Marchand de bonheur

Des moments et des hommes : 10 clichés symboliques de la carrière de Wambi.

W amberto de Sousa Campos : prononcez Wambi ! Un artiste brésilien de 32 ans, pro du foot depuis 14 saisons. Des mensurations de guêpe : 1m68, 67 kg. Il est arrivé chez nous à 17 ans, s’est fait les dents avec les jeunes de Seraing puis a connu la période dorée de ce club, ensuite le Standard, l’Ajax, Mons, à nouveau le Standard puis le retour à Mons au début de cette saison. On ne l’y conservera pas, il prépare donc un nouveau déménagement. Il glissera dans sa valise des chiffres qu’on ne pourra pas lui enlever : plus de 300 matches et 50 buts en D1 belge et néerlandaise, 3 trophées dans le club le plus mythique des Pays-Bas.

Premiers frissons belges

 » C’est à Seraing que j’ai vécu le moment le plus fort de ma carrière : le titre en D2 sans perdre un match. J’ai été élu Révélation Panini. Un an plus tard, nous terminions à la troisième place, puis il y a eu l’UEFA. C’était un groupe exceptionnel avec Ranko Stojic, Lars Olsen, Olivier Doll, Manu Karagiannis, Isaias, Edmilson,… Et le meilleur entraîneur de ma vie : Georges Heylens. J’étais international Junior quand j’ai quitté le Brésil pour la Belgique, mais c’est Heylens qui m’a fait comprendre le foot « .

Artiste

 » Je me considère comme un marchand de bonheur. Je n’ai jamais voulu envisager le foot sous l’angle défensif. Ce n’est pas pour moi. Je le vois comme un art, je m’identifie au peintre qui soigne sa toile jusqu’au milieu de la nuit, qui y met tout son amour et sa concentration. J’enrage chaque fois qu’un entraîneur met l’accent sur le travail défensif des attaquants. Bien se positionner pour empêcher l’adversaire d’entamer une action, d’accord. Mais ça ne doit pas aller plus loin. Quand je suis arrivé à l’Ajax, Morten Olsen a beaucoup insisté sur le boulot défensif que je devais effectuer. Je n’étais pas convaincu par son discours, même si je reconnais qu’il m’a énormément apporté « .

Buteur

 » Je n’ai jamais été un pur buteur. Parce que je n’ai pas le tempérament des attaquants qui attendent sagement le ballon dans le rectangle, mais aussi parce que je n’ai de toute façon pas le gabarit pour jouer comme ça. Je suis un homme de la dernière passe, ma meilleure place se situe entre la ligne médiane et l’attaque. Sur ma carte de visite, il y a beaucoup plus d’assists que de goals. Eliminer trois ou quatre adversaires puis donner un caviar, c’est ça ma marque de fabrique. Presque tous mes buts sont venus de tirs à distance : quand je vois une ouverture, je frappe « .

Famille

 » Mes trois fils ont une chance que je n’ai pas eue : des parents équilibrés et une maisonnée qui ne manque de rien. Mon père buvait tout son salaire, il revenait bourré tous les soirs. Ma mère lavait les vêtements de gens riches pour que nous ayons un peu à manger. C’était insuffisant. Il y avait 10 enfants à la maison. Comme j’étais le plus jeune, ma mère, mes frères et mes s£urs se privaient souvent pour que je puisse manger. Mais si j’avais quelque chose à midi, il n’y avait plus rien le soir. Il fallait choisir. Malgré le cauchemar que mon père nous a fait subir, nous ne l’avons jamais abandonné. Mes parents sont toujours ensemble aujourd’hui. Mes fils sont loin de ces problèmes. L’aîné a 17 ans, il est Junior à l’Ajax et fera partie du noyau B la saison prochaine. Il s’est même entraîné une fois avec les pros : un jour inoubliable pour lui et pour moi. Les deux autres, qui ont 14 et 12 ans, vont peut-être signer à l’AZ. Ma famille me manque. Ils habitent toujours à Amsterdam avec ma femme, moi je suis installé à Mons. J’ai des périodes de cafard mais c’est le foot professionnel qui veut ça « .

2 titres, 1 Coupe

 » Je suis resté cinq ans et demi à l’Ajax : que du bonheur. J’y ai découvert le professionnalisme, le vrai. J’y ai travaillé avec Olsen, Jan Wouters, CoAdriaanse, Ronald Koeman. Avec ce club, j’ai affronté les plus grands d’Europe en Ligue des Champions. Un des moments les plus forts a été notre match contre l’AC Milan juste avant mon retour en Belgique, à Mons. Le joueur qui m’a le plus marqué, c’est JariLitmanen. Avant de le côtoyer, je n’avais jamais vu un footballeur vivre autant pour son sport. Dès la fin d’un match, il s’isolait dans une salle pour faire ses étirements. Même si tous les journalistes l’attendaient, il faisait calmement son stretching. Danny Blind était un vrai capitaine et un moteur du club. Tomas Galasek était un fantastique joueur d’une correction exemplaire. Et mon meilleur ami à l’Ajax était Maxwell, qui est aujourd’hui à l’Inter. Nous sommes toujours en contact régulier. Nous avons tué des tas de matches dans les 20 premières minutes. Nous exercions un pressing infernal, nous marquions deux ou trois buts et c’était plié. Après cela, il suffisait de gérer. J’ai presque toujours joué comme ailier en 4-3-3 là-bas, jusqu’au moment où Koeman a dû modifier le système pour aligner Nikos Machlas et Zlatan Ibrahimovic ensemble. Aucun des deux ne pouvait jouer sur un flanc, alors Koeman est passé à deux pointes. Quelles pointes !  »

Amis pour la vie

 » Isaias et Edmilson étaient avec moi à Seraing, nous avons amassé des souvenirs extraordinaires là-bas. Nous sommes restés fort liés. Il m’arrive d’avoir Isa cinq fois par jour au téléphone. Il n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Il sait que c’est sa faute. Il a flambé, a claqué au casino tout ce qu’il avait gagné. Il est maintenant sans club mais le talent est toujours là, il aurait encore sa place dans une bonne équipe de D2. Il est devenu responsable de sa vie, mais un peu tard. Edi, lui, a eu beaucoup de malchance. Son genou l’a trahi alors qu’il était sans doute le meilleur Brésilien du championnat de Belgique « .

Le c£ur à Sclessin

 » Beaucoup de gens pensent que je suis déçu par le Standard sous prétexte que je n’ai plus beaucoup joué pendant mon deuxième séjour là-bas, de 2004 à 2006. Je suis déçu, oui, mais pas par le club. Ce n’est pas à cause du Standard que Soley Seifo m’a explosé la jambe lors d’un match contre Genk. Cette blessure a tout cassé, je ne suis plus jamais redevenu le même joueur. En plus, je me sentais tellement bien à ce moment-là. J’étais sûr que j’allais faire une grande saison. Nous avions une équipe pour remporter le titre avec 10 points d’avance. Elle était beaucoup plus forte que celles que j’ai connues lors de mon premier séjour à Sclessin. Je garde une admiration sans borne pour ce club. C’est grâce au Standard que je me suis retrouvé à l’Ajax « .

Dieu

 » Cette photo a été prise quelques semaines après mon arrivée à Mons, au deuxième tour du championnat 2003-2004. J’étais à l’hôtel mais je passais des soirées entières chez Edson, le frère d’Edmilson. Il me parlait souvent de ce que La Louvière lui avait fait. Ce club n’avait pas été correct du tout avec lui et ça avait brisé sa carrière alors qu’il avait tout pour faire un bon parcours en D1. Quand Mons a joué contre les Loups, il m’a demandé de les battre pour lui. Je lui ai promis que je marquerais, je l’ai fait et nous avons gagné 1-0. Mon message : Pour toi Edson. Dieu est fidèle. Edson était au match et a pleuré en voyant le tee-shirt. La religion a toujours occupé une place centrale dans ma vie. C’est encore plus le cas depuis que j’ai rencontré ma femme, qui est encore plus croyante que moi. Quand nous n’avions rien à manger à la maison, ma mère nous disait : -Allez vous coucher, Dieu vous donnera quelque chose demain. Et ça nous nourrissait. Sans Dieu, je ne serais pas venu en Europe. Je n’aurais pas offert une maison à mes parents, à mes frères et à mes s£urs « .

Du grenier à la cave

 » Mons m’a relancé et les quelques mois que j’ai passés dans ce club en 2004 m’ont permis de retourner au Standard en fin de saison. Mais je ne peux pas me voiler la face : passer de la Ligue des Champions avec un grand club hollandais à la lutte pour le maintien avec une équipe belge, quitter l’Ajax Arena pour le stade CharlesTondreau où la nouvelle tribune n’existait pas encore, c’était dur à vivre. Je passais sans transition du grenier à la cave. En découvrant les installations, j’ai failli renoncer au contrat qu’on me proposait, puis je me suis dit que j’avais presque donné mon accord et que je ne pouvais pas me dégonfler. Il fallait de toute façon que je change d’air. Koeman préparait une équipe pour la saison suivante à l’Ajax, et à mon âge, je ne représentais plus l’avenir de ce club « .

La chute

 » Je vis la saison la plus triste de ma carrière. Mon contrat ne sera pas prolongé. Je peux comprendre : je n’ai plus 20 ans. Je vais quitter Mons le c£ur léger. Je n’en veux à personne, certainement pas à José Riga. Il prépare l’avenir avec des gars plus jeunes, il a bien raison. J’avais deux objectifs quand je suis revenu : aider le club à se maintenir et obtenir ma carte d’identité belge. La procédure se serait compliquée si j’étais de nouveau parti à l’étranger. Aujourd’hui, c’est fait, je suis naturalisé. Je resterai en Belgique après ma carrière. Mes enfants aiment le Brésil pour les vacances mais ils ne voudraient pas y vivre. Je vais commencer à étudier pour devenir entraîneur ou agent de joueurs. Mais avant cela, j’ai l’intention de jouer encore quelques années. Simon Tahamata a duré jusqu’à 38 ans, je veux faire la même chose. Dans un autre pays, sans doute. Aujourd’hui, je dois accorder l’absolue priorité au côté financier et je suis prêt à accepter une toute bonne offre n’importe où « .

par pierre danvoye – photos : reporters/belga

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