Marcel pleurniche !

En principe, ce sport n’était qu’un jeu, une activité faite pour grandir le corps et l’âme des protagonistes, dans la défaite autant que dans la victoire. En pratique toutefois, dès que surgissaient revers, descente et déception, les pleurnicheurs du foot puisaient en vrac dans leur hotte à aigreurs. L’arbitre y était un être hybride, entre incompétence crasse et partialité ignoble. Les ballons avaient frappé le cadre adverse, avec une fréquence telle que Dieu n’existait plus. Les joueurs blessés avaient été kyrielle comme nulle part ailleurs. Le budget était déclaré famélique en regard de celui des rivaux: trop peu de soutien des pouvoirs locaux, pas de gros sponsor providentiel habitant à portée de coup de pied de but. Dans le meilleur des cas, tous pleurnichaient de concert pour expliquer l’échec, le justifier, s’en dédouaner. Dans le pire, comité, coach, joueurs et supporters puisaient des choses différentes dans la hotte à aigreurs, s’accusant mutuellement d’incompétence et d’inefficacité.

« En seconde mi-temps, il n’y avait plus rien à espérer: nous avions la montée, et le terrain de Foul-en-Fagne penche comme celui de Pise », avait-il conclu tristement.

« Affronter la montée en possession de ballon quand il faut construire, c’est aussi bénéficier de la descente en perte de ballon quand il s’agit de le récupérer, gros bêta! N’oublie jamais ça », avait osé « footosopher » Georgette, avec pour seul résultat de frigorifier leur soirée à deux.

Marcel avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus, qu’il lutterait à armes égales. A l’insu de tous, il avait ainsi ouvert à fond l’arrosage automatique et nocturne du terrain de Noiseux, durant toute une semaine d’un février où il pleuvait pourtant à seaux: et le match avait été remis! Quand il lui avait raconté ça en ricanant de bonheur, Marcel avait cru que Georgette le trouverait génial: mais le regard qu’elle lui avait octroyé traduisait plutôt comme une pitié lasse.

« C’est du gaspillage pour deux fois la même chose, ça m’énerve, je vais leur écrire pour leur signifier mon mécontentement! », avait grommelé Marcel.

« Envoie leur plutôt un e-mail, chou », avait lâché Georgette.

« Je vais faire les deux pour être sûr, c’est plus malin », avait conclu Marcel.

Bernard Jeunejean

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire