Maudit soit-il !

Depuis longtemps, on prétend que le maillot arc-en-ciel porte la poisse à celui qui l’endosse. Mais la chance tourne-t-elle également le dos aux champions de Belgique ? Récit d’après  » Le maillot tricolore  » paru en août 2008 aux Editions Lannoo.

Au Tour 2011, Philippe Gilbert embrasse son maillot tricolore avant de franchir la ligne d’arrivée du Mont des Alouettes. En 1985 et en 2008, Eric Vanderaerden et Stijn Devolder, qui portent ce maillot, s’adjugent le Tour des Flandres au terme de solos impressionnants. Champion de Belgique en 1983, Lucien Van Impe conquiert son sixième maillot à pois et termine quatrième du Tour. Freddy Maertens s’adjuge pas moins de huit étapes du Tour de France 1976 et est ensuite sacré champion du monde, comme Johan Museeuw en 1996. En 1970, Eddy Merckx remporte huit étapes du Tour et son deuxième maillot jaune. La saison suivante, il s’adjuge Paris-Nice, Milan-Sanremo, Liège-Bastogne-Liège, le Dauphiné et une douzaine d’autres compétitions.

Ces images sont imprimées dans la mémoire collective et donnent l’impression que le titre national n’a valu que des bonnes choses à ceux qui l’ont endossé. Celui qui se penche plus attentivement sur le palmarès du National découvre pourtant une vérité bien différente. Beaucoup de champions ont été poursuivis par les blessures, les affaires de dopage, les chutes, les maladies et d’autres tragédies la saison ou les années suivantes. Cela relève-t-il du hasard ? Sans doute. Existe-t-il une malédiction du maillot tricolore, comparable à celle qui accable les champions du monde ? Lisez le bilan des victimes et jugez vous-même.

Décès prématurés et morts mystérieuses

Stan Ockers, Tom Simpson, Jempi Monseré, Rudy Dhaenens. Lorsqu’on se plonge dans l’histoire du maillot arc-en-ciel et de sa sorcellerie, on retombe sur le nom de ces champions regrettés. Peu d’amateurs de cyclisme savent cependant que sept anciens champions de Belgique ont aussi perdu la vie de manière tragique. Paul Haghedooren, un modeste équipier de Lotto, est le plus connu d’entre eux. En 1985, il a remporté à Halanzy le sprint que le champion du monde en titre, Claude Criquielion, ne pouvait pas perdre. Un miracle, un exploit sans lendemain. Après une suspension injuste, à cause d’un taux trop élevé mais naturel de testostérone, le Flandrien roule dans l’anonymat du peloton jusqu’en 1984 puis rejoint les amateurs, pour quelques saisons. En 1997, pendant une kermesse à Heule, il perd connaissance et tombe de son vélo. Il se fait examiner par le Pr Pedro Brugada mais, quelques jours avant de recevoir les résultats, il s’effondre sur la plage de Knokke, en plein jogging. Les secours le transportent à l’AZ Sint-Jan de Bruges, où Haghedooren, âgé de 38 ans à peine, décède d’une crise cardiaque.

Valère Ollivier a deux ans de moins quand, en 1958, il décède du même mal, sept ans après son surprenant titre national à Hannut, devant Raymond Impanis. Ollivier s’érige ensuite en roi des kermesses mais une fracture de la jambe, encourue lors d’une chute au Tour du Maroc en 1955, anéantit sa carrière. Trois ans après sa retraite forcée, le destin le frappe, son c£ur cesse de battre. Ce n’est pas un hasard. En fait, il était de notoriété publique qu’Ollivier consommait des amphétamines, un phénomène alors très répandu.

Trois champions de Belgique d’avant-guerre décèdent d’une manière aussi dramatique. Omer Verschoore (42 ans), victorieux en 1912, meurt pendant l’exposition universelle de Paris en 1931, écrasé contre un mur par un tracteur. Quinze mois après son titre en 1932 et deux mois après sa quatrième place au Tour, le prometteur Georges Lemaire chute lourdement au championnat de Belgique interclubs. Agé de 28 ans à peine, il décède deux jours plus tard d’une fracture du crâne. Un coureur de sa génération, Louis Duerloo, semble avoir plus de chance : champion de Belgique en 1933, il s’adjuge également le Tour des Flandres mais une coriace inflammation du genou le contraint à mettre fin à sa carrière à 28 ans. Il profite de la vie pendant 39 ans encore mais en 1977, le destin le rattrape : il se noie pendant ses vacances à Mijas, en Espagne.

Emiel Van Cauter, champion de Belgique en 1955, décède aussi à l’étranger, en 1975. L’ancien champion du monde Amateurs n’a roulé que trois ans dans le peloton pro avant d’être cuit – est-ce le dopage ? Il dirige une affaire prospère de jeux de cafés. Il a 43 ans quand un voyage en Thaïlande lui est fatal. Sa mort est mystérieuse. Selon la police, il aurait été victime d’un cartel de la drogue.

Le pire malchanceux doit être Jos Boons. En 1967, il profite de la poisse d’ Eddy Merckx et de Rik Van Looy pour gagner le championnat de Belgique de Namur. Vingt ans après ce haut-fait isolé, le Campinois, ouvrier chez Tessenderlo Chimie, est gravement brûlé au visage, suite à l’explosion d’acide sulfurique. Boons subit 28 opérations et une longue revalidation. Il se rétablit mais le sort le poursuit : en décembre 2000, à l’âge de 57 ans, il percute un camion par mauvais temps et décède sur les lieux de l’accident. Ce jour-là, il avait congé mais il avait accepté de remplacer un collègue malade. Quelques mois plus tard, il devait prendre sa pension…

Les affres du dopage

Comme Valère Ollivier, Aloïs Van Steenkiste a cédé à la mode des amphétamines, au milieu du siècle passé. Il connaît son heure de gloire en 1953, lorsqu’il bat Stan Ockers, le grandissime favori, au championnat de Namur. Après l’arrivée, alors qu’on l’asperge d’eau froide, il est pris de vomissements et est en état de choc. Selon Van Steenkiste, c’est parce qu’il a utilisé un bidon au contenu bizarre. C’est un tournant dans la carrière du Flandrien de 25 ans : il est lâché dans toutes les courses suivantes, son titre ne lui rapporte plus un franc et en 1955, victime de problèmes rénaux et d’un déplacement vertébral, il abandonne le cyclisme.  » Je n’ai vu que le noir de mon maillot « , s’est-il plaint ensuite.

Champion de Belgique en 1978 à Vielsalm, Michel Pollentier voit également la vie en noir. Il porte le maillot à pois quand il fait coup double au terme de la 16e étape à l’Alpe d’Huez qu’il remporte avant d’enfiler le maillot jaune. Habillé comme un esquimau, il transpire abondamment en se présentant au contrôle antidopage. Les médecins découvrent la fraude. Les soigneurs ont fixé un fin tuyau sous son pénis. Il est relié à l’aisselle, où un préservatif rempli d’une urine pure fait usage de poire. La direction du Tour le renvoie chez lui illico.

La portée de cette affaire reste encore mystérieuse de nos jours. Fred De Bruyne, le directeur sportif de Flandria, et/ou Freddy Maertens, le leader et l’ami de Pollentier, ont-ils prévenu les contrôleurs ? Etait-ce un complot français ? Quoi qu’il en soit, le dopé acquiert le statut de héros en Flandre. 25.000 personnes l’acclament à La Panne, revêtu de son maillot tricolore.

Un autre dopé, Ludo Dierckxsens, reçoit un accueil tout aussi chaleureux en 1999, au critérium d’après-Tour à Alost. L’éternel attaquant s’est imposé au championnat de Belgique de Grammont et a gagné l’étape de Saint-Etienne. Pourtant, il tombe de son piédestal quand, dans l’euphorie du moment, il reconnaît avoir pris du Synacthen, une substance interdite, au Tour d’Allemagne.  » Pour soigner une blessure au genou « , prétend Dierckxsens.

A la mi-août, la Ligue vélocipédique suspend le coureur Lampre pour neuf mois. Quand il renoue avec la compétition, au Giro 2000, il n’est que frustration :  » Si je m’étais tu, rien de tout cela ne serait arrivé. Je n’ai vraiment pas profité de mon maillot tricolore « , soupire Sterke Ludo, qui conserve sa popularité malgré sa suspension.

Les Tours maudits

La vague d’enthousiasme sur laquelle maints champions de Belgique surfent au Tour de France s’estompe rapidement dans le cas de Pollentier et de Dierckxsens mais aussi d’autres coureurs. Les exemples de poisse sont légion. Retenez votre souffle…

En 1963, un an après avoir terminé deuxième derrière Jacques Anquetil, Jef Planckaert est contraint à l’abandon dans les Pyrénées : deux jours plus tôt, il a chuté et s’est blessé à la jambe. En 1969, le néo pro Roger De Vlaeminck jette l’éponge dans la dixième étape à cause d’une blessure à l’épaule qu’il s’est occasionnée dans la légendaire étape de Merckx au Ballon d’Alsace. Quatre ans plus tard, Frans Verbeeck ne se rétablit pas d’une entorse au poignet qui date de la Vuelta. Malgré sa victoire dans le contre-la-montre par équipes, il est contraint à l’abandon. En 1979, Gery Verlinden abandonne dans l’Alpe d’Huez. Trois ans plus tard, Frank Hoste, qui a remporté une première étape du Tour à Châteaulin, est contraint à l’abandon par une diarrhée tenace. En 1986, Marc Sergeant souffre d’une tendinite au creux du genou et doit rentrer chez lui, la mort dans l’âme. En 2005, après dix étapes, Ludovic Capelle est complètement épuisé. Il y a encore Serge Baguet, que Davitamon-Lotto empêche de participer au Tour 2005 et qui rejoint son concurrent, Quick-Step, la saison suivante.

Même le grand Rik Van Looy ne conserve pas les meilleurs souvenirs du Tour qu’il roule avec son deuxième maillot tricolore. En 1964 (le championnat précédant s’était déroulé après la Grande Boucle), le Campinois chute dans la première étape à trois kilomètres de l’arrivée. Il franchit la ligne quatre minutes après le vainqueur, son coéquipier Ward Sels. Il souffre d’une commotion cérébrale. Le lendemain, il se traîne jusqu’à l’arrivée mais la nuit, quand il doit une fois de plus se relever pour vomir, il décide de ne plus courir. Or, cette étape arrive à Forest et c’était l’occasion rêvée de laver l’humiliation de Renaix : la saison précédente, trois semaines après son titre belge, l’Empereur de Herentals avait en effet perdu le Mondial au profit de Benoni Beheyt. Ce douloureux revers avait eu l’effet d’un séisme en Belgique.

La terrible humiliation de Tom Bidon

Tom Steels subit une terrible humiliation lors de son tout premier Tour, en 1997. Une semaine plus tôt, le sprinter a fait impression sur l’ardu parcours de Beersel, fonçant en solitaire vers le titre. Dans l’Hexagone, il se retient lors des sprints massifs engagés et sombre dans la frustration. Au Puy du Fou, à peine la ligne passée, il envoie son vélo valdinguer à dix mètres de là. Deux jours plus tard, le coureur, pourtant d’un naturel poli et affable, explose. Dans les ultimes mètres de la sixième journée, l’étape de Le Blanc-Marennes, le Waeslandien jette un bidon en direction de Frédéric Moncassin, qu’il soupçonne – injustement comme on le découvrira ensuite – d’un sprint non sportif.

Heureusement pour Steels, personne ne tombe mais le jury l’exclut du Tour.  » Je n’ai jamais vu ça dans aucune autre course, tout le monde est fou « , déclare le coureur Mapei, qui poursuit sa carrière affublé du surnom de Tom Bidon.

Un an plus tard, un nouveau maillot tricolore lui porte quand même chance. C’est le fameux Tour de merde 1998 et Steels s’en adjuge quatre étapes. En 2002, après un nouveau sacre national, il est bien décidé à rééditer cette série mais le Flandrien, qui a souffert de la mononucléose, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est le premier coureur à abandonner, après six étapes.

En 1995, Wilfried Nelissen a aussi capitulé dès la première semaine du Tour. Après une chute dans le prologue, les collines bretonnes sont trop pénibles pour le sprinter. Une seconde chute dans l’étape du Havre contraint le double champion de Belgique à l’abandon le lendemain. C’est de la petite bière en comparaison de la poisse qu’il a déjà connue et qui l’attend encore. De nos jours encore, on frissonne en observant les images du Limbourgeois revêtu de tricolore dans la première étape du Tour 1994, vers Armentières, qui percute un agent de police en train de prendre des photos. Cette chute occasionne de graves blessures au visage à Nelissen et à Laurent Jalabert. Pourtant, les dégâts sont minimes par rapport aux suites d’un autre crash, deux jours plus tard à Gand-Wevelgem. A quelques kilomètres de l’arrivée, Nelissen s’écrase contre un poteau, à Lovendegem. Ses blessures sont terribles : double fracture ouverte tibia-péroné, multiples fractures de la rotule. Il n’a que 28 ans mais sa carrière est achevée.

Vous l’avez compris, il n’est pas le seul champion de Belgique à avoir connu ce funeste sort. Fin septembre 1948, un motard ivre percute Achille Buysse durant une kermesse à Sleidinge, trois mois après le sacre national du triple vainqueur du Tour des Flandres. Buysse souffre d’une fracture du crâne et de plusieurs autres blessures qui le contraignent à raccrocher son vélo de course en 1950, à l’âge de 31 ans.

Cette même saison, à Westerlo, Albert Ramon remporte une de ses plus belles victoires. Il rafle le maillot tricolore à Briek Schotte. Las, quinze mois plus tard, le Brugeois de 30 ans est contraint à la retraite anticipée : pendant une kermesse à Waarschoot, une voiture le renverse. Il est inconscient et les médecins ne lui octroient même pas une chance de survie, lors du premier examen. Il se rétablit miraculeusement de ses graves blessures à la tête mais une vertèbre fracturée paralyse ses membres inférieurs. Malgré 17 interventions chirurgicales et la visite de Fausto Coppi, qui lui offre une chaîne bénie par le pape, le Flandrien restera cloué à une chaise roulante jusqu’à la fin de ses jours, en 1993.

Un seul jour de gloire

La malédiction (ou le hasard) a-t-elle fait d’autres victimes encore ? Oui car dans les années 80 et 90, Wilfried Nelissen n’est pas le seul champion de Belgique qui doit mettre un terme inattendu à sa carrière. Ferdi Van den Haute en est l’exemple le plus étonnant. En 1987, à 35 ans, il couronne joliment sa carrière en remportant la médaille d’or au championnat de Sint-Katelijne-Waver mais en fin de saison, il préfère raccrocher. Il est las de cette vie de moine et Lotto ne parvient pas à le faire changer d’avis, même pas en lui octroyant une plantureuse augmentation.

En 1995, Alain Van den Bossche n’a que 29 ans mais il fait aussi ses adieux aux Elites, deux ans à peine après avoir remporté à la surprise générale le championnat de Belgique sur le terrible parcours de Halanzy. Ce maillot coûte cher au coureur de TVM : on raconte que son compagnon d’échappée, Guy Nulens, a touché un demi-million de francs belges, soit 12.500 euros. Naturellement, la malchance le poursuit : une fissure au coude, une commotion cérébrale et quelques vertèbres dorsales déplacées, une fracture du bras droit, le tout en trois chutes. En fin de saison, Van den Bossche est persona non grata chez TVM. En 1995, il continue à être accablé par tous les maux chez Novell. Il n’a que 29 ans mais il est déjà à l’automne de sa carrière. Trois ans plus tard, lors du Tour 98, Van den Bossche fait une dernière fois la une des quotidiens, quand il avoue au Het Volk qu’il a consommé de l’EPO sous le maillot de TVM. Le lendemain, il retire ses propos :  » J’ai parfois pris des produits interdits mais pas de l’EPO.  » Sa déclaration accroît les soupçons : le Flandrien n’a pas atteint le sommet de sa carrière en consommant de l’eau.

Benjamin Van Itterbeeck a également connu un seul jour de gloire, à Renaix, en 1991. Si le citoyen de Balen a été l’égal d’ Edwig Van Hooydonck en catégories d’âge, jamais il n’a pu confirmer ses performances chez les pros. A l’exception de ce championnat de Belgique. Sa victoire vaut au coureur Histor un superbe transfert chez GB-MG mais il rentre dans le rang après son unique haut-fait, du moins chez les pros car en trois saisons parmi les Amateurs, de 1996 à 1998, Van Itterbeeck s’adjuge pas moins de 148 épreuves.

Il fait trembler le monde du cyclisme sur ses fondations en 1999, quand il confie au magazine Humo avoir eu recours aux amphétamines et à l’EPO durant sa carrière, ajoutant que la moitié du peloton a fait de même. Le Brabançon tente encore sa chance en kick-boxing et en duathlon, sans plus jamais revivre un jour de gloire similaire à celui de Renaix. Van den Bossche et Van Itterbeeck peuvent sans doute se réjouir que leur poisse se soit limitée à des adieux prématurés et anonymes à la fin de leur carrière car la malédiction a parfois frappé plus impitoyablement : rappelez-vous le destin de Haghedooren, de Van Cauter, de Boons, de Ramon ou de Nelissen. A moins qu’il ne faille incriminer que le hasard ?

PAR JONAS CRETEUR

Malgré 17 opérations, la visite de Coppi et une chaîne bénie par le pape, Albert Ramon reste paralysé.

 » Je n’ai vu que le noir de mon maillot tricolore. « 

(Aloïs Van Steenkiste, champion de Belgique 1953)

Sept anciens champions de Belgique ont perdu la vie de manière tragique.

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