Mauvaises vibrations

Retour sur les trois semaines de foot en Angola. Entre déceptions et révélations.

« C’est une CAN très moyenne avec quelques fulgurances « . Indulgent, Claude Le Roy ?  » Plutôt moyen bas « . Présenté comme expert (les Français aiment les titres pompeux…) pour la chaîne Orange Sport, sponsor de cette 27e édition, il passe pour le professeur, le Mestre comme on le surnomme en Angola… Actuellement en charge de l’Oman, ce sélectionneur aux six CAN (avec comme  » pire  » performance un quart de finale), ne gardera pas un souvenir impérissable de l’épreuve.

 » Je n’ai jamais ressenti de vibration durant les trois semaines du tournoi. Ici, tout est toujours confusao (compliqué) comme ils disent. Les stades sont superbes, c’est vrai. Mais à quoi cela sert-il d’avoir une belle enveloppe si la lettre à l’intérieur est bourrée de fautes d’orthographe ? »

De fait, le Cocan (comité organisateur de la CAN) et la CAF auront dérapé plusieurs fois. Pour conclure en beauté, le comité exécutif de la CAF, par la voix de son président, Issa Hayatou, a décidé de suspendre le Togo pour les deux éditions à venir :  » C’est une sanction réglementaire. Il y a eu une interférence gouvernementale, ce que nous ne pouvons accepter. « 

Cette décision est intervenue samedi dernier, un jour après la conférence de presse tenue lors de la XXXIIe assemblée générale de la CAF où rien de cet ordre ne filtra. Il fut plutôt question d’un hommage adressé aux deux personnes décédées parmi la délégation togolaise à travers une minute de silence (… qui dura 20 secondes).

Le ministre des Sports de l’Angola, Gonçalves Muandumba, prit aussi la parole, en présence de Sepp Blatter, et tint à présenter ses excuses pour les  » petits incidents  » survenus lors de la CAN 2010 organisée par son pays. On peut discuter longuement du bien-fondé de la décision du gouvernement togolais de rapatrier ses Eperviers, il est cependant indiscutable que la CAF laisse peu de place aux sentiments.

L’organisation panafricaine n’a fait que confirmer sa réputation de confédération vivant dans sa tour d’ivoire. Pour ce qui est du pays organisateur, il laissera derrière lui un souvenir plutôt austère à l’image de son drapeau où, sur fond rouge et noir, se croisent machette et roue dentée (référence aux faucille et marteau de l’ex-URSS). Les confrères africains croisés tout au long de l’épreuve nous ont répété leur impatience de retourner au pays. Bien plus grave fut le passage à tabac du supporter numéro un des Black Stars du Ghana par la police angolaise.

Rencontré à son hôtel, Samuel Aggrei nous a montré l’entaille dont il a été victime. Tout ça parce qu’il voulait fêter la victoire de son pays face au Burkina Faso avec le ministre des Sports du Ghana. Le service d’ordre fit barrage avant de l’envoyer à l’hôpital. Véritable phénomène au pays (il voyage avec la sélection à travers le monde et peint l’intégralité de son corps aux couleurs du drapeau ghanéen), Aggrei peut compter sur le soutien de la fédération ghanéenne qui transmit la facture (900 euros !) au Cocan.

Un niveau en baisse

Ce n’est malheureusement pas la qualité du foot proposé qui a redoré le blason de l’épreuve où les matches somnifères se succédèrent. Et pourtant, la CAN avait débuté par un feu d’artifice : Angola-Mali (4-4). Le soufflé est vite retombé. A l’heure des bilans, les 29 matches auront permis d’enregistrer un total de 72 buts (2,4 buts par match). On est loin des 99 inscrits deux ans plus tôt au Ghana, et qui constitue le record de l’épreuve.

A Accra, tout le monde s’était félicité de l’excellent niveau d’ensemble. La version angolaise n’est clairement pas du même acabit. Que retenir comme matches référence ? Certainement le thriller entre la Côte d’Ivoire et l’Algérie (2-3) où Madjid Bougherra répondit dans le temps additionnel des 90 minutes au but somptueux de Kader Keita inscrit deux minutes plus tôt. Voire peut-être Egypte-Cameroun (3-1), même si le troisième but égyptien fut entaché d’une grossière erreur d’arbitrage. Car pour le reste, difficile de ne pas faire la moue. Et ce n’est certainement pas la finale qui redynamisa le produit. En de nombreux aspects, la rencontre symbolisa la CAN 2010. De très rares occasions de but, des formations qui se livrent timidement et un rythme peu emballant.

Les 32°C au coup d’envoi n’aidant évidemment en rien, l’humidité dépassant la barre des 80 % non plus. Et si en plus, le Stade du 11 novembre, écrin somptueux s’il en est, dispose d’une pelouse indigne pour un tel événement, vous assistez logiquement à une multitude de déchets techniques et passes mal calibrées. Le gazon (?) de Cabinda, qui accueillit notamment en poule les matches de la Côte d’Ivoire et du Ghana, est tout aussi catastrophique. Sablonneux et bondissant, il n’invite pas à la pratique du beau jeu. Si d’aucuns avancent le  » charme de la Coupe d’Afrique  » comme mot d’excuse, les acteurs, eux, semblent désabusés de fouler de telles pelouses. L’équipe du Nigeria, dont la plupart des joueurs évoluent dans les plus grands championnats européens, s’est préparée pour sa demi-finale dans le complexe Inter Club niché dans les bidonvilles de Luanda. Le terrain était une copie de ceux de petits clubs de notre foot provincial quand, en été, le gazon n’a pas encore été tondu et qu’il est envahi de mottes de terre. On connaissait le style nonchalant de Nwanko Kanu, dans pareilles conditions, celui-ci fut démultiplié…

Côté sommets de l’ennui, on a l’embarras du choix. Pointons en numéro un, le quart de finale entre le Nigeria et la Zambie qui se solda par des tirs au but après 120 minutes insipides. Ce non-match amena même un commentateur de Canal+ Horizon à lâcher en direct à son confrère :  » Ôtez moi d’un doute, cette partie est vraiment nulle, non ? »

Quand on connaît les liens qui lient la chaine cryptée française à la CAN, et le produit commercial qu’elle représente, on vous laisse imaginer la médiocrité proposée par les 22 acteurs. Angola-Algérie est aussi à ranger au rayon bides, mais pour d’autres raisons. Pour la dernière rencontre des poules, ces deux équipes n’avaient besoin que d’un point pour passer en quarts. Les protagonistes gelèrent donc le ballon durant les 45 dernières minutes et proposèrent une parodie de football (0-0). Un match aux relents d’Allemagne-Autriche de 82 dont le score (1-0) condamna… l’Algérie. Dindon de la farce cette fois, le Mali, qui dans le même temps disposait du Malawi, protesta officiellement auprès de la CAF pour  » attitude antisportive contraire à l’éthique et au fair-play prônés par la FIFA « . Pas de réponse, la plainte dut certainement être rangée en bas de la pile.

Enfin l’Algérie-Egypte-acte III disputé en demi-finale à Benguela démontre une nouvelle fois que le foot est aussi politique. Si le conditionnement haineux du Caire et de Khartoum fut contenu, la préparation de la rencontre prit une tournure totalement disproportionnée. Les Fennecs se rendirent à l’entraînement entourés d’une demi-douzaine de Hummers de la police angolaise. Tandis que l’hôtel qui accueillait les Pharaons avait été transformé en camp retranché avec interdiction pour quiconque de s’en approcher. Pour enflammer le tout, la déclaration de l’attaquant, Mohamed Zidan, à la sortie du succès en quarts face au Cameroun  » S’ils veulent la guerre, ce sera la guerre  » fut abondamment commentée.

Le match, lui, disjoncta dès le second but égyptien. Précédemment, l’arbitre béninois, Coffi Codjia, avait sifflé un pénalty contestable, et très contesté, puis exclu, dans la foulée, le défenseur Rafik Halliche. Deux autres exclusions suivirent côté algérien et les coups bas s’enchaînèrent. Les tensions diplomatiques entre ces deux nations ne s’atténueront pas par le foot, c’est désormais une évidence.

Le tableau présenté ci-dessus n’est évidemment pas vendeur. Et pourtant, pour cette édition, le holding LC2-Afnex a imposé à chaque pays de l’Afrique sub-saharienne des droits 50 % plus chers par rapport aux CAN 2006 et 2008. Le tarif, s’élevant à 1,5 million, est dix fois plus élevé que celui exigé pour diffuser la Coupe du Monde.

La déception des poids lourds

On les attendait au tournant, ils ont déçu : le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, et dans une moindre mesure le Mali, n’ont pas été à la hauteur d’une réputation que l’ont dit aujourd’hui surfaite. L’échec des Éléphants est l’exemple assurément le plus retentissant, vu l’étiquette de grands favoris qu’ils avaient à leur arrivée en Angola.  » Le foot, c’est 90 % de transpiration et 10 % d’inspiration « , explique Le Roy.  » Et les Ivoiriens n’ont pas respecté cette balance. La Côte d’Ivoire est une grande déception car je pensais qu’elle allait cette fois-ci se remettre en question après les deux précédents loupés en 2006 et 2008. Je n’ai pas vu chez elle de système de jeu précis. Les joueurs m’ont donné l’impression de vouloir faire leur truc de leur côté. La faute à Vahid Halilhodzic, le sélectionneur ? Ce n’est pas à moi de me prononcer. La seule chose que je peux dire, c’est qu’un sélectionneur doit effectuer un travail de profondeur, pas seulement réunir les stars. Le casting réussi, c’est celui qui fait vivre les talents…  »

Aujourd’hui, affirmer que Coach Vahid n’a pas la cote du côté d’Abidjan est un euphémisme.  » Le coach bosniaque n’est jamais parvenu à résoudre les problèmes de l’axe défensif « , pointe Choilio Diomande, chef du service sport du quotidien Nord-Sud.  » Aussi, je ne crois pas que sa méthode prenne auprès des joueurs. Il a fait beaucoup de travail foncier pendant les neuf jours qui ont suivi le match face au Ghana et précédé celui face l’Algérie en quarts. Contre les Fennecs, les Eléphants ont semblé carbonisés. Regardez les prolongations. Aujourd’hui, le désamour est réel entre la sélection et le peuple ivoirien. La mentalité est défaillante, on manque de guerriers.  »

Halilhodzic n’est pas seul dans la tourmente, Paul Le Guen aussi est vivement contesté à la tête du Cameroun. On lui reproche notamment de ne pas être suffisamment impliqué dans son travail. Le fait de préférer ses prestations à Canal+ à une conférence de presse locale est mal passé. Et puis, ses choix tactiques et de joueurs manquent de ligne directrice. Aucune équipe type sur quatre matches et la présence des (trop) vieux Rigobert Song (qui détient le record de participation à la CAN avec huit présences successives) et Gérémi ont placé l’ex-Parisien sous le feu des critiques. Ces deux exemples mettent pour le coup un sérieux frein à la réussite des fameux sorciers blancs. Ce besoin paternaliste, ce complexe postcolonial commencent à passer de mode.

En demi-finales, trois des quatre coaches étaient locaux : Rabah Saâdane (Algérie), Hassan Shehata (Egypte) et Shaibu Amodu (Nigeria). Seul rescapé européen, le Serbe, Milovan Rajevac, qui prit la succession de Le Roy à la sortie de la CAN 2008. Sur le carreau, Hubert Velud (Togo), Manuel José (Angola), Paulo Duarte (Burkina Faso), Marrt Nooij (Mozambique), Alain Giresse (Gabon), Le Guen (Cameroun), Michel Dussuyer (Bénin), Halilodzic (Côte d’Ivoire), Hervé Renard (Zambie).

 » Diriger en Europe, c’est de la rigolade, c’est le confort absolu « , prolonge Le Roy.  » En Afrique, tu n’as pas le droit à l’erreur sinon tu ne sors plus de chez toi. C’est un boulot compliqué, diriger une sélection africaine, on n’y débarque pas comme ça. Il faut être imprégné de la mentalité, sinon on déchante très vite… « 

Les révélations

Les stars européennes ( Drogba, Yaya Touré, Samuel Eto’o, Yakubu, Mickael Essien) aux abonnés absents, cette CAN a permis de mettre sous le feu des projecteurs des joueurs bien moins médiatiques. Et sur ce point, on ne peut passer sous silence la prestation d’ensemble du Ghana dont quatre titulaires (le milieu gauche André Ayew, l’arrière droit Samuel Inkoom, le milieu récupérateur Badu et le milieu gauche Opoku) étaient présents en automne dernier en Egypte pour la victoire aux Mondiaux U20. Pour entourer la jeune garde, pointons le gardien Richard Kingson, meilleur rempart du tournoi avec l’Egyptien Essam El Hadary.  » Et l’arc Asamoah et la flèche Gyan « , dixit Le Roy. Le premier, milieu de l’Udinese, a brillé par sa technique de frappe et de passe. Le second, attaquant de Rennes, a réussi seul en pointe à foutre le feu aux défenses adverses et inscrire trois buts.

Parmi les nations moins réputées, le pays hôte, l’Angola, a fait découvrir l’étonnant arrière droit offensif, Jose Alberto Mabina. La Zambie, dont on savait peu de chose, a mis en lumière son attaquant Jacob Mulenga (Utrecht) ou son régulateur de l’entrejeu Christopher Katongo (Arminia Bielefeld). Au Cameroun, tout n’est pas à jeter. Alexander Song (milieu récupérateur, Arsenal) a démontré qu’il devrait s’imposer comme le futur leader des Lions Indomptables. L’Algérie a soufflé le chaud et le froid, mais a pu compter sur la régularité et la puissance de Bougherra (défenseur central, Glasgow Rangers) et du volume de jeu et des pénétrations d’ Hassan Yebda (milieu offensif, Portsmouth). Le vainqueur de l’épreuve, l’Egypte, a pu miser sur les débordements de son arrière droit, Ahmed El Mohamady.

Côté coach, Hervé Renard, passe pour devenir le nouveau golden boy du foot africain. Ce jeune coach français (40 ans), adjoint pendant six ans de Le Roy, ne devrait pas rester à la tête de la surprenante et pétillante Zambie, indiscutablement une des bonnes surprises du tournoi. Le beau gosse azuréen est annoncé notamment du côté du Sénégal.  » Je ne cache mon ambition « , nous a-t-il confié.  » J’attends simplement de voir ce que l’on me propose.  »

A retenir pour le Mondial

Parmi les cinq mondialistes présents, seul le Ghana a su se montrer digne de son statut tout au long du tournoi alors qu’il est peut-être le pays dont on attendait le moins vu les absences de taille (Essien, Stephen Appiah, John Mensah, Suley Ali Muntari etc). Aujourd’hui, on peut affirmer que ces défections ont servi la cause des Black Stars qui ont aligné une équipe qui avait la dalle.

Les jeunes joueurs de Rajevac ont profité de l’offrande pour se faire une place au soleil cinq mois avant l’Af-sud. Les stars ivoiriennes, camerounaises, ou nigérianes ont semblé, elles, repues. Peu concernées par l’événement. Pour ces derniers, la saison 2010 se jouera lors de la Coupe du Monde.

Voilà pourquoi, les dirigeants de la CAF ont émis l’idée qu’après 2012, les CAN pourraient se disputer les années impaires, et éviter la concurrence de la Coupe du Monde qui cette année aura assurément gâché l’épreuve.

Autre élément qui ressort de cette 27e Coupe d’Afrique : la mainmise des pays dont les joueurs ne sont pas éparpillés sur le continent européen. Avec l’Egypte en tête, qui peut se targuer d’un championnat national compétitif lui permettant de garder ses stars, ou la Zambie qui compte de nombreux joueurs évoluant en Afrique. Ces deux nations ont l’avantage sur les Européens du Nigeria, Cameroun, Mali, Côte d’Ivoire et Algérie. Les joueurs de ces formations sortent de deux mois glacials et doivent s’acclimater en un temps très court aux conditions.

Enfin, les attentes ne sont-elles pas finalement excessives ? L’Algérie, qui fait aujourd’hui figure de nation de tête du foot africain, n’a dans son équipe que des éléments au CV peu pimpant, issus de club de seconde zone en France, en Italie ou en Allemagne.  » Certes le jeu produit en Angola fut pauvre mais il ne faut pas faire une fixette là-dessus et voir tout en noir « , tempère Renard, le coach de la Zambie.  » En dix ans, le foot africain a changé c’est certain. Mais pour moi, il a progressé assez nettement. Ce n’est plus l’attaque à tout va, une succession de dribbles mais un jeu européanisé, voire mondialisé. « 

par thomas bricmont, à luanda

Les attentes sont peut-être excessives.

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