Maudites ardoises

Le Brésilien a été une nouvelle fois été versé dans le noyau B de St-Trond.

L’histoire se déroule à Sao Luis de Maranhao. Nordeste du Brésil. Il y a une petite quinzaine d’années. Les joueurs du Sampaio sont opposés à une autre équipe de la région. Culte du Futebol oblige, même à ce niveau, les radios locales retransmettent en direct les rencontres. Le reporter commente le long de la ligne de touche. Le ballon sort. En faveur du Sampaio. Celui qui procède à la rentrée en touche se retourne brusquement et au lieu de remettre en jeu, propulse le cuir en plein visage du journaliste. Ensuite il enjambe la balustrade, histoire de terminer le travail.

Aujourd’hui, Isaias Magalahes da Silva rigole de cet incident en disant simplement : « J’étais fou. Ce bonhomme me critiquait sans arrêt. J’ai attendu mon heure ». Version certifiée par son ami d’enfance et équipier de l’époque, Rubenilson, également d’accord pour confirmer hilare : « Oui, il était complètement fou ».

L’imparfait est-il le temps adapté? Sa carrière se trouve jalonnée de tellement d’imprévus et de rebondissements…

Coté face, un joueur merveilleux. Capable du meilleur. Pied droit. Pied gauche. Pareille aisance. Redoutable botteur de phases arrêtées. Un meneur de jeu technique, rusé, fin. Autant à l’aise dans les combinaisons courtes que lorsqu’il distille de longues transversales. Intrinsèquement, si l’on excepte André Cruz, peut-être le meilleur Brésilien vu en Belgique.

Coté pile, un homme attachant. Bon comme le pain. Mais avec une sacrée tête de cochon. Résultat : parfois de mauvais choix, de mauvaises fréquentations et des paroles qui s’échappent et lui valent de cruels retours de service. Toujours est-il qu’expédier un talent pareil dans le noyau B, c’est comme jeter un diamant au fond d’une cave à charbon sous prétexte qu’il n’est pas poli!

Depuis peu, les plus folles rumeurs circulent à son sujet. Certains disent qu’il blanchit de l’argent pour le compte de la mafia. D’autres prétendent qu’il accuse des dettes de jeux jusqu’à 700.000 francs! Bref il est beaucoup question de finances autour de sa personne.

Isaias, et c’est tout à son honneur, n’élude pas la question : « Tout vient du président de St-Trond. J’ignore pourquoi il a parlé de cela. Je n’ai pas apprécié. La mafia, c’est quelque chose de dangereux. A 27 ans, j’ai encore quelques années afin de démontrer mon talent. Je n’ai aucunement besoin d’entrer dans une organisation criminelle pour survivre. C’est vrai que j’ai déploré des problèmes financiers. C’est personnel. Cela ne regarde personne. Et d’ailleurs, j’ai effacé mes ardoises. Mon tort a été de m’épancher auprès du président Schepers. Je croyais que notre discussion resterait confidentielle. La défaite contre Genk a provoqué la fuite. Il fallait trouver un responsable. Moi, en l’occurrence. On m’a tout mis sur le dos sous prétexte que je perdais la tête. Puisque le public m’adore, il s’avérait nécessaire de trouver un argument extra-sportif. L’entraîneur Willy Reynders a manifesté son désaccord. Je sais qu’il est intervenu auprès de la direction en faisant remarquer qu’au lieu de m’accabler, il valait mieux m’aider, le club ayant besoin de moi. Ce geste, je ne l’oublie pas ».

Concernant effectivement les soucis rencontrés, il reconnaît : « J’ai fais des conneries. C’est juste. Je devais quelques petites sommes par-ci, par-là. L’addition de celles-ci constituait une dette importante. Je tiens à préciser que cela ne concernait en rien le club. J’ai réparé. Quand on doit du fric, impossible d’avoir la conscience tranquille. Cependant, cela ne m’empêchait pas de dormir. Je suis ainsi. Assez philosophe ».

Pourtant, rien n’est simple. A une situation personnelle délicate s’ajoutent des soucis sportifs. Grâce notamment à Fernand, son père adoptif, il relativise. Quotidiennement, il est présent à St-Trond où il s’entraîne parfois individuellement avec le préparateur physique : « Je suis pro. Comme n’importe qui, j’ai besoin de travailler. Besoin de jouer. Faire plaisir aux supporters ».

C’est la seconde fois qu’Isaias effectue un stage de purification dans le noyau B. Willy Reynders l’y avait déjà expédié avant de le repêcher.

« Le problème était très différent », affirme Isaias. « Je lui ai un jour demandé pourquoi il me sortait tout le temps. J’ai dit ma façon de penser à savoir que je ne trouvais pas cela normal. J’ai commis une erreur : celle de m’exprimer devant tout le monde. Je n’aurais pas dû. Afin de montrer son autorité, il a fait un exemple en me sanctionnant. J’ai compris trop tard que mon geste était irraisonné ».

En grattant un peu, le sujet exposé soulève une question grave : est-il bien raisonnable d’amener des enfants brésiliens de 16 ans avant de les abandonner à eux-mêmes dans un milieu belge aussi rude que le football? Comment espérer qu’un gosse n’ayant jusque-là vécu qu’en short et en sandales, face à une mer vert émeraude, ne se laisse tenter par les routes chaotiques? Tout laisse heureusement à penser qu’Isaias a retenu la leçon. Désormais, il se tiendra à distance respectable des bingos.

« Je n’ai pas l’impression d’être particulièrement difficile à vivre. A Seraing, je n’avais que 17 ans. Mon comportement était celui d’un garnement quand je suis arrivé. Bouillant. Nerveux. Susceptible. Il ne fallait pas me regarder de travers sinon j’entrais droit dans la bagarre. Je me suis assagi pour ne connaître aucun conflit à Metz ou à Mouscron. Tout s’y est bien passé. En France, la chance m’a été donnée d’être dirigé part un Monsieur. Joël Muller en l’occurrence. J’ai aussi rencontré Rai. Un autre seigneur. Quant à Mouscron, franchement, je m’y serais bien installé. Je m’y plaisais. Tout le monde était sympa. Hugo Broos tenait à me conserver dans son équipe. Le problème est venu de Turquie. Ganziantepspor demandait 30 millions pour mon transfert définitif. Broos m’a expliqué qu’avec un tel pactole, il pouvait acquérir trois bons joueurs et former son nouveau groupe. Il m’a assuré qu’il était désolé. Je l’ai cru. Le plus idiot, c’est qu’après les choses s’arrangèrent… J’ai rejoint St-Trond ».

Il s’en faut d’un poil qu’il s’arrête en route. Le Standard court derrière lui. Si vite qu’il finit par le rattraper. Isaias signe un pré-contrat avec les Rouches. Durée de trois ans.

« Aujourd’hui encore, j’ignore pourquoi les transactions ne sont pas allées à terme. Pourquoi rien n’a été finalisé. Mon avocat, Maître Dupont pourrait peut-être répondre. Moi pas. Dommage car le Standard fait partie des trois grands clubs. Je me serais régalé derrière Goossens, Mornar ou Aarst. Idéal pour un passeur car de tels attaquants proposent toujours des solutions. Dommage car je ne veux pas baisser les bras. J’ai confiance et je me dis que je viens de manger mon pain noir. Le plus beau reste à venir. On sort plus fort d’épreuves pareilles. Ma seule crainte est d’être étiqueté joueur à emmerdes. Injuste de dire cela. Mon but est de donner le meilleur de moi-même, de faire sérieusement mon travail et de continuer à aider ma famille au Brésil. Il faut arrêter de porter des jugements uniquement en prêtant l’oreille aux rumeurs. N’importe qui peut venir me voir jouer. Me parler. Apprendre à me connaître. Découvrir qui je suis réellement. En somme, quelqu’un d’honnête qui ne regrette rien. Je ne renie ni mon passé, ni mes erreurs ».

Ce que dit Isaias n’est pas totalement juste. Il déplore amèrement son passage en Turquie. Ganziantepspor n’était d’abord pas un club pour lui. Ensuite, le Brésilien s’est trouvé confronté à un président qui se situait au-dessus des textes. C’est du moins ce qu’il laissait entendre.

« Incroyable. Un jour il m’appelle et me dit : – Isaias, j’ai décidé de ne pas te payer. Fais ce que tu veux. Préviens l’UEFA, ton avocat, qui tu as envie, je m’en fous. Ici, la loi, c’est moi. Je me trouvais devant lui et je ne savais quoi dire. Je devais partir car je commençais à avoir peur. Même au plan physique ».

Pour le reste, Isaias caresse un rêve. Le rêve final. L’aboutissement. L’apogée. « Finir ma carrière au Brésil! Dans un grand club. Sao Polo, Flamengo ou Palmeiras. Et ainsi prouver à mes parents, à ma famille, à mes amis, que j’ai réussi. Ce qui m’arrive en Europe, ils n’en savent rien. Alors, briller, même un an au niveau national brésilien, c’est mon plus vif souhait. Je crois que Rai pourra peut-être m’aider. Avant cela, je me concentre sur la fin de saison. St-Trond doit se sauver. Vous savez, j’aime ce club. Il compte énormément à mes yeux. Evidemment, si les Limbourgeois ne veulent plus de moi, je m’en irai. J’essayerai de leur démontrer qu’ils ont eu tort ». St-Trond, priez pour lui!

Daniel Renard

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