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Maurizio Sarri, le banquier devenu entraîneur

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

À l’ère des coaches qui ne sortent plus sans leur costard et leur tablette, un ancien banquier à lunettes armé d’un survêtement et d’un bloc-notes a installé au San Paolo l’un des plus beaux footballs du continent. Entrez dans le monde de Maurizio Sarri.

Le football ne quitte jamais vraiment la vie de Pep Guardiola. C’est comme si le temps libre du Catalan devait obligatoirement se meubler avec un ballon et vingt-deux hommes en mouvement. Pendant son séjour à la tête du Bayern, il se fascine ainsi pour le Red Bull Salzbourg de Roger Schmidt, auteur du pressing le plus merveilleusement suicidaire du continent.

Mais pendant l’automne 2014, Pep pose aussi ses yeux sur l’Italie, et tombe amoureux d’un club tout juste promu en Serie A. Nous sommes une vingtaine de kilomètres au sud de Florence, et la modernité de l’art toscan s’exprime mieux que partout ailleurs dans la chorégraphie footballistique de l’Empoli d’un certain Maurizio Sarri.

Quelques mois plus tôt, le football des Azzurri avait déjà tapé dans l’oeil avisé d’un autre entraîneur capital dans l’histoire du ballon rond. À force de se poser devant des matches de Serie B, en quête de jeunes talents italiens de plus en plus rares au sein d’une élite surpeuplée de joueurs étrangers, Arrigo Sacchi tombe amoureux du football de Sarri. Celui qui est alors directeur technique des équipes d’âge de la Nazionale ne rate jamais une occasion d’admirer le jeu parfaitement scénarisé des Toscans, qui lui rappelle inévitablement son Grande Milan.

« Guardiola et Sarri sont deux enfants de la même idée. Le football est une musique pour eux, une forme d’art. » (Arrigo Sacchi)

La comparaison est évoquée dès la montée en Serie A, et contamine les pages des journaux italiens quand le succès amène Sarri à Naples, puis quand Sarri amène Naples au succès. Sacchi adoube son héritier dans les colonnes de la Gazzetta, en le plaçant sur le même pied que Guardiola : « Ce sont deux enfants de la même idée. Le football est une musique pour eux, une forme d’art. »

Merckx, Ali, Sacchi

La première musique entendue par le jeune Sarri est pourtant celle, bien moins poétique, qui accompagne les courses cyclistes dominicales. Rapidement parti de Naples, sa ville natale, dans les bagages de parents appelés en Toscane par leur course à l’emploi, Maurizio voit son père Amerigo – ancien cycliste et grand ami de Gastone Nencini, vainqueur du Giro et du Tour de France – se fasciner pour les exploits d’Eddy Merckx. Entraîné par habitude familiale, le futur coach passe alors ses journées devant les prouesses du Cannibale et ses nuits devant celles de Cassius Clay. Sans jamais oublier le football.

Amoureux exclusif du Napoli, dans une région qui ne jure pourtant que par les géants du nord, Maurizio vit sa première expérience de coaching à quinze ans, quand il prend la relève d’un entraîneur absent suite à une dispute avec le club. Sarri fait l’équipe, distribue les consignes, et gratte la première victoire de sa longue carrière, qui l’amènera à s’installer sur les bancs de touche de toutes les divisions de la Botte à l’exception de la Terza Categoria, la plus basse.

Comme tout Italien de l’époque, sa vision du football est profondément bouleversée par l’irruption brutale d’Arrigo Sacchi dans le paysage du Calcio. Banquier le jour et entraîneur le soir, Sarri biberonne sa passion aux mouvements magistralement précis des Rijkaard, Gullit et van Basten.  » Si je suis entraîneur, c’est à Arrigo Sacchi que je le dois « , reconnaît-il d’ailleurs sans détour.  » C’est l’homme que nous avons tous étudié, celui qui a révolutionné le football. C’est grâce à lui que j’aime tant ce jeu.  »

De la banque au banc

Et l’amour fait parfois prendre des décisions folles. Confortablement installé dans son quotidien d’agent de change dans la prestigieuse banque Monte dei Paschi di Siena, Sarri décide de mettre sa carrière entre parenthèses pour transformer sa passion en métier. Maurizio place sa destinée entre les pieds des joueurs de Sansovino, modeste club d’une ville de 8.000 habitants, posé au milieu de la sixième division italienne.

Entièrement consacré à un sport qu’il décortique comme un maniaque, plus d’une dizaine d’heures par jour, Sarri emmène ses hommes jusqu’à la quatrième division, impressionnant son noyau par ses préparations de matches chirurgicales, et sa façon de ne rien laisser au hasard. Ses connaissances laissent toujours le vestiaire bouche bée. Même aujourd’hui, quand Dries Mertens raconte au Corriere dello Sport qu’avec Sarri sur le banc, il a l’impression de jouer à douze :  » On dirait qu’il a déjà joué le match dans sa tête.  »

La préparation minutieuse des matches est le domaine de prédilection du coach, qui en a même fait l’objet de sa thèse, présentée pour l’obtention de son diplôme d’entraîneur à Coverciano. Sarri traverse alors une période moins fructueuse, après cette ascension vertigineuse qui l’avait mené jusqu’à Pescara, pour une première pige sur un banc de Serie B. Pendant près de dix ans, rythmés par ses lectures de Mario Vargas Llosa et Charles Bukowski, il passe d’un club à l’autre en attendant le noyau qui lui permettra de faire le grand saut, car son football ne peut pas être pratiqué à la perfection avec n’importe quels joueurs. C’est l’Empoli de Mirko Valdifiori (joueur qu’il emmènera d’ailleurs à Naples) qui lui donnera finalement les clés de la Serie A, puis celles du San Paolo.

Mertens et les 80 points

Parce que tous les entraîneurs doivent être assortis d’une oeuvre de référence, Sarri s’installe au panthéon des bancs de touche modernes suite à la blessure d’Arkadiusz Milik, recruté pour pallier le départ de Gonzalo Higuain à la Juventus. L’Argentin avait bouclé la saison précédente avec 36 buts au compteur, effaçant des tablettes le mythique record de Gunnar Nordahl, encore plus ancien que le Giro remporté par Gastone Nencini.

Sarri invente alors Dries Mertens en attaquant de pointe, et mène le Napoli au-delà de la barre des 80 points. Insuffisant pour le titre, mais bien assez pour attirer les louanges du monde du ballon rond et même les excuses de Diego Maradona, critique de la première heure. On découvre alors l’histoire folle d’un homme qui, par superstition, recouvrait les chaussures colorées de ses joueurs avec un spray aussi noir que son inséparable veste de training. Un coach qui attache ses défenseurs et les filme avec un drone pour qu’ils s’alignent mieux, et qui invite ses joueurs à manger alors qu’il coache en Serie D, transformant les assiettes et les couverts en footballeurs sur une table devenue le terrain d’un cours de tactique.

Les comparaisons avec Sacchi se multiplient. Et Sarri s’offusque :  » C’est une insulte pour lui. Il a gagné des titres et a changé le monde du football avec sa philosophie de jeu. Si j’arrêtais maintenant, personne ne se souviendrait de moi parce que jusqu’ici, je n’ai rien gagné.  » Il ne manquerait donc que des titres pour couronner le Maestro. Naples, sevrée depuis la fin de l’ère Maradona, attend de pied ferme. D’ici là, c’est avec le sourire que les tifosi continuent à aller voir leur banquier.

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