MASSIFS BAVAROIS

Le Bayern apparaît bien seul sur la planète du foot allemand: le championnat est plié avant même la fin du premier tour et le budget du club dépasse le demi-milliard d’euros. Le gouffre abyssal qui le sépare de ses rivaux a de fortes chances de s’agrandir encore à l’avenir.

Il y a deux semaines et demie, le Bayern s’est imposé 0-1 au Hertha BSC. Arjen Robben a croisé la presse dans les catacombes du stade olympique de Berlin. Le Néerlandais a donné l’impression de s’excuser.  » Il peut arriver qu’on ne gagne que 1-0. On ne peut pas toujours être en super forme « , a-t-il déclaré. En cette froide journée, Robben avait inscrit l’unique but de la partie. Avant le repos, le Bayern avait gaspillé une douzaine d’occasions et ensuite, le Hertha BSC avait donné l’impression fugitive de pouvoir revenir. D’autant que quelques jours plus tôt, le Bayern s’était incliné en Champions League, sur le terrain de Manchester City. Mais deux revers en l’espace de quatre jours, c’eût été impensable pour un club de ce statut.

Le soir du match à Berlin, le Bayern a tenu son assemblée générale annuelle. Ceux qui y ont assisté ont pu demander pourquoi le club se produisait encore en Bundesliga. Elle est devenue bien trop étriquée pour le géant du football, qui ne cesse de s’étendre. Ce vendredi soir, le Bayern a fêté son statut de plus grand club sportif du monde : avec 251.315 membres, il dépasse Benfica (235.000) et Barcelone (177.000). Non sans un certain cynisme, le président Karl Hopfner a lâché que  » ces clubs peuvent quand même être satisfaits de leur deuxième ou troisième place.  » Ce professionnalisme teinté d’arrogance sied au Bayern, qui a gagné la sympathie de beaucoup de gens grâce au caractère familial qu’il continue à entretenir, sans toutefois se défaire de son sentiment de supériorité typiquement bavarois.

Des chiffres-records

Il fallait encore annoncer la grande nouvelle. Jean-Christian Dreesen, le responsable financier du Bayern, est monté sur le podium pour exposer des chiffres impressionnants : le Bayern a atteint un budget-record de 528,7 millions, soit une augmentation de 22 % en l’espace d’un an. Il possède en outre un capital de 405 millions, a réalisé un bénéfice net de 16,5 millions après déduction des impôts et a remboursé l’emprunt consenti pour la construction de son stade avec seize ans d’avance. Or, l’arène, inaugurée en 2005, a coûté 340 millions, même si Allianz, qui a donné son nom au stade, a pris 90 millions à son compte. Le géant des assurances s’est lié au Bayern jusqu’en… 2041. Comme Allianz a récemment acquis 8,33 % d’actions en plus, il a libéré 110 millions, qui sont consacrés au développement du club.

La capacité du stade va passer de 71.000 à 75.000 places après le Nouvel-An. Ces sièges seront certainement écoulés à chaque match de championnat puisque le Bayern joue ses matches dans un stade comble depuis 2005. Puisqu’il a remboursé son emprunt hypothécaire, il bénéficie de rentrées inattendues de 20 à 30 millions supplémentaires par an. La direction du club a donc réservé d’excellentes nouvelles à l’assemblée générale. En fait, il n’y a pas eu de fin aux bonnes nouvelles. Karl-Heinz Rummenigge, le président du conseil d’administration, a expliqué, empreint d’une assurance frôlant l’arrogance, que le club, qui a écoulé 1,3 million de maillots, faisait mieux que les 17 autres clubs de Bundesliga réunis. Et d’ajouter, sans la moindre once de modestie, que puisque sept joueurs du Bayern figuraient dans l’équipe nationale l’été passé, le titre remporté au Brésil revenait en fait à la capitale bavaroise.

Mondial et mondialisation

 » Au fond, on peut dire que le Bayern a une fois de plus été sacré champion du monde « , a conclu Rummenigge, qui a encore rappelé que 14 footballeurs du club avaient participé à cette Coupe du Monde, sous les applaudissements nourris du public. C’est clair : Munich est l’épicentre du football international.

Le Bayern vit dans son propre univers, dont il repousse sans cesse les limites. Avant la trêve hivernale, le club a encore des matches prévus contre le SC Fribourg et le FSV Mainz 05, mais le club, champion d’Allemagne à 24 reprises, a largement dépassé ce niveau. Ses véritables adversaires se produisent à Madrid, à Barcelone, à Manchester et à Londres, au sein de l’élite mondiale. Les énormes frais de personnel du Bayern, qui s’élèvent à 215 millions par an, noyau, staff et employés compris, suffiraient largement à contrôler les autres clubs de Bundesliga. Comment parler de concurrents dans ces conditions ?

Le Bayern est devenu le club le plus riche du monde et il veut conserver son statut de puissance économique, notamment en misant sur la mondialisation. L’été dernier, il a ouvert un bureau à New York via une filiale. Le Bayern a effectué une brève tournée de promotion aux States à cette occasion. Le club a mis à profit son déplacement au Hertha BSC pour inaugurer un nouveau fanshop dans la capitale. Le club essaie de se profiler sur la carte mondiale de toutes les manières. L’année dernière, il a reçu 53 journalistes issus de 53 nations pour leur permettre de faire plus ample connaissance avec le club. Cette opération de relations publiques fait partie de sa stratégie de marketing. Il n’a lésiné ni sur les frais ni sur les efforts pour informer et divertir le groupe et lui faire découvrir son âme. Il a l’intention de rééditer bientôt cette initiative.

Portes ouvertes

Elle reflète parfaitement la gestion médiatique du Bayern : il ne dispense quasiment jamais d’entraînements en huis-clos, estimant que les journalistes doivent savoir ce qui se passe. Tous les jours, il place six footballeurs à leur disposition pour des interviews. Le Bayern est un club aux portes et fenêtres ouvertes, tout en conservant soigneusement la clef.

L’écrasante domination du Bayern suscite l’envie en Allemagne mais selon Karl-Heinz Rummenige, cette jalousie est le plus grand signe de respect. Malgré tous les records qu’il pulvérise, le club reste d’ailleurs les pieds sur terre. Le Bayern ne recrutera jamais de footballeurs à 80 ou 100 millions car il faut alors leur offrir au moins dix millions nets par an, ce qui constituerait une charge trop lourde pour le poste salarial, qu’il ne veut pas voir déraper. Pour employer ses mots, il faut conserver une certaine hygiène. Rummenigge veut que le Bayern connaisse le succès sans consentir de folies et qu’il conserve son sérieux financier en toutes circonstances. Donc, les ténors étrangers ne figurent pas sur sa liste de transferts.

C’est une des raisons pour lesquelles le Bayern préfère recruter ses talents en Bundesliga. Cela lui permet en outre d’affaiblir ses concurrents, créant ainsi un championnat à deux vitesses. Les transferts de Mario Götze et de Robert Lewandowski du Borussia Dortmund ont attisé la polémique mais Rummenigge juge que le Bayern a plutôt rendu service à la Bundesliga en réalisant ces deux acquisitions : cela accroît l’intérêt du championnat car sinon, les deux joueurs auraient émigré.

Gazon adapté

Il n’empêche : le Bayern creuse le gouffre qui le sépare des autres clubs de Bundesliga. Le Borussia Dortmund, numéro deux, a un budget de 260,7 millions, même pas la moitié de celui du Bayern. Sans parler du capital joueurs : il est estimé à 570 millions, malgré le départ de Toni Kroos pour 30 millions au Real et de Mario Mandzukic pour 22 millions à l’Atletico Madrid. Ces ventes ont déjà généré un autre record, le sommet de la bonne gestion du club : le Bayern a bouclé sa 23e année consécutive avec un bénéfice. Ce n’est pas non plus un hasard si le noyau du club comprend plus de footballeurs formés par ses soins que tous les autres ténors européens. En outre, la nouvelle génération est prête : l’équipe nationale U15 comporte sept joueurs du Bayern.

Malgré tous ces records, le Bayern se concentre sur son développement sportif et en particulier sur les conditions de travail. Il va bientôt construire un nouveau complexe pour les jeunes et la saison passée, quand le Bayern a affronté Manchester United, Arsenal et Manchester City en Ligue des Champions, Pep Guardiola a été impressionné par la qualité du gazon hybride, composé de fibres naturelles renforcées par de l’herbe artificielle. Selon Guardiola, ce revêtement permet de jouer et de combiner plus rapidement. Le Bayern a immédiatement réagi : il a adapté la pelouse de l’Allianz Arena et de tous les terrains d’entraînement, sans se soucier des frais – 750.000 euros par terrain.

Le Bayern juge important de suivre les idées de Guardiola, dans la mesure du possible. Le contrat du Catalan vient à échéance en 2016. Le club souhaite le prolonger dès maintenant mais l’entraîneur est réservé. Il a été plutôt laconique en apprenant les chiffres impressionnants de son club et le souhait de la direction de prolonger leur collaboration. Il estime avoir tout le temps nécessaire, ajoutant que les entraîneurs ne sont pas importants en soi, que ce sont les joueurs qui comptent.

Guardiola, une bénédiction

Plutôt que de se soucier de son avenir, Guardiola réfléchit à la manière d’améliorer encore le rendement de son équipe. Il a déjà tenté à plusieurs reprises de faire converger ses ailiers, Arjen Robben et Franck Ribéry, vers l’axe, et un aspect du jeu l’exaspère : le Bayern marque pratiquement tous ses buts grâce à de superbes combinaisons et à des improvisations géniales mais très peu à partir de phases arrêtées. En chiffres, seuls 4 des 33 buts marqués l’ont été sur des phases arrêtées et encore y avait-il deux penalties parmi ces situations de jeu. Une centaine de corners n’ont eu aucun effet. Un journaliste vient de demander à Guardiola ce qu’il en pensait. Celui-ci a levé les mains au ciel et a répondu :  » C’est catastrophique…  »

Malgré l’exigence extrême de l’entraîneur, les joueurs continuent à chanter ses louanges. Le défenseur Jerome Boateng le qualifie de meilleur entraîneur du monde.  » Grâce à lui, j’anticipe mieux, je lis plus aisément le jeu adverse et je me meus plus efficacement sur le terrain.  » Karl-Heinz Rummenigge considère Pep Guardiola comme une bénédiction pour le club,  » un génie comme je n’en ai encore jamais vu en 40 ans de carrière.  » Il loue son intérêt pour les détails et le respect qu’il porte à la culture du club. Il le dépeint comme un travailleur infatigable, qui passe des heures dans son bureau, avant chaque match, à analyser le jeu de son adversaire, qu’il s’agisse du Real ou du SC Paderborn.

Rummenigge s’empresse d’ailleurs d’ajouter que toute la direction du Bayern travaille d’arrache-pied. Il sort un chiffre. Il y a quatre ans, le budget du Bayern était de 350 millions d’euros. Il a donc augmenté de 50 % en quelques années. On ne peut pas dire où il s’arrêtera. Le Bayern ne cesse de repousser ses limites. A terme, il veut être la meilleure formation d’Europe en matière de budget aussi.

Objectif Berlin

Pour le moment, il est encore surpassé par le Real (603 millions), Manchester United (540 millions) et Barcelone (530 millions). Les rentrées issues des droits TV internationaux restent relativement basses : 54,9 millions la saison passée alors que Cardiff City, relégué de Premier League, a touché 74 millions. D’un autre côté, les sponsors se pressent au portillon. Des colosses comme Allianz, Audi et Adidas sont des partenaires stratégiques, garants de fondations financières solides. Ensemble, ils injectent 300 millions dans le club. Le merchandising a rapporté 105,2 millions au Bayern.

Il n’est plus question de concurrence en Bundesliga. Le Bayern a depuis longtemps dépassé ce niveau. Tout le monde part du principe qu’il va remporter un 25e titre cette saison et la Coupe – ce serait la 18e – serait aussi bienvenue. A Berlin, là où se joue également la finale de la Ligue des Champions. Berlin est devenu le principal objectif du Bayern car Rummenigge a insisté sur ce point : il faut raccourcir le cycle entre deux victoires dans le bal des champions. Et augmenter encore les rentrées annuelles. La saison passée, le Bayern a trébuché face au Real en demi-finales mais il a quand même perçu 52,8 millions. Toutefois, c’est une somme inférieure à celle qu’il avait budgétisée. La seule tache sur une année mémorable. Sources : Der Spiegel et Frankfurter Allgemeine ?

PAR JACQUES SYS – PHOTOS: BELGAIMAGE

Le Bayern a écoulé 1,3 million de maillots la saison passée. C’est davantage que les 17 autres clubs de Bundesliga réunis !

Plus grand club sportif du monde, le Bayern vise à présent le plus grand budget devant le Real, Manchester United et le Barça.

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