Maroc United FC

Rencontre avec quatre artistes de notre championnat. Quatre copains, tous originaires de près ou de loin du Maroc, pour qui le spectacle sur le terrain est un combat.

« C’est la ponctualité arabe « . Il a beau s’être trompé de crémerie une première fois, NabilDirar est le premier à arriver sur les lieux. Les autres le rejoindront un peu plus tard au compte-gouttes, de Liège pour Mehdi Carcela, de Bruxelles pour les autres. Mbark Boussoufa est le rassembleur de cette table ronde. Il a choisi le restaurant l’Emir situé à Leeuw-Saint-Pierre (commune voisine d’Anderlecht), là où il a ses habitudes, en famille ou entre amis. Pour Mehdi, Nabil ou Yassine El Ghanassi, ce point de chute n’est pas non plus inconnu. Il sent bon le Maroc.  » Ils sont de la maison « , nous dit le patron.

La salle  » banquet  » où nous sommes réunis reproduit les tentes berbères dans ses moindres détails. Seul un chauffage surpuissant nous rappelle qu’on est bien en Belgique. L’ambiance par contre n’a pas besoin de chaleur. Le quatuor se connaît, et même très bien. Les rivalités entre clubs, on en est loin. Ce lundi 2 novembre, il est plutôt question d’amitié et de ce qui en découle : Yassine est le premier à être chatouillé au lendemain de la défaite de son club face au Beerschot.

 » En première mi-temps, on n’en a pas touché une « , reconnaît le jeune Gantois.  » Heureusement qu’avec Mbark, on était au chaud dans les loges car sur le terrain… De toute façon, je ne me déplace pas s’il n’y a pas une vitre pour me protéger du froid. C’est arrivé une fois à Bruges, pour voir Nabil. Il fallait qu’il voie que Tonton était là pour le soutenir.  »

Surnommé aussi le Coach, Tonton, c’est Abdellatif Khlale. Un personnage incontournable pour tous les joueurs d’origine marocaine qui tâtent brillamment le ballon en Belgique. Ex-joueur de l’Étoile Casablanca (où il a évolué avec HadjajElGhanassy, le père de Yassine), il est arrivé en Belgique fin des années 60. Il a notamment été à la base de la création de l’Etoile Marocaine, premier club belge aux consonances marocaines en Belgique. Aujourd’hui, il travaille à distance pour l’équipe nationale du Maroc. Il référencie pour la fédération les joueurs évoluant en Belgique et susceptibles d’être appelés.

Boussoufa :  » Quand j’ai débarqué à Gand en provenance de Chelsea, il est venu me voir à l’entraînement, on s’est revu et c’est lui qui m’a mis en contact avec l’équipe marocaine. Depuis lors, on ne s’est plus quitté. Il est plus qu’un ami… « .  » Quand on n’est pas bien, il est toujours là pour nous « , confirme Dirar.

 » Je ne suis pas auprès d’eux par appât du gain. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. Quand Yassine a signé à Gand, son père a demandé que je l’accompagne. Pour faire corps, pour montrer qu’il y a une famille derrière le garçon… « 

Autour de la table, pour discuter le coup, on retrouve également Rochdi Benrahib (24 ans), le cousin de Mehdi Carcela. Ce soir-là, il s’est chargé de faire le taxi entre Bruxelles et Liège pour venir le chercher à la fin de l’entraînement du Standard. Rochdi a aussi tâté du ballon, au RWDM notamment :  » J’ai finalement choisi les études. En même temps, j’étais un peu forcé puisque je me suis blessé.  » Après des études d’ingénieur commercial à l’ICHEC, il travaille aujourd’hui pour IBM à Diegem.

Autour des plaisirs de la table, nous avons confronté nos hôtes à diverses thématiques : du style de jeu, de leur goût pour le dribble, à leur vision de la société belge ou marocaine.

Pourquoi tant d’attente ?

Comment expliquer qu’il ait fallu attendre si longtemps pour voir plusieurs joueurs d’origine marocaine sur nos pelouses ? Pourquoi dans les années 90, Mohamed Lashaf ou Nordin Jbari faisaient figure d’exception alors que l’immigration était déjà conséquente ?

Benrahib :  » Je crois qu’il fallait un joueur de référence pour tout débloquer. Mbark a été celui-là. Il a ouvert une brèche. Avant, beaucoup de jeunes arrivaient aux portes de l’équipe première mais les clubs ne croyaient pas en eux. « 

Dirar :  » Mbark a donné de l’espoir aux jeunes qui mélangent le foot et le futsal. Il a montré que c’était possible d’y arriver, d’être pro avec ce style de jeu. « 

Khlale :  » Dans les années 90, il n’y avait pas la même ouverture d’esprit qu’aujourd’hui. A 15, 16 ans, ils quittaient les structures de club. « 

Boussoufa :  » Il y a une nouvelle génération chez les parents aussi. Aujourd’hui, ils sont davantage présents dans les clubs, ils accompagnent leur fils aux entraînements, ils suivent leur évolution. Mes parents ne savaient pas comment fonctionnaient ces structures quand ils sont arrivés du Maroc. Quand vous voyiez tous les parents belges ou hollandais autour des terrains à l’époque, le jeune d’origine marocaine qui est tout seul avait plus vite tendance à abandonner… « 

El Ghanassy :  » Mon père, lui, a toujours été derrière moi depuis que je suis petit. Et intensément. Quand on revenait d’un match en voiture et que j’avais mal joué, il se retournait, ne regardait même pas la route et m’envoyait des gifles. J’arrivais chez moi, je devais directement monter dans ma chambre… Mais faut pas croire que c’était violent. Une heure après c’était fini. Il me disait : -Viens, on va regarder un match à la télé. C’est clair qu’il a joué un rôle déterminant pour ma carrière.  »

Un style de jeu créatif qui les place sous pression ?

Carcela :  » On sent la pression d’autant plus qu’on est encore jeunes. Mais pour ma part, c’est loin de me paralyser. « 

El Ghanassy :  » Le plus dur, c’est jouer comme on l’aime en ayant du rendement. « 

Dirar :  » On aime le show. On veut reproduire en match les gestes appris en rue. Et ce n’est pas toujours du goût du coach. Mais on sait que par notre technique, on peut changer un match. « 

Boussoufa :  » Tous les joueurs qui sont ici ce soir prennent des risques, ne se cachent pas sur un terrain. Après, que le public nous siffle quand ça ne marche pas, c’est normal. C’est peut-être difficile à accepter parfois mais je le comprends. Et en Belgique, faut dire que c’est gentil. Il faut se rendre au Maroc pour connaître la signification du mot pression. Les gens sont bien plus fanatiques, c’est dans leur caractère. Et puis, vous avez des spectateurs qui dépensent leur dernier sou pour aller vous supporter. Contre le Gabon, j’en ai vu un qui a emprunté de l’argent pour s’acheter un ticket. « 

La Belgique pas assez technique ?

Carcela :  » Ici, on ne met pas assez les techniciens en avant. En Espagne, c’est la technique qui prime sur le reste. Et ça marche. Les Espagnols ne doivent plus montrer comment gagner un match… « 

Dirar :  » Je crois quand même que la nouvelle génération belge manie mieux la balle. « 

Boussoufa :  » Le fait qu’on leur donne plus tôt leur chance, à 16, 17, 18 ans, et dans des clubs comme Bruges, Anderlecht ou le Standard, c’est évidemment bénéfique. Maintenant, dire que cette génération est meilleure que l’ancienne, je ne sais pas. Quand je suis arrivé il y a cinq ans, il y avait beaucoup moins de jeunes dans le championnat. Ceux qui voulaient jouer immigraient aux Pays-Bas notamment. Le fait qu’on ait rajeuni les cadres, c’est une bonne chose pour le foot belge car les joueurs progresseront plus vite et évolueront davantage. Regardez RomeluLukaku. Ok, c’est un gabarit incroyable. Il pourrait travailler comme portier au Carré ( il rit). Mais au-delà de ça, c’est un joueur fantastique. Ce qu’il fait à 16 ans, c’est phénoménal. C’est évident qu’il ira loin, d’autant qu’il ne fait que progresser.  »

Dribbler, c’est prendre des coups ?

Dirar :  » On ramasse beaucoup de coups, c’est clair. Malheureusement, c’est notre jeu qui veut ça. « 

Carcela :  » Je trouve que les arbitres ne nous protègent pas assez. « 

Dirar :  » Quand on saute pour éviter un tackle, on parle toujours de simulation. Vous avez certains arbitres qui ne comprennent pas que si l’on ne fait pas ce saut, on nous arrache le pied. « 

Boussoufa :  » Pour moi, ce n’est pas la faute des arbitres. Le problème vient d’en-haut, de gens comme Robert Jeurissen qui ne donnent pas assez de directives.  »

Dirar :  » Et côté joueurs, certains veulent te faire peur pour que tu simplifies ton jeu. « 

Boussoufa :  » Mais je ne crois pas que cela peut avoir une influence. On est comme ça, tu as beau recevoir plusieurs coups, tu continueras à vouloir faire une action. Christ Bruno à l’époque du Brussels faisait n’importe quoi dans le seul but de me donner des coups. Dans un match, j’ai même entendu – Casse-le !  »

Dirar :  » Vous avez même des entraîneurs qui utilisent ce genre de langage. Des joueurs m’ont rapporté par exemple que leur coach leur avait demandé de faire mal à l’attaquant s’ils en avaient l’occasion. « 

Boussoufa :  » Et le cas Wasyl n’a certainement rien changé. Sauf pour Axel Witsel… Cela te marque deux semaines, les médias ne parlent que de ça, et puis on oublie. Chaque semaine, il y a le même genre de tackle, sans les mêmes conséquences…  »

Insultes racistes pour les déstabiliser ?

Boussoufa :  » Pour ma part, il faut plutôt me demander dans quel match, ça ne m’est pas arrivé. Sale Arabe et Macaque reviennent très souvent.  »

Carcela :  » Moi, jamais, mais chez les jeunes bien. Ça arrivait même régulièrement. « 

El Ghanassy :  » À moi aussi, mais mon père me disait d’aller marquer en réponse aux provocations. Chez les pros, pas encore. Je crois que les joueurs ont peur des caméras, qu’on puisse deviner ce qu’ils ont balancé. Donc, ils se calment… « 

Dirar :  » Moi, ça ne m’est arrivé qu’une fois. Face à Anderlecht. « 

Boussoufa :  » Je me suis battu avec un équipier d’Anderlecht pour ces raisons. AhmedHassan et moi lui avons dit notre manière de penser à la mi-temps après qu’il ait insulté un joueur adverse. Bon, à la fin, il s’est excusé auprès de l’autre joueur et c’était oublié… Parfois, l’intensité et la dimension émotionnelle d’un match font perdre la tête aux joueurs. Et c’est pourquoi on oublie tout quand le joueur nous dit par après qu’il regrette. Il faut arriver à relativiser. Moi-même, il m’arrive de traiter un des mes équipiers de connard pendant un match, Jelle Van Damme peut aussi me traiter de connard. Quand l’enjeu est tellement grand, quand on veut à tout prix gagner, on dit des choses de ce style.  »

Boussoufa, l’exempe à suivre ?

Carcela :  » C’est normal. C’est le Ballon d’Or… Le Soulier d’Or plutôt… Le meilleur Pro. « 

El Ghanassy :  » C’est le meilleur en Belgique, pas de doute. « 

Carcela :  » Y’a pas photo ou alors avec Mbokani.  »

Dirar :  » On essaye aujourd’hui d’être des dignes successeurs. Mais c’est évident qu’il est le meilleur en Belgique. « 

El Ghanassy :  » Sa feinte de frappe est exceptionnelle. Quand on la tente, la balle part au loin… C’est la marque mini-foot. « 

Carcela :  » Pour moi, il a le niveau pour jouer dans un très bon club européen. Quand tu as une telle technique, tu peux tout faire. « 

El Ghanassy :  » On dit qu’il est léger, mais moi je le vois aller au duel. « 

Carcela :  » Faut pas être un monstre physique pour jouer au foot. Les meilleurs joueurs n’ont jamais été des grands. Prenez Iniesta ou Messi. Le foot, ça se joue avec la tête et avec les pieds, pas ailleurs.

par thomas bricmont – photos : jelle vermeersch

 » Lukaku pourrait travailler comme portier au Carré.  » (Boussoufa)

 » Des entraîneurs demandent à leurs joueurs de faire mal.  » (Dirar)

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