Marcel, Papy gaucher !

C’était jour de fête, hier pour Marcel (*). En 1976 en effet, le 13 août avait été institué Journée internationale des gauchers. Marcel s’en était foutu longtemps, se targuant du fait que, quoique gauche patte, il frappait indifféremment des deux pieds : il est vrai qu’il plantait régulièrement un but du droit …tout en préférant oublier que, pour tripoter le ballon avec sophistication, rapidement ou dans un mouchoir, y’avait pas photo entre ses deux tatanes !

Aujourd’hui, à l’aube de ses 70 piges, il voyait différemment les choses : car s’il avait eu jadis, sans s’en formaliser, deux fils droitiers qui avaient aimé le foot moins que lui, l’un des deux avait engendré un petit mâle qui, dès qu’il put rester debout, tripatouilla du gauche tout ce qu’il croisait d’à peu près sphérique ! Et Victor était devenu un accro au foot de 14 ans, gaucher vif autant qu’élégant. Papy en devint fier de ses vieux gènes gauchers à lui, qui avaient bien eu raison de sauter une génération ! Il n’échappait pas au scénario classique, le rêve de gloire par procuration : au mieux, son surdoué petit-fils serait le nouveau Lionel Messi ; au pire, parce qu’on ne sait jamais avec les turbulences adolescentes, il serait un nouvel Hatem Ben Arfa, ce qui ne serait quand même pas mal. Il existait des docteurs en droit, Victor serait docteur en gauche…

Ainsi, cinq ans plus tôt, entre le vieil homme et l’enfant, avait éclos un rituel, le 13 août de chaque année. Le gamin venait au rendez-vous avec son ballon dans le jardin du vieux, et ils démarraient leur jour de fête à deux. Avant d’aller casser la croûte à la friterie du coin, avant d’y poursuivre leurs histoires de gaucher qui rencontre un autre gaucher, ils se passaient le ballon en papotant, le caressaient à l’envi, du pied que vous savez, évidemment ! Grand-père et petit-fils s’instituaient frères et fiers au sein d’une même minorité, voire d’une même aristocratie : car, tout le monde savait ça, le cerveau des gauchers performait plus subtilement que celui de tous ces insignifiants droitiers…

Hier donc, Marcel pensa qu’à 14 ans, il était grand temps d’offrir à Victor une éducation tactique approfondie, spécifique aux gauchers. Aussi lui tint-il ce langage :

D’abord, ne joue jamais en défense, t’es trop fort pour ça, et on n’y a pas vraiment besoin de gauchers : au Standard, Michel Renquin a débuté au back gauche en étant droitier, et il y était parfait. Et dans le duo axial, faut juste que l’un colle l’attaquant, et que l’autre soit alors en couverture : Léon Jeck et Nico Dewalque, droitiers aussi, faisaient ça admirablement. Mais toi qui es un offensif, si le coach te met sur un flanc, tu seras super-fortiche à gauche, comme Wilfried Puis jadis à Anderlecht ! D’ailleurs, les droitiers qu’on place à gauche par manque de gauchers détestent y prester : ils sont trop emmerdés pour centrer du mauvais pied une fois qu’ils ont débordé !

Euh, Papy, je connais pas tous les gars dont tu parles, bredouilla Victor , mais c’est plus comme ça de nos jours ! Derrière à gauche, c’est quasi toujours un vrai gaucher, qui sort de position et avec une fameuse technique, exemple Marcelo ! Dans l’axe, si c’est un duo, on préfère un gaucher à gauche et un droitier à droite, qui jouent en zone l’un à côté de l’autre, et sont importants pour la première relance ! Et devant, sur les flancs, on met le gaucher à droite pour qu’il rentre dans le jeu et frappe ; il déborde et centre du droit plus rarement. Pense à Arjen Robben !

Ah bon ? s’étonna Marcel . Et ce foot-là est plus efficace ? Les attaquants pètent plus de goals qu’à mon époque ?

…Euh, non, Papy… On m’a dit que depuis plus d’un demi-siècle, la moyenne de buts par match tournait autour de 2,5…

C’est bien ce que je pense. Fais confiance à Papy, gamin. Les chiens aboient, le gaucher passe… Les modes passent, les papys restent…

(*) Je sais, j’ai fait mourir Marcel à la fin de mon bouquin de 2011 : mais je n’avais pas raconté toutes ses frasques…

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