Marcel en dessous de zéro

En partance pour l’entraînement, Marcel était entré dans la cuisine au moment des infos radio de 19 h, et sa grande gueule l’avait fait réagir illico à la seule phrase qu’il avait pu entendre : le journaliste venait de dire que Gaza était attaquée de toutes parts…

– » Ah ! Ils ont enfin retrouvé Paul ! Tant mieux ! Mais ce n’est pas une raison pour l’enfoncer, le pauvre ! Ce n’est pas parce qu’il boit un peu que…  »

– » Avec un seul z, pauvre obsédé ! Gaza, pas Gazza ! Pas ton pochtron de Gascoigne ! Tu sais de quoi on parle, au moins ? », coupa Georgette avec mépris.

– » Evidemment ! « , se rengorgea Marcel.  » En italien, Gazza signifie pie : c’est un surnom que Paul a gardé de sa période à la Lazio et… « 

–  » Nooon ! Il s’agit ici de LA BANDE de Gaza ! « , insista Georgette hargneuse…

–  » Ben, euh… Oui, je suppose que Gascoigne picolait surtout avec des copains… C’est mieux que boire tout seul dans son coin, non ? », bégaya Marcel soudain culpabilisé, pressentant sa méconnaissance d’une actualité non footeuse que personne n’ignorait sauf lui.

– » J’ai honte pour toi, Marcel. Le foot n’est pas toute la vie, même si tes orteils en sont persuadés ! Je flippe car que tu ne découvriras le mot Palestine que le jour où les Palestiniens disputeront les qualifications pour le Mondial… Même notre crise politique, tu en ignores tout ! Tiens, à part Yves Leterme parce qu’il est Rouche et champion du flop, tu peux me citer un de nos politicards ? »

– » Jean-Luc Dehaene ! Même qu’il est comme moi : il a déclaré récemment qu’une défaite du Club Bruges, il trouvait ça plus grave qu’une crise gouvernementale ! « , pavoisa l’époux.

– » Dire qu’on a confié le pays à pareil excité de tribune assise, c’est édifiant ! Faut pas s’étonner qu’on soit aujourd’hui où on en est… « , soupira Georgette.  » Sans doute que, comme toi aussi, Dikke Jean-Luc n’utilise en ce moment le mot politique que pour parler de… politique des transferts. Ce mercato, quelle infamie ! Même toi, dans ton tout petit club insignifiant, voilà que tu t’y mets avec ce… comment s’appelle-t-il encore ? »

Georgette avait l’âme pure. Les mutations de joueurs en pleine compétition, elle les haïssait davantage encore en Provinciales : car les amateurs n’y étaient nullement acculés légalement par ce droit au travail que revendiquaient par contre les foutus pros, leurs foutus agents et foutus avocats. Or, depuis la saison dernière, Marcel fréquentait assidûment le centre voisin d’accueil pour demandeurs d’asile. Il y guettait les arrivées, jaugeant ce que chaque nouvelle silhouette pouvait receler d’éventuellement footballistique. Il lui causait alors tant bien que mal, c’est-à-dire qu’il gigotait des jambes en demandant : – Football, football ?, puis invitait l’intéressé à venir s’amuser à l’entraînement de Noiseux-sur-Berwette. Parfois le gars s’avérait bon, et c’était parti pour les coups de fil à l’URBSFA, la paperasserie, les tentatives d’affiliations, les rêves de buts à la pelle !

Il fallait faire vite et discret vu qu’ Adolphe, l’alter ego de coach Marcel à Chopine-la-Grosse, traquait tout autant le réfugié à crampons. Il fallait ferrer le poisson en lui trouvant un p’tit boulot au noir, tout en lui donnant un aperçu du climat de club particulièrement chaleureux. Un fameux boulot que se tapait Marcel… tout en tombant des nues quand sa femme le traitait d’esclavagiste en milieu rural ! Faut dire que le boulot était aussi pour Georgette. Le mois dernier, elle avait cuisiné douze fois pour la dernière trouvaille de Marcel : un réfugié ukrainien taciturne, mais cousin éloigné authentique d’ Andriy Shevchenko ! Un Soviet superbe, la perle de Kiev, à ne louper sous aucun prétexte !

– » Il s’appelle Youri Margarine, mais tout le monde ici l’appelle déjà Solo, vu que c’est un dribbleur fameux ! Tu devrais voir ce qu’il parvient à faire avec un ballon, sur notre champ de patates gelé et par 10 degrés sous zéro ! « , s’extasia Marcel en empoignant son sac d’entraînement.

–  » Pour cette nuit, on annonce -15 ! « , précisa Georgette.  » Tes joueurs vont avoir des sueurs très froides, je te parie qu’au moins la moitié d’entre eux va se débiner ! Quant à toi, sexagénaire arthrosique et fou, faut être givré pour donner un entraînement par ce froid de canard… « 

–  » Le thème de ce soir, c’est : geler le ballon ! « , s’esclaffa Marcel qui aimait beaucoup son propre humour.

–  » Va-t’en crever frigorifié, vieux négrier des Steppes, ta troisième mi-temps te ressuscitera comme d’hab ! « , bougonna Georgette alors que Marcel disparaissait…

A suivre

par bernard jeunejean

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