Marine et Marcel

M arine avait 20 ans, Marcel en était fou. A sa naissance, Marcel n’en avait même pas voulu à son fils aîné de lui avoir refilé, comme première progéniture de seconde génération, une petite pisseuse au lieu d’un footballeur en herbe ! Ce jour-là de 1987, quand Marcel avait fait irruption à la maternité, grand-père néophyte inondé de joie, Georgette émue avait redécouvert un mari capable d’un bonheur qui – stupeur ! – n’avait strictement rien à voir avec le ballon rond ! Durant deux décennies, la gamine et le vieux s’étaient aimés classique, à coups de tendresse, de connivences et de rigolades. Sans problème… et sans foot car Marine n’accrochait pas : même si, quand il faisait beau temps au village, elle aimait passer parfois au match. Et silencieuse, elle regardait son grand-père aimer le foot pour eux deux en rouscaillant depuis son banc de touche…

Sans entrer dans les détails, faut savoir aussi que Marine était belle. Très belle. Méga belle. Marcel ne l’avait vraiment réalisé qu’au printemps en surprenant dans les vestiaires une réflexion de son gardien, qui venait de sortir la mi-temps de sa vie. Il avait tout arrêté en même temps que les attaquants d’en face avaient pas mal loupé, comme bizarrement déconcentrés en zone de conclusion. Faut dire que Marine était quasi seule derrière le but, insouciante, éthérée, vaporeuse, mais pas irréelle pour un sou : quand le soleil jouait en double avec le mois de mai, Marine était comme une synthèse d’ Adriana Karembeu et Monica Bellucci… D’où le rugissement du gardien se frottant à grands renforts de savon mousse, Tarzan victorieux à poil sous sa douche, et qui avait suscité l’approbation générale en même temps qu’expliqué sa performance exceptionnelle lorsqu’il avait gueulé, avec tout ce romantisme délicat que connaît parfaitement tout qui a fréquenté les vestiaires d’un sport collectif mâle :  » Putain, les gars, la petite-fillle du coach, elle est méga bonne !  » Et la bande à poil avait entonné en ch£ur C’est nous, les gars de la marine… terminant rapidos sur quelques la, la, la dès que Marcel était entré avec un air entre deux airs.

Troublé par les prouesses d’un gardien qu’il avait toujours trouvé médiocre, Marcel avait envisagé un moment de demander à Marine de se placer derrière le but durant les 30 matches de la saison suivante. Il en rêvait encore sans oser lui en parler lorsque les choses s’étaient précipitées… au-delà de ses rêves les plus fous. Marine était partie en vacances à Madère. Sur l’île portugaise, elle avait rencontré ni plus ni moins que Cristiano Ronaldo, de retour dans sa famille : coup de foudre, gros comme un peno gros comme un building ! Et réciproque : le meilleur footballeur du monde l’avait kiffée comme jamais, il était tombé amoureux grave ! Il l’avait harcelée sans répit, mettant le monde et tout son fric aux pieds de la belle. Sur la plage, un après-midi où le soleil tapait pourtant duraille, il était allé jusqu’à 6.462 jonglages pied gauche/pied droit en lui répétant  » Je t’aime  » (pied gauche) et  » Je veux t’épouser  » (pied droit). Marine avait fini par dire oui à une condition : elle ne quitterait jamais Noiseux-sur-Berwette et sa famille pour les brumes de Manchester ! Cristiano avait répondu qu’il s’en foutait, que la vie lui avait déjà suffisamment donné question gloire et pognon. Il voulait seulement l’amour avec un grand A, quitte à jouer en division Z. Les tourtereaux étaient déjà mariés civilement quand ils se ramenèrent à Zaventem, Ronaldo signa son affiliation à Noiseux-sur-Berwette dans les jours qui suivirent. Noiseux fut champion 2007/08 avec 90pts sur 90 et remporta la Coupe provinciale. Cristiano inscrivit 218 des 246 buts, donna 28 assists ainsi que, en fin de saison, un premier arrière- petit-fils à son coach.

–  » Marine, ma petite chérie, tu m’auras tout donné ! « , se réveilla Marcel en pleurant dans son oreiller qu’il compressait.

–  » Tu rêves de ta petite-fille à présent ? », bredouilla Georgette toujours à moitié endormie.  » C’est vrai qu’elle est adorable. Et aussi ce petit Flamand qu’elle a rencontré lors de ses études à Bruxelles. Ils vont bien ensemble. Comment s’appelle-t-il encore, il porte un nom plutôt francophone ? »

–  » Christian Renaud. Il s’appelle Christian Renaud. Et il habite Malderen « , précisa Marcel les yeux toujours humides.

–  » C’est bien qu’il n’aime pas le foot… « , sourit Georgette en se rendormant.

« 

par bernard jeunejean

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