MÉDIAN BUTEUR

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les boys d’Albert Cartier sont à mi-classement après avoir affronté 8 équipes du Top 10. Le plus dur est-il fait ?

« Tchoulèèèèk !  » Quand il décroche son téléphone, Richard Culek (31 ans) a une voix qui porte. L’homme est volubile, déroule un néerlandais de bon niveau à un très haut débit. Etonnant pour un Tchèque.  » Dès que je suis arrivé à Lommel, en 2000, je me suis inscrit à des cours de langue « , explique le médian du Brussels.  » Je savais que c’était une condition sine qua non si je voulais réussir mon intégration « .

Il a disputé presque trois saisons complètes avec Lommel, avant d’être frappé par la faillite de ce club. Il termina cette campagne de la mort à Westerlo (un seul match en trois mois), puis passa au Brussels (titre en D2) où il vit aujourd’hui son troisième championnat. Pour le français, par contre, il faudra repasser.  » Je n’ai jamais fait l’effort de l’apprendre mais ça ne me pose pas de problème au quotidien. Patrick Wachel, l’adjoint, me traduit ce que je ne comprends pas « .

Lommel est resté sa base, son cadre de vie  » parce que toutes mes attaches sont là-bas et que je ne peux pas me permettre de déraciner une nouvelle fois ma famille sous prétexte que je pourrais être au stade en 10 minutes « . Ce qui lui impose cinq heures de route, certains jours.  » Ça aussi, je le gère bien. L’année dernière, j’avais un deal avec Emilio Ferrera : il ne pouvait pas me reprocher de faire autant de trajets si mes performances sur le terrain ne s’en ressentaient pas « . Et comment ! Avec 10 goals, il fut, en 2004-2005, le meilleur buteur de l’équipe. En gérant une fonction de médian défensif. Il a repris sa bonne moyenne dans le championnat actuel, avec deux buts au cours des neuf premières journées.

Richard Culek : Et pourtant, je sens que je suis beaucoup plus surveillé. Pour les adversaires, je suis clairement un des joueurs du Brussels qu’il faut tenir à l’£il. La saison dernière, j’ai marqué plus d’une fois les yeux fermés. Aujourd’hui, je dois bien choisir mes moments, faire plus d’efforts pour me démarquer, surtout sur les phases arrêtées. Mais ça ne me pose pas de problème : il n’était pas du tout normal qu’un médian défensif soit le meilleur buteur de son équipe. Les choses sont maintenant beaucoup plus claires. Nous avons un attaquant spécifique qui met des ballons au fond :

Igor De Camargo. C’est beaucoup plus logique comme ça.

Le point négatif du début de saison du Brussels, c’est que vous n’avez toujours pas gagné à domicile.

OK, mais le point positif, c’est que nous n’avons toujours pas perdu non plus chez nous. (Il rit). Quatre matches, quatre nuls. Et il faut savoir prendre du recul pour analyser notre bilan : nous avons reçu deux candidats au titre (Bruges et Anderlecht), la révélation de la saison dernière (Charleroi) et l’équipe surprise de cette saison (Zulte Waregem). Alors, avoir pris quatre points dans ces matches-là, est-ce vraiment si mauvais ? Je relève encore un autre point très positif : nous sommes revenus après avoir été menés contre Bruges, Anderlecht et Charleroi. Souvenez-vous de la saison dernière : dès que nous étions menés, nous perdions le match. Je n’ai qu’un gros regret quand je passe en revue nos quatre premiers matches à la maison : nous n’aurions jamais dû nous faire rejoindre par Zulte Waregem après avoir mené au score. En plus, le but de l’égalisation était pour ma pomme. C’est mon adversaire direct qui a marqué.

Cercle, Beerschot et Mouscron au programme : pression !

Huit des neuf équipes que vous avez déjà affrontées sont dans le Top 10 du classement : n’est-ce pas la conclusion la plus positive de votre début de saison ?

C’est très positif aussi, oui, parce que ça ouvre des perspectives. Nous avons montré ce que nous valons face à une opposition de bon niveau. D’un autre côté, cela peut aussi se retourner contre nous dans les prochaines semaines. Désormais, tout le monde va s’attendre à ce que nous prenions beaucoup de points contre des équipes moins bien classées. Nos supporters risquent de nous mettre une fameuse pression. Ils auraient accepté des défaites contre Bruges ou Anderlecht, ils nous demandaient simplement de ne pas prendre de casquettes. Maintenant, ils ne vont peut-être plus tolérer une défaite contre Roulers ou le Lierse. Nos dirigeants et la presse raisonnent sûrement comme ça aussi. Cela va nous mettre plus de stress sur les épaules. Je me demande si les matches les plus difficiles pour nous ne sont pas ceux qui vont arriver.

Dans les quatre adversaires qui vous attendent, il y a le Cercle Bruges, le Germinal Beerschot et Mouscron. Trois des plus grosses déceptions du début de championnat. Vous n’allez quand même pas craquer contre ces équipes-là ?

Sur le papier, nous sommes plus forts, c’est sûr. Nous considérons que ce sera notre mois de vérité car si nous prenons le maximum des points contre eux, nous quitterons la zone où on se bat pour le maintien. On pourra en tout cas se faire une idée plus précise de notre potentiel dans un mois.

Votre premier match de vérité, c’était à La Louvière : vous y avez fait une démonstration !

Tout à fait. C’est encourageant. Et pourtant, nous avions peur avant de partir là-bas. Nous savions que La Louvière n’avait perdu que de justesse contre Genk et le Standard après avoir joué de bons matches. Et dans toute la presse, on disait que cette équipe jouait bien par moments. Mais nous avons clairement montré que nous étions meilleurs que les Loups.

On imagine qu’Albert Cartier vous avait préparés spécialement ?

Non, même pas. En tout cas, il ne nous avait pas fait sentir qu’il avait un compte à régler avec ce club. Aucune prime de victoire spéciale n’était prévue. (Il rit). Par contre, nous avons eu droit à une récompense spéciale : trois jours de congé, alors qu’il n’en avait prévu que deux au départ, et une demi-journée au karting, le mercredi qui a suivi. J’ai l’impression que ce karting, c’est le coach qui l’a lui-même payé.

L’été dernier, Johan Vermeersch visait une progression de trois places par saison : vous êtes en avance sur le programme.

Il ne faut pas s’emballer, la saison est encore longue. Même si j’estime que ce groupe a assez de potentiel pour viser la dixième place.

Le groupe n’a pourtant guère changé par rapport à la saison dernière.

La base est restée et les Français qui sont arrivés nous apportent quelque chose. Le point noir, c’est la perte de Bjorn-Helge Riise : avec ses moyens financiers, le Brussels n’avait aucune chance de recruter un joueur de son niveau.

Comment expliquez-vous que ça marche cette saison alors que ça ne marchait pas la saison dernière ?

Nous sommes forts dans la tête alors que nous étions faibles la saison dernière : ça paraît simple comme résumé, mais c’est un peu ça. L’année passée, chaque fois que nous étions menés, nous laissions tomber les bras parce que nous étions convaincus que nous ne pourrions pas revenir. Il suffisait d’un but de l’adversaire pour que nous perdions au moins 30 % de notre confiance en nos moyens. Aujourd’hui, nous raisonnons tout à fait différemment : -L’adversaire a marqué, tant mieux pour lui, à nous de lui montrer ce que nous avons dans le ventre. Il y a maintenant du caractère dans le groupe. Si nous avions eu le même état d’esprit la saison passée, nous n’aurions jamais autant souffert pour nous maintenir.

 » J’ai assumé dans l’affaire Espartero  »

Le groupe a quand même manqué de caractère et de chaleur quand il s’est agi d’intégrer Mario Espartero…

(Il rigole).

On a entendu que vous aviez eu un gros clash avec lui. Que s’est-il passé ? On veut savoir !

Un clash ? Pas vraiment.

Quoi, alors ?

Un échange de mots assez musclé, disons.

Expliquez.

Nous estimions que Mario ne donnait pas le maximum à l’entraînement. Il savait ce que nous pensions. Et il croyait que nous étions allés en parler au président. Avant un entraînement, le coach nous a demandé d’être francs avec lui. J’ai alors pris la parole et j’ai dit à Mario ce que nous avions sur le c£ur. On en a fait un conflit Culek-Espartero, mais il n’en est rien : je n’ai fait qu’exprimer l’opinion de tout le noyau. J’ai assumé mes responsabilités, rien de plus. Cette mise au point a été très utile, et aujourd’hui, la page est tournée.

Reconnaissez que le noyau n’a jamais cherché à l’intégrer.

Il est arrivé à un mauvais moment, après quelques matches de championnat. Nous avions montré de bonnes choses en tout début de saison et il est un peu arrivé comme un cheveu dans la soupe. Pour mettre Espartero dans l’équipe, l’entraîneur a modifié un système qui fonctionnait bien, il a abandonné le 4-4-2 pour le 4-5-1. Et nous avons commencé à moins bien jouer. Nous sommes des pros, nous jouons pour des primes et nous avons mal accepté.

Le gros problème, c’est qu’il y a trois joueurs pour deux places : Culek, Haydock et Espartero ! Et qu’ils jouent tous les trois !

C’est un problème, oui.

Serez-vous toujours au Brussels dans un an ? Vous êtes en fin de contrat. Sur ce que vous avez montré la saison dernière, on se dit que vous mériteriez de tenter un jour votre chance plus haut. Il est temps !

Je sais. A 31 ans, c’est bientôt ou jamais… Peut-être que je mérite un peu mieux, oui. Mais, là aussi, je vois le côté positif des choses. Pour le même prix, je ne serais plus professionnel depuis deux ans. Quand Lommel est tombé en faillite, je me suis bien demandé ce que j’allais devenir. On m’avait oublié en République Tchèque et je ne m’étais pas encore fait un nom en Belgique. J’étais dans une impasse. Il y a plusieurs joueurs qui ont abandonné toutes leurs ambitions dans cette faillite. J’ai finalement retrouvé un club, Dimitri de Condé et Mark Volders aussi. Mais je pense que tous les autres ont disparu. Au bout du compte, je n’ai perdu que de l’argent dans l’aventure : 70.000 euros. L’affaire est en justice, mais pour gagner, je devrai prouver au tribunal que les dirigeants de Lommel ont fait volontairement faillite. Bref, autant oublier.

Emilio Ferrera

Relation coach-jouers :  » La relation entre Emilio Ferrera et le groupe était très spéciale. Il s’énervait souvent. Or, il est possible de faire passer un message sans s’énerver. Certains joueurs supportaient, d’autres pas. Avec lui, c’était la pression chaque jour, à chaque entraînement, dans chaque match. Il avait une obsession : voir sur le terrain exactement ce qu’il avait en tête. Et il n’a jamais changé sa façon de faire, même quand les mauvais résultats s’accumulaient « .

Entraînement :  » Tactique du premier au dernier jour ! Il nous bourrait le crâne et c’était accueilli de deux manières : certains s’y retrouvaient, d’autres ne savaient plus où ils étaient. Le terrain était quadrillé en permanence : sur vidéo, au tableau et sur la pelouse. Quel joueur devait être à quelle place à quel moment, selon qu’on avait le ballon ou pas, s’il était à gauche, à droite, devant ou derrière : pas évident à comprendre, à retenir et à appliquer « .

Jeu : La méthode Ferrera, c’était : bien défendre, récupérer le ballon et partir en contre-attaque. Nous devions alterner deux systèmes : en perte de balle et en possession. Sur les attaques adverses, il voulait que la défense forme un bloc très compact et très agressif aux 16 mètres. C’était aux arrières de tout donner puis ils étaient censés passer le relais aux deux autres lignes après avoir récupéré le ballon. Je simplifie, hein (il se marre) « .

Robert Waseige

Relation coach-jouers :  » Robert Waseige était l’opposé d’Emilio Ferrera : pas de pression sur les joueurs, aucun stress. Il a clairement voulu un changement radical. On se retrouvait comme une bande de copains dont il faisait partie. Il nous parlait beaucoup. Parfois trop… Une bonne demi-heure avant le début de l’entraînement et ça se poursuivait sur le terrain. Mais nous avons tous eu l’impression de retrouver enfin la liberté et nous avons explosé dans nos têtes… dans le bon sens « .

Entraînement :  » C’était le règne de la liberté totale. De l’improvisation, aussi. Avant l’entraînement, on l’entendait dire par exemple : -Bon, qu’est-ce qu’on va faire aujourd’hui ? Il ne se préparait pas. C’était fort vague et il n’y avait guère de tempo. Sur ce point-là aussi, il a sûrement voulu un changement radical par rapport à la méthode Ferrera. Il multipliait les petits jeux, ce que nous n’avions jamais fait avant son arrivée, pour nous permettre de redevenir libres dans nos têtes « .

Jeu :  » Parler de la tactique de Robert Waseige ? On aura vite fait le tour ! Il avait compris que nous avions l’esprit fort encombré et il se contentait du strict minimum. Du style : -Voilà, le Lierse joue comme ça, on va essayer de les contrer en 4-4-2, et tirez votre plan. Il abordait un peu l’aspect tactique le jeudi, puis nous laissait tranquilles jusqu’au match. Chaque joueur pouvait faire des choix. J’imagine qu’il aurait procédé autrement si nous avions fait la campagne de préparation avec lui « .

Albert Cartier

Relation coach-jouers : Albert Cartier insiste énormément sur la qualité de l’ambiance. Il se fait respecter tout en ne nous prenant pas de haut. Il veut de la discipline mais estime que ça peut passer par une bonne entente. Il vient nous parler dans le local des joueurs avant chaque entraînement. Et il veille à ce que tout le monde se sente concerné. Il a un mot pour chacun, il parle au troisième gardien comme au titulaire, au vingtième joueur comme au capitaine. Il ne veut pas se contenter de gérer 11 pions de bas « .

Entraînement :  » Les entraînements d’Albert Cartier sont un compromis entre ceux d’Emilio Ferrera et ceux de Robert Waseige. Il prévoit des exercices qui doivent aiguiser notre sens de la discipline et d’autres qui nous permettent d’exprimer une certaine liberté. Nous jouons beaucoup de petits matches à 3 contre 3, 4 contre 4, et jusqu’à 11 contre 11. Le but prioritaire est toujours le même : ne pas encaisser. Cartier dit : -Si on n’encaisse pas, il ne faudra pas marquer beaucoup pour gagner « .

Jeu :  » Il y a deux systèmes très différents avec Albert Cartier, selon que l’on joue contre un grand ou une équipe à notre portée. Contre les grands, il insiste encore plus sur la nécessité de ne pas encaisser : il faut être très agressif, ne pas les laisser développer leur jeu. Contre les autres, il veut que nous prenions le contrôle des événements dès la première minute. Il refuse de miser en priorité sur la contre-attaque. Il nous demande d’oser, de jouer vers l’avant, de ne pas spéculer « .

PIERRE DANVOYE

 » MARQUER LES YEUX FERMÉS, C’EST TERMINÉ « 

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