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Mbappé et Haaland: les Messi-Ronaldo de la nouvelle génération ?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Près de quinze ans après le coup d’envoi du duel Messi-Ronaldo, un nouveau duo de buteurs d’exception s’apprête à prendre la relève. Un futur soigneusement concocté depuis 2015. Allées et venues au cours de ces sept dernières années, de France en Norvège en passant par l’Autriche et l’Allemagne, sur les traces d’une double éruption de talent.

La date est particulière. Une forme d’entre-deux, un jour où ce n’est plus vraiment l’école, mais pas encore les vacances pour autant. En temps normal, on n’attend pas grand-chose d’un adolescent le 30 juin. Certainement pas des heures sup’. En 2018, Erling Haaland ne semble pas décidé à faire office d’exception. À la veille d’un match contre Brann Bergen, et surtout au sortir d’une semaine passée à tout rater sur les terrains d’entraînement de Molde, l’attaquant aux 18 ans pas encore accomplis se dirige vers le vestiaire la tête basse. Son coach, Ole Gunnar Solskjaer, le rattrape sur le buzzer, comme il aurait piqué une course vers le but dans le temps additionnel. L’ancien joker de luxe de Manchester United propose à son jeune attaquant 25 minutes de rab’ passées à la postérité. Des conseils, des gestes anodins, des frappes simples et un déclic. Le lendemain, Erling n’a besoin que de 21 minutes pour planter quatre buts. Autant que depuis ses débuts en championnat un an plus tôt. Taulier de l’élite norvégienne, accessoirement éphémère arrière droit d’Ostende, Amin Nouri pointe la date comme un tournant: « C’est à partir de là qu’en Norvège, on a commencé à vraiment connaître son nom. Je pense que c’est avec ce quadruplé que les gens se sont mis à réaliser les qualités qu’il avait. »

Il était athlétique, physique, avait une vitesse exceptionnelle, était à l’aise techniquement et avait surtout une facilité déconcertante à marquer. J’ai tout de suite vu que c’était un extraterrestre. » Sandro Salamone

Le 30 juin 2018, il n’y a déjà plus grand-monde pour douter des qualités de Kylian Mbappé. De deux ans l’aîné de son futur rival norvégien, la fusée française s’offre un nouveau décollage depuis Kazan. En face de l’Argentine de Lionel Messi et dans la foulée de la reprise de volée magistrale de Benjamin Pavard, le numéro 10 des Bleus claque un doublé en quatre minutes qui propulse les siens en quarts de finale d’une Coupe du monde qu’ils soulèveront deux semaines plus tard.

L’histoire ne dit pas si les exercices supplémentaires proposés par Solskjaer ont privé Haaland de l’un des matches les plus spectaculaires du Mondial russe. Pas plus s’il aurait décidé de se poser devant sa télévision pour l’un de ces moments où le football se vit parfois dans une dimension parallèle, à l’ombre d’un évènement planétaire. Deux ans plus tôt, c’est depuis l’hôtel où sont rassemblés les U19 de l’équipe de France en Allemagne que Mbappé assiste, en compagnie de ses coéquipiers, à la défaite des Bleus contre le Portugal en finale de « leur » EURO. Surclassé pour pallier l’éclosion d’ Ousmane Dembélé, le joyau monégasque joue alors les invités de dernière minute. « On avait un maillon manquant », rembobine Ludovic Batelli, à la tête des Bleuets pour cette version U19 du championnat d’Europe, pour SoFoot Club. « Dans ma génération, je n’avais aucun joueur de ce profil-là. J’ai regardé en-dessous et j’ai parié sur Kylian. » Pari gagnant. Cinq buts sur la compétition, dont un doublé en demi-finale contre le Portugal, dans une revanche miniature fixée onze jours après le duel des grands. Un certain sens du spectacle.

L’AUDACE DES PREMIÈRES FOIS

Même en marche arrière, l’histoire se cultive en parallèle. Chez les U15 norvégiens, pour sa deuxième apparition sous le maillot national dans l’ambiance feutrée du stade de Brumunddal, Erling Haaland fait le spectacle au retour des vestiaires. Posé à l’entrée de sa surface en attendant le coup d’envoi de la seconde période, le gardien suédois Sebastian Thorberg n’est pas prêt pour ce qu’il se prépare. Depuis la tribune, installée de l’autre côté de la piste d’athlétisme, John Vik n’en rate quant à lui pas une miette: « J’ai vu Erling murmurer un truc à Erik Botheim« , rejoue pour SoFoot le chef du scouting de Molde. « J’ai pensé: Non, il ne va quand même pas faire ça? Il ne va pas avoir les couilles de le tenter? Eh bien si. Botheim a poussé le ballon, et Erling a marqué du milieu de terrain. » Avant de s’offrir un doublé une minute plus tard, avec l’audace de ceux dont le contexte n’altère pas l’appétit.

Kylian Mbappé dans ses oeuvres face au FC Metz. Le Français a clos sa saison par un triplé.
Kylian Mbappé dans ses oeuvres face au FC Metz. Le Français a clos sa saison par un triplé.© GETTY

Deux mois après cette éruption nordique, le 2 décembre 2015, Kylian Mbappé déboule dans une cour bien plus prestigieuse. Il reste deux minutes lors d’un duel entre l’AS Monaco et Caen quand Leonardo Jardim lance sur la pelouse un jeune attaquant qui fait alors ses débuts en Ligue 1. Une montée à la place de Fabio Coentrão pour conjurer le match nul, comme si l’espoir de voir l’enfant de Bondy agiter le marquoir en moins de cinq minutes était déjà une réalité. Compagnon de banc de touche ce soir-là, l’ancien gardien du Cercle Paul Nardi n’est pourtant pas surpris: « Quelques semaines plus tôt, il avait été intégré pour la première fois au groupe des A. Je me souviens de cet entraînement, du premier petit match chez les grands. Il avait marqué. Un doublé ou un triplé, je ne sais plus. Toujours est-il qu’il n’a plus quitté le groupe pro. »

Le décollage est vertigineux. Une passe décisive pour Stephan El Shaarawy à White Hart Lane en Europa League huit jours plus tard, un but dans les arrêts de jeu contre Troyes à la chandeleur, avant une fin de saison passée à fracasser ses semblables en finale de la prestigieuse Coupe Gambardella (3-0 contre Lens, deux buts et une passe décisive) puis à l’EURO U19. L’explosion est programmée, et survient la saison suivante. Mbappé est un acteur majeur du titre monégasque, gratté au détriment du surpuissant PSG, et de la campagne européenne conclue en demi-finale de la Ligue des Champions. Le Français supersonique claque 28 buts et quatorze passes décisives, sans jamais manquer une opportunité de marquer les esprits. Un peu plus d’un an après ses débuts chez les pros, Kylian recroise la route de Paul Nardi, installé dans les buts de Rennes pour une rencontre de Coupe de la Ligue. Sept buts dans le buffet pour le dernier rempart breton, et un triplé pour la nouvelle coqueluche de l’Hexagone. « J’étais prêté par Monaco. Les gars en face, ils avaient de la peine pour moi », se souvent Nardi. « Kylian, il était sur son petit nuage. Il n’allait pas faire de sentiment, c’est normal. Sa vitesse nous avait fait mal. » Même diagnostic dans SoFoot Club pour Philippe Hinschberger, coach de Metz qui subit le premier triplé en Ligue 1 de Mbappé quelques semaines plus tard: « Sur l’un des buts, on perd le ballon bêtement, Fabinho le lance sur l’aile gauche, et il est parti comme une bombe. Ce n’était même plus prendre de vitesse, c’était un autre sport. »

LA FAIM ET LES MOYENS

C’est toujours ce même constat, presque effrayant. Cette impression de paranormal. Pourtant, quand il arrive à Salzbourg, dans l’usine à champions de RedBull, Erling Haaland ressemble encore à un jeune talent comme les autres. « Avant qu’il parte en Autriche, personne ne pouvait prédire un tel développement », assure Amin Nouri. « On savait qu’il était bon, mais pas à ce point. »

S’il quitte déjà la Norvège avec un instinct animal face au but et un potentiel physique intéressant dans les valises, le géant du Nord atterrit surtout sur les prés autrichiens avec un toucher de balle défaillant. À l’époque, son nom est connu par les scouts du monde entier, mais beaucoup ont des doutes sur la hauteur de son plafond. Salzbourg croit en lui, et met sur pied un programme d’entraînement personnalisé. Pendant que ses coéquipiers jouent en championnat, Erling est sur une autre pelouse: celle du centre d’entraînement, où il travaille spécifiquement sa première touche avec un coach dédié à sa progression individuelle. Les premiers mois restent confidentiels, jusqu’à ce que l’été lui donne un appétit de collectionneur.

Le problème, c’est que Mbappé va vraiment trop vite. Il choisit ses moments et il pique. En plus, il sait qu’une occasion lui suffira. » Matz Sels

Battue lors de ses deux premiers matches de poule au Mondial des moins de vingt ans, disputé en Pologne, la Norvège s’amuse dans l’enceinte du Motor Lublin, à l’est du pays. Le Honduras n’a rien de l’adversaire coriace, et sa défense est autant en beurre que l’enjeu du match. Les Scandinaves marquent douze fois, dont neuf buts pour le seul Haaland qui voit forcément un micro se tendre devant lui après le coup de sifflet final: « J’aurais préféré en mettre dix, mais neuf, c’est bien. »

La faim est intacte et les pieds sont désormais à la hauteur de l’estomac. Haaland entame la saison en boulet de canon, et se retrouve sous les yeux de Sandro Salamone quand le tirage au sort de la Ligue des Champions met Salzbourg au menu du Genk de Felice Mazzù. Aujourd’hui analyste vidéo à l’Union, celui qui occupait alors cette fonction dans le Limbourg a les yeux écarquillés: « Il était athlétique, physique, avait une vitesse exceptionnelle, était à l’aise techniquement et avait surtout une facilité déconcertante à marquer. J’ai tout de suite vu que c’était un extraterrestre. Je me souviens avoir dit à Felice que dans les trois ans, il serait meilleur buteur de Premier League. D’habitude, on ne se focalise pas trop sur les joueurs adverses dans la vidéo de préparation collective mais pour lui, on avait fait une exception. »

Erling Haaland a eu droit à une haie d'honneur de la part de ses équipiers pour son dernier match au Borussia Dortmund.
Erling Haaland a eu droit à une haie d’honneur de la part de ses équipiers pour son dernier match au Borussia Dortmund.© GETTY

Le traitement de faveur fait sourire les joueurs de Genk. « Je me souviens qu’un de nos joueurs m’a dit qu’il l’avait côtoyé et que ses bonnes stats, c’était surtout parce qu’il jouait en Autriche, parce que ce n’était pas si fort que ça », poursuit Salamone. Assis dans l’assemblée, Dieumerci Ndongala étaye le souvenir: « On l’a clairement sous-estimé. Le coach avait pourtant insisté sur le fait qu’il fallait le surveiller mais comme on était dans un groupe avec Naples et Liverpool on partait du principe qu’on allait jouer la troisième place avec Salzbourg. On ne se doutait pas qu’ils allaient débarquer avec une arme de destruction massive. » Les Autrichiens font danser le Racing et le colosse scandinave claque trois buts, presque un rythme de croisière lors d’une première partie de saison bouclée à 28 buts en 22 sorties.

« Dans le tunnel, avant le match, il se collait des énormes baffes », reprend Salamone. « Du genre: hey mec, c’est la Ligue des Champions, faut que tu sois bien éveillé. Il ne pensait qu’à marquer. Et puis, quand tu le vois, il est musclé de partout. Franchement, il n’est pas normal. C’est une bête. »

FINESSE ET BRUTALITÉ

Notamment grâce à ses années passées dans un PSG galactique, Thomas Meunier est devenu un expert dans l’analyse des extraterrestres. Le Diable a la rare particularité d’avoir partagé le même vestiaire que les deux nouveaux phénomènes du football mondial, qui n’ont pas vraiment faibli en cours de route après leur décollage à la verticale vers les sommets du ballon rond.

« Quand je m’entraînais avec Kylian, il était déjà monstrueux, mais je m’étonne de voir à quel point il a grandi et évolué. Franchement, je ne sais pas comment il fait », admet l’arrière droit, ouvertement impressionné par « une progression non-stop » que confirme Paul Nardi, spectateur privilégié des premiers pas: « Kylian avait déjà un immense potentiel, mais il était moins rapide, moins adroit devant le but qu’aujourd’hui. Sa force, c’est qu’il a eu une progression constante. »

« Cette saison, pour la première fois depuis sa révélation, on a un peu moins parlé d’Erling », reprend Thomas Meunier, qui partageait le maillot jaune et noir de Dortmund avec le Norvégien. « Pourtant, il a fait une saison exceptionnelle, mais elle a été perturbée par les blessures. De manière générale, il est plus brut. Dans le style, je préfère, en fait. Il me fait penser à un Alan Shearer ou à un Oliver Bierhoff. Des attaquants plus authentiques. Même dans sa façon d’être, tu vois que c’est un vrai 9 à l’anglaise. Quand il marque un but, c’est en force. Même un plat du pied, il te le claque fort. Kylian, c’est plus fin. »

« Paris a beau être Paris, l’équipe, c’est quand même un peu lui tout seul », boucle Matz Sels, devenu un adversaire habitué depuis qu’il protège les filets de Strasbourg. « Le problème, c’est qu’il va vraiment trop vite. Il choisit ses moments et il pique. En plus, il sait qu’une occasion lui suffira. » Un jour, pourtant, Sels a tout fait pour qu’une occasion ne suffise pas. Et le Diable s’en est sorti avec les félicitations du champion du monde. « Après un match où j’avais fait quelques bons arrêts face à lui, il était venu me trouver pour me féliciter. Ça a été bref, parce qu’il y a toujours beaucoup de gens qui veulent lui parler après les matches ( il rit). »

Kylian Mbappé et Erling Haaland semblent partis pour durer un bon moment. Le premier a prolongé son séjour dans la Ville-Lumière en s’offrant le luxe de repousser la cour assidue du Real Madrid, tandis que son cadet s’apprête à rejoindre la Premier League et Manchester City. Le duel à distance s’annonce, une fois de plus, conjugué au superlatif. Au crépuscule des règnes de Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, le doute n’est plus vraiment permis: demain, c’est maintenant.

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