MATCHES DE KERMESSE

Avant le début des choses sérieuses, les grands clubs de D1 viennent présenter leurs nouveaux joueurs et équipements dans les plus petits villages. Petit tour dans le sillage de Gand, le Standard et Bruges.

On se croirait en campagne électorale, lorsque les politiciens distribuent des photos signées sur le marché ou au tournoi de pétanque du coin. Avant le championnat, les grands clubs vont marchander leur valeur dans des quartiers, voire des villages, dans le but de séduire de nouveaux supporters. Tandis que les politiciens promettent des réductions d’impôts, les footballeurs tentent de convaincre par des coups du foulard. Sport/Foot Magazine a accompagné les grands clubs dans la poussière des terrains de province. Vu la chaleur, on aurait pu se croire à Majorque mais il suffisait d’entendre les réflexions au bord des terrains pour se rendre compte que ce n’était pas le cas.

30 juin KFC Merelbeke – Gand 3-7

 » Au Rode Haan, prenez à gauche « , nous dit l’agent.  » Soyez attentif car l’entrée est masquée.  » Le Rode Haan doit être un café. De l’autre côté de la route, une petite plaque jaune et bleu indique : KFC Merelbeke. Elle nous emmène dans une ruelle bordée de jardins, le genre d’endroit où les gamins à mobylette embrassent leur petite amie, fument leur première cigarette ou jettent des boules de neige contre les volets des riverains. Et au milieu, une petite porte qui donne sur un terrain vert.

 » La presse, Linda, attention s’il te plaît, la presse. Laisse passer ! Allez-y, je vous en prie.  » L’accueil est chaleureux et le temps n’y est pour rien.  » Bonne soirée, monsieur. C’est un grand match : Merelbeke – Gand, c’est historique. Si vous avez besoin d’un renseignement, n’hésitez pas à demander aux dirigeants. Merci beaucoup.  »

L’agent avait raison : l’entrée était masquée. Le stade de Merelbeke ressemble à tout, sauf à un stade. Situé en plein quartier résidentiel, le terrain est entouré de potagers, de grillages et de géraniums. Les voisins sont obligés d’avoir du double vitrage car il n’est pas rare que le ballon heurte les fenêtres. Mais ils peuvent voir les matches de leur chambre à coucher. Ici, pas besoin de ticket pour aller chercher une bière et les chips sont dans l’armoire.

Gros lot

Le mur coloré de l’entrée à peine franchi, on est déjà au point de corner. Les toilettes, qui ne datent pas d’hier, sont plus près encore. Pour y entrer, on pousse une porte à deux battants, comme celle des saloons. Quelques messieurs sont alignés sur moins d’un mètre. Sur le terrain, les joueurs sentent l’odeur de bière chaude, de choucroute et de hamburger.

 » Deux euros par ticket, trois pour cinq euros.  » Une femme qui porte une boîte de bonbons crie plus fort que tout le monde. Elle vend des billets de tombola.  » Avec de beaux lots, de très beaux lots « . Au milieu de la deuxième mi-temps, elle fera le tour du terrain en tenant un panneau sur lequel figureront deux chiffres et deux couleurs. On se croirait à la boxe.

A Merelbeke, on ne perd pas le nord. Pour arriver à la tribune assise, il faut traverser la buvette qui ressemble à une véranda, tellement il y fait chaud. Les fenêtres sont immenses, il ne manque que les fauteuils en roseau.

Le centre de la tribune assise est exclusivement réservé aux VIP. La seule différence avec les autres sièges est qu’il est entouré d’un ruban rouge et blanc. C’est un grand jour pour tout le monde, y compris pour les sponsors. Le coiffeur Rudy voit son investissement récompensé. Il va pouvoir assister au match face au champion, pour qui Merelbeke a déroulé le tapis rouge.

Collaborateur

A côté de la tribune principale, un homme porte une étiquette sur laquelle on peut lire COLLABORATEUR. Vu ses yeux, on se dit que la venue de Gand n’est pas de tout repos.  » Ah monsieur, c’est à devenir fou. Les Gantois nous ont fait fixer toutes les pierres parce qu’il semble que les supporters en colère pourraient les jeter. Nous avons donc recouvert le gravier d’une bâche noire, tout autour du terrain. Un fameux boulot. Et tout ça au nom de la sécurité.  » Et il nous gratifie d’un clin d’oeil avant d’ajouter avec un humour typiquement gantois :  » C’est beau, le noir.  »

On sent qu’Eddy est un bon vivant. Avant, il était dirigeant.  » Ici, je connais tout le monde.  » Il regarde l’échauffement des Gantois.  » C’est quand même spécial de voir les champions de Belgique à Merelbeke. Et attention, hein, ils n’ont pas encore gagné. Je veux voir ça !  »

Preuve qu’il fait chaud : ses lunettes glissent sans cesse de son nez. Il regarde autour de lui. On dirait que le stade aspire les gens. Il y a du bleu et du blanc partout. Les enfants sont maquillés en Buffalos. Un gamin crie :  » Regarde, maman : Gunther Schepens !  » Réponse de la mère :  » Il a bien grossi aussi, celui-là.  »

Eddy rigole. Il prétend connaître le plan de sécurité spécialement adopté pour ce match.  » A certains endroits du stade, on a fait des trous dans le béton afin de pouvoir évacuer rapidement les gens en cas de problème. Et l’histoire des pierres, c’est vrai. Derrière un des buts, on a aménagé un bar réservé au noyau dur, afin que ces gars-là restent ensemble. On attend quelques spécimens.  »

En faisant le tour du stade, notre attention est attirée par une feuille de papier accrochée au grillage.  » Supporterskern AA Gent « . Ce jour-là, le noyau dur est avant tout composé de femmes, d’enfants et de ballons bleus. Ça craint !

Bâche noire

Pour les tickets, il faut s’adresser à Francine, à la table derrière le but. Disons que le football, elle s’en fiche un peu. Pendant l’échauffement, elle lit un livre consacré à un officier de marine hollandais qui, durant la Deuxième Guerre mondiale, fut aussi résistant. A Merelbeke, on ne se bat pas, sauf pour l’honneur et les abonnements. On se croirait plutôt à un barbecue : merci à tous d’être venus.

Alors que les derniers Buffalos cherchent une place à l’ombre tellement il fait chaud -30 degrés à l’heure du coup d’envoi, les Gantois bombardent Matz Sels. Un ballon file loin au-dessus. Bernd Thijs, un des deux adjoints de Vanhaezebrouck, voit Francky Vandendriessche, l’entraineur des gardiens, se faufiler entre les orties, les mûres et les plaques d’amiante pour aller le rechercher.

 » Et alors, Francky ?  »

 » Je ne l’ai pas trouvé, il est sûrement chez les voisins.  »

 » Monsieur, vous n’auriez pas vu le ballon ?  »

Les deux hommes s’adressent à Ferdinand, le type planté à l’endroit par lequel le noyau dur est supposé entré.  » Quelqu’un peut-il sonner chez les voisins ?  »

 » Euh, non, je ne peux pas quitter mon poste. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Non, vraiment pas. Désolé.  »

Pas de risque.

Finalement, Gand l’emporte 3-7 et personne n’a jeté de pierre. Les communicants ont bien fait leur boulot, les autographes sont signés, la recette est là et Eddy est content.  » J’ai entendu dire que La Gantoise reviendrait l’an prochain. C’est bien pour Merelbeke, non ? On n’a qu’à laisser la bâche noire.  »

1er juillet, RFC Tilleur – Standard de Liège 0-8

Pour faire du clientélisme, il faut une stratégie. C’est pourquoi Gand est allé jouer à Merelbeke et le Standard plus près de chez lui encore. Le stade de Buraufosse se trouve tout au plus à un kilomètre de Sclessin. C’est là, sur la commune de Saint-Nicolas, à l’ouest de Liège, que joue le RFC Tilleur. Pour y accéder, ça grimpe. On peut notamment prendre la rue Bordelais, appelée Côte de Saint-Nicolas à Liège-Bastogne-Liège.

A Buraufosse, on tente de réconcilier les gens avec la nature. La tribune debout derrière un des buts est adossée à un terril. Non couverte, elle est délimitée par des arbres et des buissons. Le côté nord reflète bien le riche passé de Liège mais il n’est plus que vestige d’un passé où les supporters avaient les mains noires. La nature a repris ses droits. L’eau a abîmé les fondations et, imperceptiblement, la tribune s’affaisse. L’histoire sombre dans un trou noir.

Bienvenue dans le chaudron de la sorcière. Ici, vous entrez dans la légende de Buraufosse. Une légende dont il ne reste pas grand-chose. Ces dernières années, entre fusions, montées, descentes et espoir de jours meilleurs, on a surtout craint qu’on ne joue plus au football à Tilleur.

Lointains cousins

 » Le Standard, ce n’est pas un rival « , dit Gerlando Manzone, qui porte le nom d’un célèbre attaquant brésilien. Ex-patron du café Kamikaze, il connaît bien les supporters tilleuriens et l’histoire du club. Il s’affaire dans la zone VIP près de l’entrée. Celle-ci est protégée par des bâches noires mais toute personne qui a un peu d’importance reçoit un verre de cava.

 » De nombreux supporters de Tilleur vont aussi à Sclessin. Nous ne sommes pas concurrents : la différence de niveau est bien trop importante. On peut dire que nous sommes de lointains cousins.  »

Le coup d’envoi est donné par Christian Piot, ça s’agite un peu autour de Santini, Legear et Van Damme mais Tilleur – Standard donne avant tout l’impression d’une fête planifiée trop tard. Comme si on organisait un festival de musique en octobre. C’est un peu inutile. Le Standard n’a plus rien à faire à Tilleur, club qui a plus de passé que d’avenir (il a même terminé quatrième en D1).

 » On a battu Anderlecht ici, hein « , dit Gerlando. Mais cette fois, Tilleur ne peut même pas faire semblant. Sans charbon, le feu meurt. Pendant l’échauffement, le speaker fait pourtant tout ce qu’il peut pour mettre de l’ambiance : Est-ce que vous êtes prêêêêêts ?

A l’entrée principale, une seule buvette : une roulotte à hamburgers dont les plaques de cuisson ont été remplacées par des pompes à bière. Les gens ont chaud et veulent de la bière fraîche. Ils sont surtout visiteurs car les supporters de Tilleur sont peu nombreux.

Avant le coup d’envoi, on comprend (encore mieux) que ce match sert surtout à soigner les relations. S’il avait eu lieu un mois plus tôt, Roland Duchâtelet aurait été l’invité d’honneur. Désormais, il est remplacé par Bruno Venanzi, un Liégeois, un homme d’affaires  » qui sait où il va.  » Et ce qui est nouveau est toujours mieux, ça se voit à l’attention accordée à Venanzi dans la zone VIP, loin des regards des supporters.

Vive Venanzi

Comme par hasard, Gaëtan Dell’Aera, le président de Tilleur, est tout le temps dans ses parages.  » Oui, oui, ils se connaissent « , dit Gerlando.  » Dell’Aera exploite un restaurant à Liège. Il connaît beaucoup de monde.  » Plutôt costaud, les cheveux gominés, le président tilleurien ne semble pas habitué aux réceptions mondaines. Sneakers blancs, il fume comme une cheminée et sait se faire remarquer.

Le bourgmestre, Jacques Heleven (PS), serre les bonnes mains au bon moment.  » J’ai joué ici « , dit-il.  » J’étais arrière droit. Il est vrai que la belle époque est révolue mais tout le monde ne peut pas être aussi fort que le Standard.  » Puis, malin, il ajoute :  » C’est bien que Monsieur Venanzi soit là. Nous entretenons de meilleurs contacts avec lui qu’avec Duchâtelet.  »

Et le Standard ne fait qu’une bouchée de Tilleur (0-8). Le public oublie que la bière est un adversaire plus redoutable que Tilleur et qu’alcool et chaleur font rarement bon ménage. Mais les saucisses sont bonnes et ce match a renforcé les relations entre les deux clubs. Les sorcières du chaudron ont juste été remplacées par des fantômes.

26 juin, KFC Heist Club Bruges 0-10

 » Il n’y plus de saucisses, over.  »

 » Bien reçu, over.  »

On a aussi commandé plus de petits pains que de saucisses. La venue du Club Bruges au stade De Taye a pourtant été précédée de nombreuses réunions. Quand on fera le debriefing, il ne faudra pas oublier de dire qu’on a commandé plus de petits pains que de saucisses.  » Vous ne pourriez pas me faire un petit pain avec un peu d’oignons et de ketchup mais sans saucisse, à moitié prix ? « , demande un fan.

Le match Heist – Club Bruges ne sert pas qu’à attirer la foule mais aussi à se faire plaisir. Ceux qui n’ont pas suffisamment d’argent pour prendre un abonnement au stade Jan Breydel peuvent voir les stars à prix d’ami à la côte. Il y a bien plus de Bleu et Noir que de Vert et Blanc. Beaucoup sont venus à vélo, c’est une petite invasion.

On vend des écharpes et des maillots du Club tandis qu’un but gonflable fait le bonheur des plus petits. No Sweat, No Glory. Ce match ressemble à un entraînement ouvert au public mais celui-ci répond présent, signe que les supporters du Club Bruges n’ont pas (encore) abandonné l’espoir.

Chaque année, leur club prend des coups sur la tête. Chaque année, il lutte pour le titre mais finit par voir celui-ci lui échapper. Certes, il a gagné la coupe. Mais rien ne vaut le championnat.

Et pourtant, l’espoir est là. Comme dans chaque club sans doute mais à Bruges plus qu’ailleurs. Même s’il engendre parfois un certain cynisme. Et puis, les gens se posent des questions. De Sutter va-t-il rester ? Cools est-il bon ? Et l’Israélien ? Les maillots sont-ils beaux ?  » Ces fines lignes me plaisent. Si on n’est pas champion cette année, ce ne sera pas à cause du maillot « , dit un supporter.

Pas de photo

A Heist, Guy Deceuninck, du service des sports de la commune, parle de  » match à risques « . Il se promène avec un walkie-talkie.  » Ce match est le plus grand événement sportif de l’année sur ce terrain. Je ne sais pas pourquoi, cette année, le club joue contre Heist et plus contre Knokke. Je sais juste que les dirigeants sont amis. Et les supporters sont contents de retrouver leur équipe.  »

A Heist, il y a plus de vert sur le terrain qu’autour de celui-ci. Le Club s’impose 0-10 sans briller et on ne peut pas dire que ce soit la grosse ambiance. Sauf quand un train passe en klaxonnant. Parmi les spectateurs, on trouve aussi deux mouettes. Et personne dans l’espace VIP où traînent quelques chaises, des gobelets en plastique et des chips. Le chapiteau est trop loin du terrain, il y fait chaud et on ne sait que c’est un espace VIP que parce que c’est écrit dessus.

En fin de deuxième mi-temps, le vent se lève. De nombreux supporters font la file pour avoir une bière ou une saucisse mais celles-ci ont toutes été vendues. Diaby marque dans l’indifférence générale. Au coup de sifflet final, des parents poussent leurs enfants à aller chercher un autographe de De Sutter ou de Simons.

Allez, dépêche-toi ! Puis, quand il revient : Quoi ? Pas de photo ? Et pourquoi ? Le père est plus déçu que le gamin. Mais bon, celui-ci a son maillot, l’enfant est maquillé et le ventre du père est bien rempli. Allez, y a du vent, on rentre à la maison.

Le Club sera champion, c’est sûr.

PAR MATTHIAS DECLERCQ – PHOTOS : BELGAIMAGE/ KETELS

 » Bienvenue à notre grand match, monsieur : Merelbeke – Gand, c’est historique.  »

L’eau a abîmé les fondations de Buraufosse et, imperceptiblement, la tribune s’affaisse.

 » Vous pourriez me faire un petit pain avec du ketchup et des oignons mais sans saucisse pour la moitié du prix ?  »

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