MASCOTTE ET FOLKLORE

Bernard Jeunejean

N’importe quel footballeur auquel viendrait l’idée saugrenue et nue d’évoluer sans short ni slip se ferait éjecter du terrain, en moins de temps qu’il n’en faut pour être outré : déjà que les arbitres aiment sévir quand le maillot n’est pas rentré dans le short, alors imaginez… s’il n’y a même plus de short pour y rentrer le maillot ! Vareuse flottante, godasses de foot et cul tout nu, c’est pourtant l’accoutrement du petit lion Goleo, mascotte officielle de la Coupe du Monde 2006. Mais faudrait pas croire pour autant que Goleo veut provoquer, l’absence de short a seulement l’air d’un oubli ridicule : c’est un lion navrant, un produit banal, une mascotte imaginée sans imagination.

Si un étudiant en pub, en marketing ou quelque chose du genre était en panne d’idées pour son travail de fin d’études, je lui suggérerais de nous refaire l’histoire des mascottes footeuses officielles, depuis le Willie de la World Cup 1966, déjà lion et déjà débile, en passant par Tip et Tap, Naranjito, Footix et Cie… sans oublier le mémorable Benelucky (encore un bazar à crinière !) de notre Euro 2000 : la conclusion du travail, immanquable, sera que le bizness considère avant tout le foot comme un loisir de demeurés, un produit pour infantilisés irrécupérables. Est-ce donc ce que nous sommes pour mériter pareilles mascottes ?

Nous sommes proches de l’ouverture du Mondial, j’en ai fortement humé le parfum haut de gamme à l’occasion d’Arsenal-Barça en apothéose de la Ligue des Champions : surtout le parfum de ce qu’allait être, comme tous les quatre ans, ce must indémodable que sont les polémiques en matière de décisions arbitrales ! Terje Hauge, cet arbitre norvégien qui m’était inconnu, m’a pourtant fait une bonne impression globale : prestance sans ostentation, impassibilité face aux rouscailleries habituelles, rapide sur la faute… mais le malheur a voulu pour lui qu’il commette en un seul match trois grosses gaffes à implication directe !

Un, au lieu de se laisser emporter par l’enthousiasme de son sifflet, Hauge devait laisser l’avantage et valider le but de Ludovic Giuly avant même d’exclure Jens Lehman. Deux, j’ignore s’il simulait déjà avant d’arriver à Beveren, mais c’est une faute imaginaire sur Emmanuel Eboué qui amène le coup franc à la suite duquel Sol Campbell ouvre le score. Trois, l’arrêt sur image de mon magnéto s’est avéré formel à retardement, Samuel Eto’o était bien hors-jeu lorsqu’il a égalisé. Au final, vu que c’est lui le battu, Arsène Wenger n’a retenu que la troisième gaffe pour pouvoir se déclarer très en colère : comme quoi le fameux sentiment d’injustice, cette composante séculaire et essentielle de la dramaturgie footballistique, peut envahir les mecs les plus posés. Et si Arsène avait gagné, c’est bien entendu un Frank Rijkaard pas content qui, vu les deux autres gaffes de Hauge, aurait versé son amertume dans les micros du monde entier. Dans l’appréciation du résultat de foot, la lucidité est souvent sacrifiée sur l’autel de l’émotion…

Emotion aussi via le pauvre Robert Pires, rejeté par Raymond Domenech, souvent barré cette saison à Arsenal par Antonio Reyes, et ici dindon de la farce Lehman : ce n’était pas le ciel de Paris, c’était le cosmos entier qui lui tombait sur la tête ! Rarement gueule fut à ce point d’enterrement, tout en Pires traduisait la dépression d’anthologie en direct à la télé : comme si le mec allait, face à la caméra, bouffer du Prozac plutôt que du ballon, ne sachant plus du tout pourquoi il s’était un jour aventuré dans pareil sport à la con…

Pires portait le poids du monde sur ses épaules, Ludovic Giuly ne portait que son gamin : Giuly, lui, pouvait savourer la victoire après sa déception de n’avoir pas non plus été repris parmi les 23 Français. Durant toute la phase de liesse entre fin de match et remise de coupe, Giuly a gardé son gamin ainsi juché : ma femme a trouvé ça attendrissant, la vôtre sûrement aussi, et moi aussi finalement. Mais je me suis malgré tout inquiété de ce qui se passerait si tous les vainqueurs agissaient de même, si tous leurs bambins couraient partout sur le terrain : ça pourrait faire désordre, peut-être même qu’on en écraserait un par mégarde et que la fête tournerait au cauchemar… Ou peut-être que, si tous les joueurs avaient l’autorisation d’amener sur la pelouse l’être qui leur était le plus cher, l’un préférerait y amener sa vieille mère en chaise roulante, l’autre ses deux dobermans, un troisième son cheval, un quatrième son ours en peluche… Ce serait folklorique. En fait, le foot manque de folklore.l

bernard jeunejean

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