que le RSCA retombe dans les mêmes travers. Car s’il y a une équipe qui survole les débats, c’est le Sporting. Et s’il y avait encore concurrence pour lui dans le chef de Genk ou du Standard, en 2010-2011, cette fois, on est loin du compte.

Parmi les grands traditionnels, aucun n’est parvenu jusqu’ici à inquiéter le club bruxellois. Avec un total de 22 points sur 24 glanés contre les autres représentants du top 6 et un average de 17 buts pour et à peine 2 contre. A ce train-là, sans doute face aux mêmes adversaires, les play-offs risquent d’être un coup dans l’eau.

Mais qu’est-ce qui explique la suprématie du Sporting ? L’équipe est-elle réellement la meilleure depuis l’entame de ce siècle comme certains l’observent ? La parole à quelques témoins :

AiméAnthuenis, entraîneur des Mauves de 1999 à 2002

Paul Van Himst, joueur emblématique du RSCA de 1959 à 75 et coach de 1982 à 1985

Marc Degryse (1989-1995)

Pär Zetterberg (1990-1991, 1993-2000 et 2003-2006)

Mbo Mpenza (2004-2008).

Aimé Anthuenis :  » L’équipe de 2000-2001 n’a pas encore été égalée « 

 » Je suis resté trois ans à Anderlecht en ayant à la fois l’équipe la plus belle de ce siècle, à savoir celle de 2000-2001, mais aussi la plus limitée… celle qui lui a succédé la saison suivante. En l’espace d’un été, j’avais perdu quatre éléments-clés : les deux pointes, Tomasz Radzinski et Jan Köller, auteurs respectivement de 23 et 22 buts en championnat, Bart Goor, troisième meilleur réalisateur du groupe avec 10 goals et Didier Dheedene, qui s’était notamment signalé en inscrivant la seule réalisation lors de notre match de poule en Ligue des Champions face au PSV Eindhoven.

J’avais perdu toute ma division offensive ainsi que mon flanc gauche. Une saignée qui explique pourquoi le Sporting n’a plus tenu la route, ni en championnat ni en compétition européenne, alors qu’il avait encore séduit sur ces deux tableaux quelques mois plus tôt.

Ce qui n’a plus jamais été égalé, c’est notre parcours euphorique sur la scène continentale avec des succès d’anthologie face à Manchester United, battu 2-1, le Dinamo Kiev, 4-1, la Lazio Rome, 1-0, ou encore le Real Madrid, 2-0. C’était une tout autre dimension que les Mauves du milieu de cette décennie qui, eux, n’avaient réussi qu’un maigre 3 sur 36 sur l’ensemble des campagnes 2004-2005 et 2005-2006 avec une seule victoire sur le fil, la dernière année, au Betis Séville.

Cette saison, les hommes d’ Ariel Jacobs réalisent un superbe parcours en Europa League : 18 sur 18, il est évidemment difficile de faire mieux. Mais il n’y a pas de comparaison entre l’AEK Athènes, le Sturm Graz ou, dans une moindre mesure, le Lokomotiv Moscou et des formations comme celles que mes joueurs avaient rencontrées. Le Sporting d’aujourd’hui est à sa place en Europa League alors que mes joueurs ne détonaient pas en Ligue des Champions. Je suis d’avis aussi qu’ils constituaient un bloc plus compact que l’équipe actuelle. Aujourd’hui, les secteurs sont fort cloisonnés. Voici 12 ans, il y avait un meilleur enchevêtrement d’une ligne dans l’autre. A l’époque, on évoluait le plus souvent en 3-4-1-2, avec un Bertrand Crasson qui créait le surnombre dans l’entrejeu depuis son poste de back droit pour nous permettre de jouer avec un régisseur, Alin Stoica, derrière les deux attaquants. Et aussi bien l’un que l’autre avaient livré une saison en tous points exceptionnelle. Idem pour Walter Baseggio, Yves Vanderhaeghe ou même Olivier Doll, extraordinaire face à la Lazio au côté du surprenant Alex Ilic. C’est bien simple : je crois que les trois quarts des joueurs que j’ai dirigés en 2000-2001 seraient titulaires dans le onze mauve actuel. C’est tout dire « .

Paul Van Himst :  » L’arrivée de Jova plus déterminante que le départ de Bous « 

 » Une avance substantielle en championnat et un sans-faute en Europa League, ce n’est pas à la portée de la première équipe venue. Certains diront qu’il n’y a pas photo entre Anderlecht et les autres en championnat et que les résultats européens ont été forgés en C2 et non en CL mais il n’y a pas de quoi faire la moue.

Le Lokomotiv Moscou, battu à deux reprises par le Sporting, faisait encore partie de ses adversaires en Ligue des Champions sous l’ère Anthuenis et l’AEK Athènes s’est déjà dressé lui aussi sur la route des Mauves, dans cette épreuve. Il ne faut pas les dénigrer, tout comme il ne convient pas de trop enjoliver les prestations du Sporting en CL au début du millénaire. OK, la bande à Köller avait peut-être battu quelques ténors sur son terrain mais elle s’était également inclinée 5-1 à Old Trafford et 4-1 à Madrid et à Kiev. Dès lors, tout est relatif.

Il est toujours difficile, aussi, de comparer des équipes à travers le temps. 12 ans, ça fait pour ainsi dire deux générations. Je préfère plutôt juger par rapport à l’année passée, par exemple. Le team actuel est beaucoup plus fort. J’ai toujours bien aimé un gars comme Mbark Boussoufa mais je me demande quand même dans quelle mesure il n’était pas devenu trop dominant sur la fin. Au début, quand il avait encore comme partenaires des joueurs du calibre d’ Ahmed Hassan ou de Nicolas Frutos, le Marocain avait encore le souci du partage. Mais, dès l’instant où il s’est retrouvé seul, il n’y en a plus eu que pour lui. C’est lui qui devait tirer tous les coups francs ou corners, c’est encore lui qui devait distribuer le jeu… Certains pâtissaient de cette situation. Et je remarque que ceux-là s’épanouissent cette saison.

L’arrivée de Jova a fait un bien fou à cette équipe aussi. Le Serbe, par son importance sur le terrain et dans le vestiaire, a pris le relais de Bous. A cette nuance près qu’il la joue beaucoup plus collectif. Le départ de Bous a peut-être coûté le titre au Sporting la saison passée. La présence de Jova, en revanche, devrait le favoriser cette saison.  »

Degryse :  » L’Anderlecht d’aujourd’hui reste perfectible « 

 » Le mérite de Jacobs est d’avoir su fondre cette saison tous les talents dans un moule, le 4-2-3-1, qui leur va comme un gant. Je n’ai pas été convaincu par ce système la saison passée. Romelu Lukaku était alors trop souvent abandonné à son sort. Par moments, le coach aurait pu le flanquer d’un appui, style Tom De Sutter ou Matias Suarez. A présent, la question ne se pose plus car Jacobs dispose du matériel humain idéal pour pratiquer son schéma de prédilection.

Devant, comme joueur le plus avancé, Dieumerci Mbokani est plus fort qu’un Lukaku qui a huit ans de moins et beaucoup à apprendre. La preuve par son écolage à Chelsea. Dieu, c’est une ligne d’attaque à lui seul : il sait marquer, donner une passe décisive et couvrir le ballon en attendant un partenaire. Des domaines où Rom peut encore largement se bonifier.

Derrière lui, Milan Jovanovic a pris la place laissée vacante par Boussoufa. Bous serait toujours susceptible d’apporter un plus à Anderlecht. Mais l’équipe n’a sûrement pas perdu au change avec Jova, qui a cette faculté de toujours répondre présent dans les matches au sommet, comme il l’a prouvé en marquant contre le Standard, le Club Bruges et Gand. Et qui s’impose aussi par son aura, comme il l’avait fait au Standard. A ses côtés, Suarez est une réussite aussi. Dans le passé, l’Argentin était bloqué par Bous qui, lorsqu’il n’évoluait pas sur l’aile, réclamait automatiquement le rôle d’attaquant en retrait, dans l’axe. Et cette place-là va précisément comme un gant au Soulier d’Or.

Chapeau au coach de l’avoir repositionné là plutôt que dans l’un des couloirs. Et chapeau aussi d’avoir fait coulisser Guillaume Gillet là où il rend le plus de services à l’équipe. De même, Jacobs a vu juste avec Sacha Kljestan, qui constitue une bonne surprise au côté de Lucas Biglia. Même si, à ce niveau-là, il manque peut-être au Sporting un joueur capable de sortir de bons ballons. Un gars comme le Baseggio de la grande époque, capable de délivrer un ballon à 5, 25 ou 45 mètres. Tout comme je ne relève pas, non plus, la présence d’un, voire deux grands à l’arrière. La dernière paire de classe c’était Vincent Kompany et Hannu Tihinen. Le premier pour son aptitude à sortir le cuir de la ligne défensive et l’autre pour son intransigeance. Imbriquez ces deux-là dans l’équipe actuelle et elle pourrait aller au bout de ses ambitions en Europa League. C’est dans ce secteur-là que la direction doit concentrer ses efforts si elle veut voir l’équipe franchir encore un cap. Car contre une équipe qui joue et presse haut, ce Sporting-ci va au-devant de certaines difficultés. A cet égard, le match contre l’AZ sera sans doute révélateur.  »

Pär Zetterberg :  » La même richesse offensive de nos jours que lors des années Boskamp « 

 » J’ai sans doute loupé le meilleur Anderlecht quand j’étais à l’Olympiacos de 2000 à 2003. C’est à ce moment-là que le Sporting a vécu des soirées européennes exceptionnelles. Je serais évidemment sot de me plaindre, avec les deux titres que j’ai conquis sous les ordres de Johan Boskamp en 1994 et 1995. Nous avions alors quelques fameuses gâchettes avec Luc Nilis, Johnny Bosman et Marc Degryse. Et moi en guise de soutien. La division offensive actuelle me fait songer à ces années-là : Dieumerci Mbokani, Milan Jovanovic, Matias Suarez et Guillaume Gillet, c’est la même veine. Le danger peut effectivement venir de n’importe quel membre de ce quatuor et est donc réparti sur tout le front de l’attaque. Sous cet angle-là, le Sporting a progressé. La saison passée, il était vraiment trop dépendant de Boussoufa, le Mister 50 % de l’équipe. Aujourd’hui, vu ses atouts, celle-ci doit toujours être en mesure d’inscrire un but de plus que n’importe quelle autre formation belge. Et elle y arrive la plupart du temps.

Ce qui me chiffonne un peu, c’est le décalage entre les résultats dans les gros matches et les autres. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème de motivation. De mon temps déjà, la différence se faisait dans les rencontres faciles. Compte tenu de l’importance d’être sacré cette année, je n’ai pas l’impression que la concentration fasse défaut. Je me demande si le problème ne se situe pas davantage sur le terrain que dans les têtes. Avec, d’un côté, une opposition qui se replie devant son but et, de l’autre, une équipe qui peine à faire le jeu. Le Sporting actuel est manifestement moins à l’aise dans cette configuration. Trond Sollied a raison : c’est une formation de contre. L’Anderlecht d’aujourd’hui est plus à l’aise lorsqu’il peut faire basculer le jeu très rapidement en lieu et place d’attaquer sans arrêt.

Cette maîtrise de la contre-attaque explique sans doute ses bonnes prestations en déplacement sur la scène européenne. Pour être plus performant encore, et mériter l’étiquette d’équipe tout-terrain, il serait indiqué d’apporter encore quelques retouches au onze actuel. Un relayeur dans l’axe est nécessaire, tout comme une plus grande percussion sur les flancs. Je crois avoir bien fait en soufflant le nom de Behrang Safari. Au départ, par peur de mal faire, mon compatriote songeait surtout à défendre. A présent, il s’enhardit et son apport ira sans cesse croissant, j’en suis sûr « .

Mbo Mpenza :  » Il n’y a pas de concurrence cette saison « 

 » Chaque année, le RSCA entre en ligne de compte pour le titre ou, au pire, la deuxième place. S’il doit se contenter de la 3e marche du podium, c’est qu’il a connu une tuile, comme le départ de Boussoufa. Cette fois, il n’a strictement rien à craindre, vu comme ses joueurs flashent sur une participation en Ligue des Champions. Et puis, surtout, il n’y a pas la moindre concurrence sur la scène nationale. Il est heureux, finalement, que les Mauves aient quelquefois levé le pied contre des sans-grade, avec des pertes de points étonnantes à la clé comme le 1 sur 6 face à Louvain, le 2 sur 6 contre Mons ou le 3 sur 6 devant Malines, sans quoi les Bruxellois auraient déjà relégué leurs rivaux à une vingtaine de points.

La domination des Mauves, on pouvait s’y attendre. Avec des renforts tels que Mbokani et Jovanovic, le ton était donné. Ce qui m’étonne, c’est le manque de répondant chez la concurrence à l’occasion d’une saison pourtant synonyme d’accès direct en phase des poules de la Ligue des Champions. Le Standard table sur sa classe-biberon, tandis que Bruges n’a pas toujours eu le nez creux dans ses choix. Quant à Genk, il digère très mal l’après- Frankie Vercauteren. Dans ces conditions, il est logique que le Sporting émerge.

Ce qui m’interpelle quand même chez lui, c’est qu’en dépit de ses résultats, le onze de Jacobs ne parvient pas vraiment à séduire. Il y a eu quelques exceptions, certes. Comme le 5-0 contre le Standard ou le 3-0 contre Bruges. Mais, dans pas mal d’autres cas, c’était quand même le service minimum : 0-1 à Lokeren ou Courtrai, 1-2 sur le fil à Westerlo, et j’en passe. Vu la richesse de l’attaque, l’équipe est toujours capable de faire la différence sur une action d’éclat de l’un ou l’autre. Mais le fonds de jeu me laisse sur ma faim. Il manque un véritable numéro 10 comme l’était un Zetterberg ou un Hassan par exemple. Et derrière, l’équipe a besoin d’une personnalité qui sache manier le ballon. Roland Juhasz dirige mais il n’est pas capable de servir des caviars comme le faisait Kompany . La distribution reste problématique à partir de l’arrière. Du coup, les défenseurs s’en remettent souvent à Silvio Proto pour balancer vers l’avant. D’accord, Anderlecht possède peut-être le récepteur idéal avec Dieu, capable de contrôler un ballon dans toutes les positions. Mais pour faire bonne figure, le Sporting devrait quand même pouvoir proposer une autre qualité de jeu au départ de sa défense. A l’époque, pas si lointaine d’ailleurs, où j’y étais encore moi-même, ce problème ne se posait pas. Avec Zet, Vince et Baseggio, nous étions servis dans les règles de l’art, Aruna Dindane et moi. Cette qualité-là, les Mauves ne l’ont pas encore « .

CONCLUSION

Hormis Anthuenis, qui prêche pour sa chapelle en mettant en exergue l’équipe de 2000-2001, les autres interlocuteurs sont beaucoup plus nuancés. Par rapport au passé récent, Van Himst et Zetterberg évoquent une équipe plus riche et mature, où le danger vient de partout. Pour Degryse, Anderlecht est costaud, certes, mais trahit encore des lacunes derrière. Quant à Mbo Mpenza, il déplore surtout le manque de répondant de la concurrence cette année.

PAR BRUNO GOVERS -PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Le Sporting est à sa place en Europa League alors que mon équipe ne détonait pas en Ligue des Champions. « 

(Aimé Anthuenis)  » Contre une équipe qui joue et presse haut, ce Sporting-ci va au-devant de certaines difficultés  » (Marc Degryse)  » En dépit de ses résultats, le onze de Jacobs ne parvient pas vraiment à séduire. « 

(Mbo Mpenza)

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